La fête au Book
Avant d'ouvrir ce livre, pensez à vous équiper en conséquence : sac à dos et provisions car vous ne le lâcherez plus et surtout, machette pour dans un premier temps, vous frayer un chemin dans cette jungle lexicale.
Car
Junot Diaz invente quasiment un style, ce qui est plutôt rare. Mais en plus, ce style est puissant, nous possède à l'usure, et c'est au bord de l'ivresse que l'on pénètre enfin dans ce livre.
Inutile d'espérer une issue convenue, le fukú -le destin tropical- va engluer les personnages dans une fatalité implacable. Faut il également le préciser : le titre est ironique. La vie d'Oscar est brève et si peu merveilleuse qu'on peut même douter qu'elle ait vraiment commencée.
Car ce héros n'en est pas un. Véritable puceau de compétition, prisonnier de son corps et de son splendide isolement, il finira happé par la force mortifère et centrifuge de son pays d'origine C'est un leurre que le roman agite. Et bien plus que le jeune et pas-beau Oscar, ce sont les femmes de la famille Cabral et le pays théâtre de leurs illusions, qui vont illuminer ce récit.
Les femmes sont fortes : la saeur Lola, la mère Belicia et la grand mère adoptive La Inca, se voient exister bien au delà d'Oscar et sont les vrais hommes issus d'un terreau machiste.
L'autre acteur principal du livre est aussi sa principale toile de fond : la République dominicaine.
«
La fête au Bouc » de
Vargas Llosa était déjà un remarquable reportage fictionnel sur la vie du dictateur Trujillo et de sa bande. Mais en faisant voler en éclats tous les codes narratifs,
Junot Diaz expose de façon encore plus frappante, cette longue et triste parenthèse de ce pauvre pays caraïbéen. le style, ébouriffant et décousu, bâti à la truelle, rythme jusqu'à la syncope, cette partie de l'histoire, la rendant irréelle comme seules peuvent l'être ces périodes cauchemardesques qui en toute logique ne peuvent exister, mais existent pourtant.
Les récits se croisent alors, comme les destinées, lardés de coups d'une « langue » nourrie de références bédéphiles, et science-fictionnesques, d'expressions argotiques issues de la rue et en particulier des trottoirs hispaniques.
C'est un voyage halluciné qui vous est proposé, au caeur de cette île maudite et de la famille Cabral qui en sont les pauvres satellites, déracinés, déboussolés, puis détruits par le destin. Si vous cherchez à raisonner, à tout comprendre, à nager dans ce roman qui, tel un torrent de boue vous enserre inexorablement pour vous étouffer, vous êtes perdu. Par contre, dès que vous acceptez de perdre pied, c'est un moment de pur abandon particulièrement jouissif.
Il est possible que l'on reste rétif, extérieur à ce livre. Indifférent, cela me paraît plus difficile.