Bien que se proposant avec détermination de remettre en cause les choix et dérives gestionnaires de la toute-puissante bibliothéconomie telle qu'elle est appliquée aujourd'hui par les petits soldats des bibliomédiathèques publiques françaises, lesquelles, moins "sexy" que dans les années 1980 où elles poussèrent comme des champignons jacklanguiens, voient désormais diminuer sensiblement leur fréquentation, l'auteur, face aux nouveaux supports de l'information (numériques, Internet, réseaux dits sociaux, etc.), versant dans une façon de prétérition, ne cesse d'en emprunter le vocabulaire et la syntaxe, dévoyant un propos qui devient irrecevable – pour ne pas dire illisible – pour le vulgum pecus, à savoir les lecteurs non-professionnels du livre, ses non-pairs («Je ne lis pas l'agrégé» lâchait ironiquement
Julien Gracq lorsqu'il était mis en présence de ce type de glose) ; de surcroît, ce jargon se double d'un second, non moins oiseux, celui d'une sociologie marquée au coin du syndrome de l'enfoncement de portes ouvertes qui faisait dire au souriant
Manuel Vázquez Montalbán que ses thuriféraires n'étaient autres que les «prophètes de ce qui a déjà eu lieu, notaires de l'évidence» (citation à charge : «Le livre n'est pas seulement une oeuvre de l'esprit : il est aussi un produit commercial.» Quelle révélation !). Et notre expert, se piquant qui plus est d'anthropologie, flirtant allègrement avec le hors sujet si l'on s'en tient strictement au titre de son étude, de s'emberlificoter dans des définirions du lecteur, du livre, de la littérature et de la fiction, rien de moins, comme si, avant lui,
Emmanuel Kant,
Joseph Joubert,
Roland Barthes,
Robert Escarpit et autres
Jorge Luis Borges – sans oublier, plus récemment et donc dans
le contexte actuel de l'écriture numérique,
François Bon – n'avaient pas été assez explicites (en constatant le plus souvent... l'impossibilité à définir).
Ainsi va-t-on rencontrer, de paraphrases en euphémismes et de digressions en litotes, redoutablement efficaces pour agacer tout lecteur normal, la «volumétrie des collections», la «requalification sociologique des publics», la «valorisation de l'importance du symbole comme fondement imaginal» ou le «mode opératoire de l'analyse mythocritique de la littérature»... On eût préféré à ce brouet d'universitarisme mal digéré s'étalant sur 121 pages interminables un bref pamphlet radical et bien troussé, mais n'est pas
Baptiste-Marrey qui veut... (cf. son "
Éloge des bibliothèques")
Reste la très louable thèse de l'auteur, qu'on ne saurait battre en brèche ni moquer, à savoir «revaloriser» et défendre prioritairement les oeuvres littéraires – lesquelles auraient donc été négligées ces dernières années – au sein des bibliothèques publiques inféodées à "la gestion managériale" et à «une culture du résultat» prônées par cette pseudo-science tyrannique de la bibliothéconomie. Encore, le bibliothécaire-conseiller-consultant-formateur
Bruno Dartiguenave entend-t-il redonner à ses collègues «la préoccupation de valoriser l'imaginaire en renouant avec la dimension symbolique de la littérature (qui n'est pas «le rationalisme», dont acte) et rendre la médiathèque plus attractive», de les «recentrer sur l'imaginaire et la fiction». Comment ne pas être d'accord – en même temps qu'estourbi par le pensum bien inutile que représente la lecture de 121 pages cousues de truismes ?