« Quoi ! il faudra que je tolère la perversité de la société parce qu’on prétend ici se gouverner en république plutôt qu’en monarchie, là en monarchie plutôt qu’en république ! Il faudra que j’approuve l’orgueil et la stupidité des grands et des riches, la bassesse et l’envie du pauvre et des petits ! Les corps politiques, quels qu’ils soient, ne sont que des amas de passions putréfiées et décomposées ensemble : les moins mauvais sont ceux dont les dehors gardent encore de la décence et blessent moins ouvertement la vue ; comme ces masses impures destinées à fertiliser les champs, sur lesquelles on découvre quelquefois un peu de verdure. »
Chateaubriand avait déjà écrit la même chose, différemment : « dans nos révolutions, nous n’avons jamais admis l’élément du temps : c’est pourquoi nous sommes toujours ébahis des résultats contraires à nos impatiences ». Admettre l’élément du temps, c’est la même chose, en somme, qu’établir sur la morale et la justice, c’est la même chose que se placer sur le plan de la sagesse perdurable. Mais que signifie « admettre l’élément du temps », lorsque, comme l’a répété Chateaubriand, nous n’avons pas de présent ? À quoi bon « admettre l’élément du temps » quand l’histoire n’a de permanent que d’être un palimpseste (« Les événements effacent les événements ; inscriptions gravées sur d’autres inscriptions, ils font des pages de l’histoire des palimpsestes ») ?
Par la Révolution, l’histoire est devenue la détermination fondamentale, essentielle, de chacun. Elle donne à l’existence de l’écrivain un nouveau tour : « Qui suis-je et que viens-je apporter de nouveau aux hommes ? »
Simultanément à la reconnaissance de ce fait nouveau, Chateaubriand dresse un autre constat, paradoxal : Le mal, le grand mal, c’est que nous ne sommes point de notre siècle. Chaque âge est un fleuve, qui nous entraîne selon le penchant des destinées quand nous nous y abandonnons.
Ce qui nous tient en haleine, c’est que Chateaubriand en a fait, comme on dit, une question personnelle. « J’étais… l’homme de…. cette restauration m’a pris pour un ennemi ; elle s’est perdue… » Il ne s’est pas considéré comme un homme de la Restauration possible parmi d’autres, mais comme le seul, comme celui dont la reconnaissance de la souveraineté exclusive en la matière constituait la pierre de touche de la période et de son destin.
Le possible a partie liée avec le temps, avec la durée. C’est parce que demain viendra que je peux m’interroger sur ce qu’il sera ; c’est parce qu’hier a été, que je peux rêver à ce qu’aujourd’hui serait, si hier avait été autrement.