ISBN : ?
Editions Tallandier - 1973
Deux pour le prix d'un ou plutôt un binôme comme Delly aimait à en faire de temps en temps. Citons, par exemple, les deux tomes du "Mystère de Ker-Even", "Le Roi de Kidji" et "Elfrida Norsten" qui forment, pour leur part, "Le Mystère de la Sarrasine", "
Le Sphinx d'Emeraude" et "
Bérangère, Fille de Roi", dont l'intrigue se situe sous Henri III. Sans oublier la trilogie bien connue dont l'héroïne s'appelle Ourida, tout simplement.
Ici, le titre générique ("Coeurs Ennemis") annonce dès le départ qu'il va y avoir de la bagarre entre les deux personnages-clefs, à savoir lord Walter Falsdone, futur marquis de Shesbury, et la jeune
Orietta Farnella, une petite orpheline d'origine italienne, recueillie avec sa soeur, Faustina, par le père de lord Walter, lord Cecil, encore vivant au début de "
Laquelle ?" L'initié sait aussi que tout se terminera bien mais que cela n'ira pas sans mal. Comme toujours, l'orgueil triomphera avant que ne puisse se révéler le profond amour qui unit nos deux héros . (C'est d'ailleurs pour cela que le lecteur a acheté ces deux livres.)
L'action se situe essentiellement dans un domaine somptueux, en Grande-Bretagne et, de temps à autre, en Italie, dans la demeure plus humble du comte Farnella, l'homme qui s'est déchargé sur lord Cecil Falsdone de ses deux enfants en sachant pertinemment que l'une d'elles - mais
laquelle ? voyez-vous l'astuce du titre ? - était en fait la fille de sa femme bien-aimée et de lord Cecil lui-même. Nées le même jour, confondues par la nourrice, il n'y aurait plus aucun moyen, en cette fin du XIXème siècle qui ignore les miracles de l'ADN, de savoir qui est qui. Voilà qui aura gâché aussi bien la vie du malheureux Farnella, devenu veuf inconsolé et inconsolable entretemps, que fortement pesé sur la conscience chancelante, car elle sait qu'elle s'en va vers la tombe, de lord Cecil.
Et tout ça en attendant de créer toute une foule de problèmes à lord Walter, devenu adulte et éperdument amoureux, quoiqu'il se fasse un plaisir de ne pas l'avouer et même de laisser entendre le contraire, de la jeune et ravissante
Orietta, dont le caractère, soit-dit en passant, vaut bien le sien question orgueil et sens de l'aristocratie. Si libre que soit le jeune marquis de Shesbury, dont on ne compte plus les liaisons à droite comme à gauche et aux quatre coins de l'Europe, il ne peut tout de même pas épouser sa soeur ! On imagine donc sa stupeur, puis sa colère quand, revenu chez lui à la mort de son père, il ouvre une lettre que celui-ci avait scellée à son intention et dans
laquelle il lui raconte tout. Mais quelle idée non pas d'avoir eu une aventure avec la comtesse Farnella et avec une autre (sa cousine, je crois) mais d'avoir laissé mélanger les deux bébés au point qu'il est désormais impossible de savoir qui est, en réalité, la soeur de lord Walter !
Quand il était encore un tout jeune homme, Walter n'avait que faire de cette petite sauvageonne d'
Orietta avec
laquelle il a, au tout début du roman, deux prises de bec qu'on n'est pas prêt d'oublier. Seulement, bédame, la voilà jeune fille, et de plus en plus belle et intelligente, et lui, désormais plus mûr et en quête d'une femme vraiment digne de lui. Ce caractère qu'il jugeait jadis si détestable lui plaît maintenant d'une manière qui évoque, avec la discrétion dellyesque de rigueur, des rapports fortement teintés de sado-masochisme.
Comment trancher ? Comment résoudre ce dilemme digne de
Corneille ?
Mises au courant - il le faut bien - les deux comtesses Farnella, puisque tel est leur titre officiel malgré leur manque de fortune et le fait qu'elles ont été élevées grâce à la charité du défunt, sont elles aussi pas mal déstabilisées. Faustina voit tout de suite les avantages qu'elle pourrait retirer de la situation de soeur légitime de lord Shesbury.
Orietta, elle, supplie le Ciel et tous ses saints de ne pas tomber sous la coupe de cet orgueilleux, de ce libertin, de ce ...
Bref. ;o)
A la fin du premier tome, survient évidemment un incident qui prouve qu'
Orietta est la seule comtesse Farnella possible et que Faustina est en fait une Falsdone. Curieusement, lord Walter et
Orietta, bien que non unis par les liens du sang, sont, l'un comme l'autre, à la fois satisfaits et ennuyés de la chose. Mais enfin, c'est ainsi : il faut bien s'y faire.
Lord Shesbury, qui a toujours manifesté de manière excessive que, quand il voulait une chose, mieux valait ne pas contrarier ses désirs, ne voit plus pourquoi il n'épouserait pas
Orietta. Nous sommes alors dans le second volume et - oh ! surprise ! - la jeune fille, en dépit des rancoeurs qu'elle a pu conserver envers le jeune lord Falsdone, ne dirait pas non, finalement, à l'idée d'une union avec ce personnage pourtant si peu recommandable, si l'on y réfléchit bien. Walter est donc pratiquement parvenu à la séduire lorsque s'interpose l'Infâme Humphrey Barford , amant plus ou moins officiel de la marquise douairière -
la veuve de lord Cecil - lady Pamela,
laquelle a eu une fille de son époux, la petite Rose, qui, de son côté, s'est prise de sympathie pour
Orietta parce que, justement, celle-ci n'hésitait pas à tenir tête à un demi-frère dont elle-même aurait désespérément souhaité l'affection mais qui n'avait, pour elle et sa faiblesse physique (au début de l'intrigue, elle se déplace en fauteuil roulant), qu'un mépris absolu.
Si vous m'avez suivie jusqu'ici, sachez que la route n'est plus très longue, courage : simplement tout "
Orietta" à lire et / ou à relire pour savoir :
1) comment Humphrey l'Infâme parviendra à circonvenir
Orietta jusqu'à l'inviter à se réfugier chez lui pour fuir les attentions de son fiancé - qui, selon Barford, est un monstre et un assassin ;
2) comment ledit fiancé, plutôt furax mais encore maître de lui et qui, de surcroît, en a autant au service de Humphrey l'Horrible, découvre très vite le pot-aux-roses et s'en vient récupérer son bien ... pardon, je voulais dire
Orietta dont (rappelons que nous sommes au XIXème siècle et que nous devons faire face à une situation périlleuse pour toute jeune fille honnête de l'époque), la réputation, après ce séjour chez Barford, est gravement compromise ;
3) comment encore, en homme d'honneur et en parfait gentleman, lord Shesbury épouse sa promise récalcitrante, faisant d'elle une "femme" honnête - à ceci près que ladite promise, plus remontée que jamais bien qu'elle ait reconnu la fausseté des allégations de Barford, se refuse obstinément à accomplir ses devoirs conjugaux ;
4) comment lord Walter, toujours furax mais inexplicablement toujours aussi fasciné, fait du mieux qu'il peut (et il peut beaucoup en ce domaine où il est passé maître ) pour provoquer la jalousie d'
Orietta et la pousser à se jeter dans ses bras ;
5) et enfin comment, par un coup de théâtre très ... euh ... théâtral , la situation rentrera dans l'ordre à la fin du roman, avec un Barford en sang, une
Orietta semi-évanouie d'émotion et un lord Walter qui laisse (enfin ! ) paraître tout l'Amour qu'elle lui inspire depuis une éternité.
Prêtes ? Prêts aussi, peut-être ? Alors, vous pouvez y aller de confiance. Ce couple de volumes est l'une des plus grandes réussites de ses auteurs, l'une de celles qui tirent encore à je ne sais trop combien d'exemplaires tant il est vrai que les contes de fées et l'érotisme discrètement sado-masochiste ont la vie dure, surtout quand Delly est aux commandes.
Tel est - et restera - le grand charme de cette recette magistralement mitonnée par le frère et la soeur même si aucun d'eux n'avait peut-être pas une conscience très nette du piment qui couvait sous le velouté de la sauce ...
Peut-être, hein ? ... Peut-être, seulement ... ;o)