VÉRITÉ
D'autant mieux tu étais là
que personne ne pouvait être là
pas même toi.
Mais tu ne fus pas seulement
la beauté vivante
chair courbée selon les désirs
et la joie des seins étonnés.
Plutôt l'éclat d'une vérité
arrachée à l'inconnu
qui existe partout dans les rues
dévorées par les mouches qui brûlent
et par l'insolence d'un soleil sans date.
Tellement vouée au rêve
que tu étais devenue
la parole violente
qu'on écoute aux portes du ciel.
Le train rapide t'emportait
mais tu n'avais pas quitté
le quai désert
au-delà des champs déserts.
Au travers de toi c'était la cascade
le frémissement des feuilles
l'envol des jours d'été
la solitude promise
à qui fait sa prière
aux ruines des aubes natales.
p.175-176
ODE A LA MANIVELLE
Le joueur d'orgue
de barbarie monologuait :
« Puisque vous ne comprenez rien
je dois tout vous expliquer.
En haut de mes gammes les coquelicots
vers le milieu les bleuets
en profondeur les roses noires.
Mais les fleurs toutes ensemble
ne sont là que pour éclairer
les lignes vives de l'amour.
Sur la première portée
s'impriment les pieds nus
de la fille irremplaçable.
La seconde garde le reflet
de ses charmes et sourires
tandis qu'au fond de l'azur fin
après cent tours de manivelle
dans un silence apparaît
son ravissant corps dévêtu….
p.113
HYPOTHÉSE
J'écrirai un poème
avec un stylo
qui n'aura pas d'encre
un poème transparent
forcément.
Mais un autre poème encore
bien plus beau
car indélébile
dépourvu de toute pensée
réduit au rêve d'un avenir
improbablement.
Sachez attendre je vous prie
comme moi-même j'attends
assuré des mots futurs
inimaginable mais évidents.
Ne me dites pas que je mens.
p.71.
RÊVES MINIMES
Faites confiance aux myosotis,
à la guêpe d'or, aux brouillards
inondant la vallée
d'une clarté immobile.
Faites confiance aux pucerons
bientôt montés au faîte
de la cérulée bleue
enfin au bourdon sagace
qui fit un détour magique
vers l'espace des aigles.
Par ailleurs l'alliance patiente
des fourmis nous aura tracé
l'interminable chemin
vers une maison fortunée.
C'est ainsi que nos mots dérisoires
nouant leurs anneaux pourraient bien
nous relier au royaume
des célestes certitudes.
p.149
PRÉSENCE
PRAIRIE (I)
C'était la vie, ce sera la vie
une herbe étoilée
un regard rapide
un amour sans fin.
Nous redirons la parole
du pré mort et muet
parti pour l'au-delà
sans doute monté au ciel.
Sa terre ne fut jamais
au niveau de la terre
la lumière l'avait suspendu
plus haut que tout regard.
Et pourtant visible à l'excès
en son élan immobile
ce fut le songe d'un milan
qui laissa défiler sous lui
l'ombre très magnifique
de notre géographie.
p.130
« […] J'ai reçu de François Dhôtel (1900-1991), sous la forme d'un « tapuscrit » photocopié […], la merveilleuse suite de poèmes que voici. Je me suis dit qu'André Dhôtel, à la mort de qui je n'ai jamais cru, se dévoilait soudain plus vivant que jamais, avec la lumière pailletée de son regard et son sourire en coin.
[…]
Maintenant ces poèmes sont là, qui n'ont rien de testamentaire, même si l'on devine que leur auteur peu à peu s'absente - mais c'est pour mieux affirmer une présence imprescriptible.
Voici ces poèmes, dans l'ordre où je les ai reçus. […] Les poèmes naissent de la couleur du ciel, du temps qu'il faut, d'un écho des jours ordinaires et miraculeux, comme les impromptus qu'aimait tant Dhôtel, ou les petites pièces de Satie. […]
Au rythme séculaire des premières lectures éblouies,
« Voici donc le chant
de la jeunesse oubliée
et des souvenirs perdus »
[…] » (Jean-Claude Pirotte)
« […] Des paroles dans le vent
en espérant que le vent
est poète à ses heures
et nous prêtant sa voix
harmonise nos artifices.
Nos strophes seraient bien des branches
avec mille feuilles que l'air du large
fera parler peut-être un jour
où personne n'écoutera.
Car l'essentiel serait
qu'on n'écoute jamais
et qu'on ne sache pas
qui parle et qui se tait.
[…] » (Espoir, André Dhôtel)
0:00 - Abandon
2:00 - Attente
3:30 - En passant (II)
4:50 - La preuve
5:30 - L'inconnu
6:15 - Splendeur (II)
6:46 - Générique
Référence bibliographique :
André Dhôtel, Poèmes comme ça, éditions le temps qu'il fait, 2000.
Image d'illustration :
https://clesbibliofeel.blog/2020/04/08/andre-dhotel-idylles/
Bande sonore originale : Scott Buckley - Adrift Among Infinite Stars
Adrift Among Infinite Stars by Scott Buckley is licensed under a Creative Commons Attribution 4.0 International License.
Site :
https://www.scottbuckley.com.au/library/adrift-among-infinite-stars/
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