Au-dessous de lui, la terre était couvée par une calotte blanche. C'est ce qui se passait pendant les jours de la création. Au débouché d'un nuage, il voyait le monde tel qu'il était avant, sans espèce humaine, entre le premier et le cinquième jour. Il revenait du sommet avec la lettre du début à la bouche, le b de bereshit, au commencement, qu'il balbutiait joyeusement.
En montant, il rencontrait des arbres, il s'arrêtait près du dernier, celui qui avait pris racine à l'écart des autres, le plus exposé à la foudre. Celui qui s'approche d'un arbre sait qu'il est enlacé par son ombre. En échange, il donne une caresse au tronc.
Là-haut , je ne compare pas la terre et le ciel, je me trouve au contraire sur la limite. Les solitaires existent , isolés au milieu de la communauté. Ils explorent les pistes nouvelles pour les troupeaux, ils fixent les cartes dans le ciel, ils vont là où ne court aucune frontière. Nous avons appris à connaître le monde grâce aux explorateurs passant sur la mer qui ne garde pas de trace.
Les mains sont devant l'homme, elles soutiennent son travail, le verbe "faire". Et les paroles font l'homme,elles sont devant lui,elles le guident ou bien l'égarent.
Les paroles pénétraient dans les corps en se frayant un chemin entre les viscères, elles parlaient de l'intérieur.
La légende dit qu'un ange efface le souvenir de ce qu'un nouveau né a connu dans le ventre de sa mère. Il faut vider son sac avant de naître.
Dans le placenta, les enfants connaissent tout le passé, les langues, les aventures, les dangers et les métiers. Leur squelette est devenu poisson, reptile, oiseau avant de s'arrêter à la dernière station. L'effort d’expulsion du corps de la mère sert à oublier. La rupture des eaux ouvre la brèche qui se referme aussitôt derrière, après le plongeon dans le vide.
Tel est le monde pour celui qui vient d'un ventre.
Quand l'écriture se débarrasse de son auteur, elle appartient à celui qui la lit et fait de chaque lecteur suivant son héritier direct. (p. 45)
Tu disais qu'en montagne on est un intrus et qu'on passe grâce à une indulgence de la nature. (p.25)
Tu ne voleras pas." Non, mais tu pourras entrer dans le champ de ton voisin et manger le fruit de ce qu'il a semé. Tu ne prendras avec toi ni panier ni hotte à remplir et à transporter, parce que ça, c'est voler, soustraire le bien d'autrui. Mais dans son champ tu pourras te nourrir et tu n'oublieras pas de remercier son labeur, son bien et la loi qui te permet d'entrer. Et à la saison des récoltes, le propriétaire laissera une dixième partie de son champ au profit des démunis. Et encore : quand les moissonneurs seront passés avec leurs faux, ils ne pourront passer une deuxième fois pour terminer. Ce qui reste revient au droit de grappiller.
Ainsi, tu ne voleras pas poussé par la nécessité et tu ne maudiras pas la terre qui te porte et le ciel qui passe au-dessus de toi. Et si tu travailles pour un salaire, le prix de ta peine te sera payé le jour même. Ainsi est-il dit à celui qui t'engage : "Dans sa journée, tu lui donneras son salaire et le soleil ne passera pas au-dessus de lui, car il est pauvre et vers ce salaire il lève sa respiration." (Deutéronome, 24, 15). Celui qui retient chez lui la paie due à l'ouvrier qui a fait son travail est semblable au voleur, mais il opprime un pauvre, ce qui est pire [...]. Si la personne humaine est rabaissée au niveau d'une marchandise, d'un butin, celui qui la réduit à ça est un voleur.
L’élan qui te pousse à escalader les montagnes, à chevaucher les hauteurs est fantastique, mais plus grande est l’entreprise qui consiste à être à la hauteur de la terre, de la tâche de l’habiter qui nous est assignée.