274 . Le don d'ubiquité est la récompense qui nous est promise ici-bas par la technoscience. Nous pouvons regarder le monde entier défiler sous nos yeux, confortablement assis dans une automobile ou un avion ou bien devant un écran, dans un élargissement de la perspective qui offre un champ de vision illimité. Mais le pouvoir ne cesse de prendre de la hauteur, et si les stratégies d'aménagement du territoire au XX° siècle se faisaient à partir de la vue d'avion, celles-ci opèrent à présent à partir de la vue par satellite, laissant la première au passagers des vols aériens devenus bon marché. L'ubiquité effective reste toujours propre au souverain, dans ses expressions technologiques modernes qui nous tracent implacablement. Nous avons toujours secrètement rêvé d'être des Dieux, la puissance du spectacle est de nous faire croire que nous y sommes arrivés. En réalité, il nous a transformés en rats de laboratoire.
Pieter Breughel, par exemple, peint des paysans dans un geste audacieux à une époque où ses confrères se contentent de montrer des personnages bibliques ou les grands de ce monde. Là où ceux ci n'ont produit que des images, Breughel rend sensible des formes de vie. Il est outre remarquable que dans la plupart des tableaux, il n'y ait pas de personnage principal, même Jésus n'y est qu'une figure parmi tant d'autres. Breughel était habité par un monde, qui n'était pas celui des dominants.
Tout doit être fait pour nous distraire, le pas décisif ayant été franchi avec la production d'appareils conçus pour que chaque individu soit constamment distrait, de son environnement, de ses proches, de sa propre vie ... La distraction cultive alors l'absence au monde.
On a jamais autant construit dans le monde à toutes fins de le rendre inhabitable.