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EAN : 9791030704198
368 pages
Au Diable Vauvert (11/03/2021)
3.93/5   327 notes
Résumé :
Le vieux Germain vit seul dans une ferme au cœur des Vosges. Sa fille lui impose de passer l’hiver avec Basile, lointain neveu qui vient faire sa saison de conducteur d’engin de damage dans la station voisine.
Une jeune femme froide et distante qui conduit les engins des neiges mieux que tous ses collègues masculins, habite la ferme voisine, où ses parents élevaient une meute de chiens de traîneaux quarante ans auparavant.
Mais bientôt, le villa... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (112) Voir plus Ajouter une critique
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♫Impassible manège
Tombe la neige
Tu ne viendras pas ce soir
Tombe la neige
Tout est blanc de désespoir
Triste certitude
Le froid et l'absence
Cet odieux silence
Blanche solitude
Tu ne viendras pas ce soir♫
- Adamo - 1963 -
----♪----♫----🐺----⛄----🐺----♫----♪----

Que la neige soit avec nous,
Que son règne vienne...
Mêler Dieu aux affaires des hommes n'avait jamais rien donné de bon par le passé, à part des guerres...(p 166)
Quand Procession devient damnation
Grand dommage devient impossible damage
Tombe la neige,
la neige, la neige était recouverte de boue
Il a neigé sur yesterday, Marie, l'immaculée Madone
C'est L'appel de Laforêt , pour Jack London
La bête qui guette sa proie, était-ce un loup !?
Si blanche neige recouvre tout ce qui bouge
Alors petits chats péroreront rouge.
Premiers lambeaux de chair
Pour les Derniers flocons d'hiver.
J.P Didierlaurent nous rassure
"Malamute ma valeur sûre" (Pub)😉


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Inquiète de le laisser passer l'hiver seul dans sa ferme des Vosges qu'il ne quitterait pour rien au monde, sa fille ne lui a pas laissé le choix : le vieux Germain va devoir supporter la compagnie d'un lointain neveu, Basile, trentenaire qui, chaque saison, vient s'employer comme conducteur d'engin de damage dans la station voisine. D'ailleurs, cette année, la ferme d'à-côté, à l'abandon depuis le départ d'un couple, qui, quarante ans plus tôt, avait tenté d'y élever des chiens de traîneaux, sera aussi habitée. Une jeune femme, également conductrice d'engins des neiges, s'y est installée. Mais voilà que la neige s'est mise à tomber, des mois entiers sans discontinuer. Dans le village bientôt totalement isolé, les conditions de vie deviennent de plus en plus compliquées, voire très préoccupantes. C'est alors que resurgissent les ombres du passé, en particulier celles des malamutes, qui, il y a près d'un demi-siècle, n'avaient pas fait l'unanimité à La Voljoux…


L'on est immédiatement séduit par les personnages plus vrais que nature, tant l'auteur a réussi à les saisir dans une parfaite justesse de comportements et de reparties, souvent savoureuses. Tandis que se précise la silhouette bougonne et taiseuse d'un vieil homme alourdi par un mystérieux vécu ombré de remords et de culpabilité, l'on s'imprègne peu à peu du décor âpre et majestueux de ce coin de montagne ouaté d'épaisses forêts. D'abord riant lorsqu'il se soumet à la domestication des bûcherons et des dameurs de pistes de ski, cet environnement a pourtant tôt fait de devenir hostile et de nous rappeler notre vulnérabilité. En particulier lorsqu'il l'enferme dans l'implacable huis clos d'un déluge de neige, propre à réveiller, en même temps que ces peurs viscérales qui nous glacent l'échine à la seule évocation d'un long et lugubre hurlement de loup, ce qui ressemble bien à la crainte diffuse d'une sorte de châtiment divin.


Dès lors, tout semble ligué pour forcer Germain à enfin affronter sa mauvaise conscience et à apporter réparation dans un sacrifice qui n'est pas sans évoquer quelque rite païen censé calmer on ne sait plus quelle divinité ou esprit de la forêt. Ce qui, commencé dans la légèreté pleine d'humour d'un inoffensif enchaînement de circonstances, vire au cauchemar un rien fantastique, s'avère une impressionnante histoire de rédemption, aussi noire et réaliste que poétique et magique. Et comme la plume de l'auteur nous réserve quelques trouvailles de toute beauté, c'est avec délice que l'on se laisse emporter par tant de justesse et d'inventivité.


Ayant plusieurs fois pensé à Franck Bouysse au cours de cette lecture, je ne suis pas surprise de découvrir qu'il est l'auteur qui inspirait le plus particulièrement Jean-Paul Didierlaurent. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Ce petit roman emmène ses lecteurs dans les forêts vosgiennes, vers un village imaginaire avec ses 45 pistes de ski, royaume des dameuses qui m'ont semblé être quasiment les héroïnes de ce livre.

L'écriture est légère, donne quelques belles descriptions de la nature hivernale, des arbres, des chutes de neige, du travail du bois et installe un huis clos relationnel entre trois personnages, tous porteurs des stigmates d'un passé douloureux.

C'est là que le scénario s'enlise dans la neige, mêlant histoire d'amour, de désir inassouvi, de bêtise humaine exacerbée dans ces villages ruraux méfiants de l'étranger, du différent, avec un lot de clichés que j'ai peu appréciés, jusqu'à celui du curé congolais, noir paumé dans tout ce blanc.

Mes passages préférés ont été ceux du journal de la jeune slovaque qui vécut près du village, près de quarante années plus tôt, dont le texte vient en alternance avec l'époque actuelle située en 2015. Ses désirs de vie et ses illusions détruites sont dépeints avec une certaine émotion qui peut atteindre le cuir des lecteurs les plus rudes.

La personnalité du vieux Germain, plutôt séduisante au début, se dilue peu à peu dans la neige, et, ses dernières actions, aussi aléatoires qu'inutiles, amènent le lecteur à s'en détacher pour se fondre finalement dans cette ambiance neigeuse et au coeur des profondes forêts vosgiennes qui seront pour moi la mémoire essentielle de Malamute.
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Le Malamute, c'est cette si jolie race de chiens de traîneau qui va se trouver au coeur de ce roman de saison, dans lequel la plume fluide s'ajoute à une trame efficace.


Quatre récits s'entremêlent pour tisser cette histoire :
1/ 1976, un ancien légionnaire et sa femme Pavlina, slovaques, arrivent dans un village de montagne français avec leur quatre chiens de traineau, des rudiments de français et leurs rêves d'enfants, dans cette ancienne ferme qu'ils viennent d'acheter.
2/ A l'époque actuelle, Basile, un saisonnier au passé trouble, est chargé de conduire chaque nuit les chenilles de métal canalisant la neige pour que les touristes puissent skier et emprunter les routes le jour.
3/ le grand oncle de Basile, vieillard qui va l'héberger pour la saison, habite la fermette voisine de celle des slovaques dans le passé - il constituera le trait d'union entre le passé et le présent.
4/ Enfin s'ajoutera à ce fragile équilibre Emmanuelle, trentenaire venue habiter la fermette désaffectée des slovaques, voisine de Basile et son oncle.


Chacun de ces récits a ses zones d'ombre et ses joies, et leur interaction devient de plus en plus évidente jusqu'au dénouement. Emmanuelle est le grain de sable dans l'engrenage. Mais quels sont les liens entre tous ces personnages et leurs histoires ? C'est ce que je vous invite à découvrir si vous avez envie d'une ambiance de tempête de neige enrobée d'un soupçon de vieilles croyances version bête du Gévaudan, de fantômes, de vieilles haines mais aussi d'humanité, de secrets que l'on croyait enterrés, de modernité, de baumes sur les plaies.


L'histoire avance à un rythme régulier, tout en maintenant un certain suspense - même si j'avais compris la plus grande partie du mystère dès les premiers chapitres. J'ai bien aimé l'ambiance toute simple de cette lecture enneigée, ouatée et brumeuse, où l'amour viendra réchauffer l'atmosphère glaciale d'une montagne prise d'assaut par une bien étrange tempête de neige, mêlée de sentiments contradictoires, tournoyant et planant au dessus des personnages telle une sourde menace. En 350 pages, la plume enlevée nous implique dans la vie des personnages qu'elle anime.


J'ai également apprécié découvrir la profession d'Emmanuelle, ou encore la manière dont nous sont décrites les interventions des dameuses la nuit sur les pistes enneigées. La plume est simple mais apporte ce qu'il faut d'humour, de liant et d'empathie. Je n'en dis pas plus. Roman d'hiver par excellence, à lire au coin du feu tandis que « les flocons, au dehors, cognent aux carreaux tels des insectes fous ».
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«  Toute cette blancheur qui venait couvrir le monde tel un linceul recelait du malheur, il en était sûr.Il craignait sa venue comme un enfant qui a peur du noir redoute l'arrivée de la nuit » .
«  le vieil homme enviait les arbres . Leur faculté à se retirer du monde à l'approche de l'hiver , à figer la course du temps dans le coeur des racines avant de laisser la sève gorgée de vie affluer de nouveau vers leurs branches à l'arrivée des beaux jours le fascinait , Une existence passée à mourir pour mieux ressusciter » ...
Deux extraits significatifs de ce beau livre dévoré en quelques heures , je remercie chaleureusement Masse Critique privilégiée et Babelio pour son envoi .
J'ai tout aimé: l'histoire , l'atmosphère oppressante , intrigante, pesante de ce huit- clos montagnard , l'immersion dans une vallée perdue où des zones d'ombre , des noirceurs comme «  La bête partout dans les esprits » côtoient la blancheur immaculée de la neige ,un épais rideau neigeux tel un duvet froid où dehors le ciel floconnait et floconnait sans cesse .


C'est l'histoire de Germain Grosdemange , un octogénaire ronchon, grognon , voûté , perclus de douleurs , ancien bûcheron force de la nature .
Il vit seul , depuis le décès de sa femme Cécile , rétif aux conseils de sa fille unique Françoise , et de son gendre Eric , passant son
temps à repousser leurs tentatives à lui imposer une vie plus saine jusqu'à le menacer d'un placement en EHPAD.
Refermé sur lui- même , lisant les arbres et leurs essences de la même manière que d'autres lisent des livres , passant d'un cerne à l'autre , comme on toune des pages : il interroge ces géants à travers leurs cernes comme des tranches de vie , à l'ombre de sa cave ......
Un homme pétri de mystères , de secrets enfouis au creux de sa mémoire , amoureux de ses essences de bois que l'arrivée d'une voisine Emmanuelle , dameuse de pistes bouleversera .

Deux histoires en parallèle à trente ans de distance,, l'une en 1976 : le journal de Paulina Radovic, mariée à Dragan , ancien légionnaire installé à Valjoux dans l'idée de vivre de balades à traîneaux tirés par des chiens , projet hélas mort - né , l'autre en2015 , année où Basile , petit neveu de Germain qui l'héberge pour un temps , lui aussi dameur de pistes qui tente de sortir doucement d'un cauchemar après un dramatique accident survenu deux ans plus tôt ....
Je n'en dirai pas plus .
lL'auteur se révèle un merveilleux conteur, l'écriture est agréable , fluide , la narration équilibrée , bien conçue et construite , plaisante , tout y est : drame rural, zeste de fantastique , bête qui rôde, personnages truculents , insolites et forts , décrits au petit point , une intrigue qui nous emporte , des émotions à la pelle , de la neige , beaucoup de neige, suspense entretenu jusqu'à la fin . ....

J'ai passé un très bon moment , je vais lire «  Le-liseur-du-6h27 » .
Grand merci à l'auteur !
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Citations et extraits (129) Voir plus Ajouter une citation
INCIPIT
« Journal de Pavlina Radovic (traduit du slovaque) Avril 1976
Deux jours, nous avons mis deux jours pour franchir les mille trois cents kilomètres qui nous séparaient de notre nouveau domicile. Dragan avait espéré boucler le parcours en moins de vingt-quatre heures, le temps qu’il lui avait fallu les fois précédentes pour atteindre sa destination. C’était sans compter la remorque et les chiens. Pendant ces deux jours de route, les bêtes n’ont pas cessé d’aboyer et de grogner d’excitation, les babines écumantes de rage, comme pressées d’en découdre avec un ennemi invisible. Nous avons traversé plusieurs pays, franchi des fleuves larges comme deux autoroutes, longé des villes immenses, des champs infinis, des collines couvertes de vignobles, des plaines verdoyantes parsemées de villages au nom imprononçable. À mi-parcours, l’un des pneus de la remorque a éclaté et nous avons failli verser dans le fossé. Je frissonne encore à l’idée que notre aventure aurait pu s’achever au milieu de nulle part dans un bas-côté rempli d’eau croupissante, coincés entre le rêve vers lequel nous roulions et la vie que nous venions de laisser dans notre dos. L’idée d’échouer si près du but, de devoir rebrousser chemin pour retourner au pays me faisait horreur. Retrouver cette vie étroite dans laquelle je me trouvais confinée, à barboter tel un poisson dans une mare devenue trop petite, m’aurait été insupportable. Avant de changer la roue, Dragan a dû calmer les chiens qui hurlaient à la mort. Plus loin, le voyant de surchauffe moteur nous a contraints à un nouvel arrêt sur la première aire venue pour remettre du liquide de refroidissement. Les passages en douane nous ont beaucoup ralentis. Un temps précieux perdu pour des douaniers méticuleux, qui ont épluché un à un les carnets de vaccination des quatre malamutes et contrôlé leurs tatouages. Et à chaque fois l’obligation pour moi d’apaiser Dragan, de le raisonner, de lui dire que tout cela n’était rien, que l’arrivée à la maison, notre maison, n’en serait que plus belle. De la ferme, je ne connaissais que les rares photos qu’il m’en avait montrées. Plus que les clichés, c’est son enthousiasme contagieux qui m’a convertie à son projet. Ça et le besoin irrépressible d’aller respirer un autre air, de partir avant de me retrouver définitivement prisonnière de l’usine qui emploie tout le village, à mouler à longueur de jour des pièces comme mon père et mes frères, à respirer dans la fournaise et le fracas des presses ces horribles émanations de caoutchouc et d’huile chaude qui empuantissent l’atmosphère et que la plupart d’entre nous finissent par ne même plus sentir. Le jour où tu ne les sens plus, m’a dit une fois une collègue à la pause déjeuner, c’est qu’il est trop tard, que ton corps et ton esprit appartiennent totalement à l’usine. Depuis plus de quinze ans que j’y bosse, l’opératrice de fabrication que je suis ne manque jamais de vérifier chaque matin à son arrivée que son nez parvient encore à percevoir la puanteur. Toutes ces années passées à attendre Dragan, je me suis raccrochée à cette puanteur comme on se raccroche à une douleur qui nous rappelle qu’on est toujours vivant, que la mort n’a pas gagné, pas encore. Le mariage, les papiers, tout est allé si vite. Pour l’argent, je n’ai jamais vraiment su d’où il venait et je préfère ne pas savoir. Je n’ai pas posé de questions. Trop peur des réponses. L’argent n’a jamais été un problème pour Dragan, ni avant ni après la légion. Parti à vingt-deux ans pour s’engager, il est revenu à trente-six comme s’il était parti la veille, avec, glissé dans son portefeuille, son Sésame pour la France, une carte de résident que les quatorze années passées sous le béret vert lui avaient accordée. Un beau matin, il était là, devant la maison, à piétiner sur le trottoir, fumant cigarette sur cigarette en attendant de trouver le courage d’aller demander ma main au vieux. Il a connu des guerres, je le sais. L’Algérie, le Tchad et bien d’autres encore, toutes plus sanglantes les unes que les autres. Comme pour l’argent, je n’ai pas posé de questions sur ce trou de quatorze ans dans lequel il lui arrive de se noyer parfois. Des absences pendant lesquelles son regard se fait lointain et son corps s’avachit sur lui-même, vidé de ses forces. Je n’aime pas ces absences. Toujours cette crainte au fond de moi qu’un jour il n’en revienne pas. Depuis notre départ, le sac de toile ne m’a pas quittée et pèse agréablement sur mes cuisses. De temps à autre, je sers contre mon ventre son contenu. Une trentaine de livres qui à eux seuls constituent toutes mes richesses. Je n’ai pas pu tous les emporter, il m’a fallu faire des choix, en abandonner certains pour en sauver d’autres. Des auteurs russes pour beaucoup. Là où mes amies passaient leurs maigres économies à s’étourdir d’alcool et de danses le week-end, jusqu’à l’abrutissement, j’ai toujours préféré trouver refuge dans les livres. Eux seuls possèdent ce pouvoir fantastique de m’arracher, le temps de la lecture, à la fange dans laquelle je me débats à longueur de jour. La forêt nous a engloutis à la tombée de la nuit. Un corridor d’immenses sapins noirs de part et d’autre du ruban d’asphalte. La route a serpenté sur plusieurs kilomètres à flanc de montagne. De temps à autre, une trouée dans la forêt nous laissait entrevoir en contrebas les lumières de la plaine que nous venions de quitter. Les virages en lacet ont fini par me donner la nausée. Le 4X4 a franchi le sommet du col avant de basculer vers la vallée qui scintillait comme si la main d’un géant avait semé au pied de la montagne une multitude de diamants. Lorsque le panneau d’entrée du village a surgi dans les phares, j’ai crié de joie malgré mon cœur au bord des lèvres et applaudi comme une gamine. La Voljoux. J’aime ce nom qui contient tous nos espoirs. Ça sonne comme bijou, caillou, chou, genou, hibou, mes premiers mots appris en français. Je les ai répétés dans la voiture en chantonnant, bijou, caillou, chou, genou, hibou, Voljoux, encore et encore, jusqu’à ce que Dragan me demande d’arrêter. Tu es encore plus excitée que les bêtes, il a dit en souriant. J’aime lorsqu’il sourit, son visage s’éclaire de l’intérieur. Après avoir traversé le village endormi, nous avons gravi le versant opposé et puis la ferme était là, posée au milieu du pré, à moins de vingt mètres de la route. Une masse sombre ramassée sur elle-même, comme écrasée par son propre toit et qui se découpait sur l’herbe éclaboussée par l’éclat laiteux de la lune. La clef serrée dans le creux de ma main avait pris la chaleur de ma paume. Comme si elle rechignait à s’ouvrir, la porte a gémi sur ses gonds lorsque Dragan l’a poussée. L’interrupteur a émis un claquement sec, sans résultat. Le courant n’avait pas été rétabli malgré la demande faite auprès de la compagnie d’électricité. Il a encore actionné le commutateur à deux reprises avant de cracher un juron. Kurva! Nous sommes entrés chez nous tels des voleurs. La ferme s’est révélée à moi par petites touches à travers le faisceau de la torche. Le cercle de lumière jaune a glissé sur le papier peint des murs, rampé sur le carrelage du couloir, s’est promené sur le formica des meubles de la cuisine. Ma nausée a redoublé d’intensité lorsque l’odeur de moisissure et d’humidité emprisonnée derrière les volets clos s’est engouffrée dans mes narines. J’ai vomi dans l’évier en pierre un long jet acide. Le robinet a hoqueté par deux fois avant de crachoter un filet d’eau glaciale. Je me suis aspergé le visage et ai bu à même le col de cygne pour éteindre l’incendie dans le fond de ma gorge. Dragan s’est occupé des chiens puis s’est effondré sur le matelas posé sur le sol de la chambre, ivre de fatigue. Il m’a fallu du temps pour trouver le sommeil. Il y avait ce mot qui tournoyait dans ma tête comme une mouche dans un bocal, ce premier mot prononcé par Dragan dans la maison, un juron qui avait résonné désagréablement à mes oreilles avant que la nuit ne l’avale : kurva. Un mot étranger qui n’avait pas sa place ici.
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chaque réveil est un enchantement. Dans la lumière coupante du petit matin, je ne me lasse pas du paysage qui s'offre à notre vue. Il n'est pas rare de surprendre au lever du jour dans le grand pré au-dessus de la ferme des chevreuils broutant l'herbe grasse au sortir du sous-bois. De l'avancée en terrasse devant la maison, on devine le village en contrebas grâce au clocher de son église qui perce de sa flèche la brume emprisonnée par la fraîcheur de la nuit dans le fond de la vallée.
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Les premières gouttes se sont ruées sur le feuillage moribond des arbres en crépitant violemment, avant que les trombes ne s'abattent sur le massif et cascadent des des versants de la montagne pour aller grossir le lit de la Voljoux, noyant ses pierres rassasiées de soleil.
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Clothilde aimait consigner les choses, des choses aussi insignifiantes que la chute des premiers flocons. De la même manière elle se plaisait à s’emprisonner l’existence dans un corset d’habitude, le feuilleton télé du début d’après-midi, la séance de cinéma du lundi avec les amies, les cours de poterie du mardi soir, le marché du mercredi matin, la médiathèque le vendredi, la pâtisserie du dimanche, autant d’œillets où glisser le lacet pour bien enserrer les jours, et avancer d’un rendez-vous à un autre sans avoir à contempler l’abîme du temps qui passe.
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Germain lisait les arbres de la même manière que d’autres lisent les livres, passant d'un cerne à un autre comme on tourne des pages, sans autre prétention que celle d’interroger les géants sur la marche du temps, à la recherche d’une certaine logique dans ces successions concentriques. L'arbre du jour présentait soixante-quatre cernes. Après un rapide calcul, l'octogénaire inscrivit sur le registre l’année où l'arbrisseau était sorti de terre: 1951. Une rapide consultation de l'encyclopédie chronologique lui apprit que le hêtre qu'il avait sous les veux avait pointé ses premières feuilles l'année de la mort de Pétain. p. 73-74
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Videos de Jean-Paul Didierlaurent (20) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jean-Paul Didierlaurent
Book trailer de Malamute de Jean-Paul Didierlaurent aux éditions Au diable vauvert. Entre drame rural et huis-clos montagnard sous la neige : Après le liseur du 6H27, JPDL revient avec un conte moderne merveilleux. « À son admirable talent de conteur, JP Didierlaurent ajoute ici un sens éblouissant du tragique. » Bernard Lehut – RTL « À la croisée du roman réaliste, du roman familial et du conte. Brassant d'un même mouvement passé et présent, rudesses de la nature et abîmes de l'intime, prosaïque et merveilleux. Une nouvelle réussite d'écriture. Jean-Claude Lebrun – L'Humanité
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