Citations sur Une vie française (227)
Ce document authentique () racontait mieux l'Amérique que ne l'auraient fait dix mille livres.
"Transcription d'une communication radio entre un bateau de la US Navy et les autorités canadiennes au large de Terre-Neuve.
Américains : Veuillez dévier votre route de 15° nord pour éviter une collision. A vous.
Canadiens : Veuillez plutôt dévier VOTRE route de 15°sud pour éviter une collision. A vous.
Américains : ICI C'EST LE PORTE-AVION USS LINCOLN, LE SECOND NAVIRE EN IMPORTANCE DE LA FLOTTE NAVALE DES ETATS-UNIS D'AMERIQUE, NOUS SOMMES ACCOMPAGNES PAR TROIS DESTROYERS, TROIS CROISEURS ET UN NOMBRE IMPORTANT DE NAVIRES D'ESCORTE. JE VOUS DEMANDE DE DEVIER VOTRE ROUTE DE 15° NORD OU DES MESURES CONTRAIGNANTES VONT ETRE PRISES POUR VOUS ASSURER LA SECURITE DE NOTRE NAVIRE. A VOUS.
Canadiens : Ici c'est un phare. A vous.
Américains : Silence"
C'était un travail comme il en existe des milliers, sans intérêt, une sorte de chaîne administrative, survivance d'un autre siècle, un emploi simplement misérable qui grignotait votre vie, sorte de petit cancer salarié qui ne vous pas, mais simplement, jour après jour, paralysait les muscles du bonheur.
Telle était ma famille de l'époque, déplaisante, surannée, réactionnaire, terriblement triste. En un mot, française. Elle ressemblait à ce pays qui s'estimait heureux d'être encore en vie, ayant surmonté sa honte et sa pauvreté. Un pays maintenant assez riche pour mépriser ses paysans, en faire des ouvriers et leur construire des villes absurdes constituées d'immeubles à la laideur fonctionnelle. En même temps, les boîtes des automobiles passaient de trois à quatre vitesses. Il n'en fallait pas plus pour que le pays tout entier fût convaincu d'avoir enclenché la surmultipliée.
Nous avons tous la faiblesse de croire que chaque histoire d'amour est unique, exceptionnelle. Rien n'est plus faux. Tous nos élans du cœur sont identiques, reproductibles, prévisibles. Passé le foudroiement initial, viennent les longues journées d'habitude qui précèdent le couloir infini de l'ennui. Tout cela est embossé dans le creux de nos cœurs.
Une vie n'est jamais que ça. Un exercice de patience, avec toujours un peu de vase au fond du vase.
La politique représentait, pour elle, une activité réservée aux retraités ou aux snobs, un divertissement à mi-chemin de la philatélie et du golf. Il fallait avoir du temps, disait-elle, pour s'intéresser à des hommes qui ne s'intéressaient jamais à vous.
La vie n'est rien d'autre que ce filament illusoire qui nous relie aux autres et nous donne à croire que, le temps d'une existence que nous pensons essentielle, nous sommes simplement quelque chose plutôt que rien.
La première fois que j'avais vu mon père faire apparaître une image aux sels d'argent dans le révélateur et, ensuite, la fixer dans un bain d'hyposulfite, je l'avais réellement pris pour un magicien doué de pouvoirs surnaturels. Et je crois, véritablement, que c'est ce tour de prestidigitation qui m'a donné, ensuite, le goût de faire apparaître des images à partir de rien. De recréer des bouts de monde à ma mesure. Des instantanés païens, des fragments de vie à la fois immobiles et tellement proches de l'idée que je me fais de l'humanité.
Plus j'y repense, plus il m'apparaît comme une évidence que c'est ce moment de mystère et de grâce entre un père et son fils qui fit de moi ce que je suis ensuite devenu.
Je songeais à tous les miens. En cet instant de doute, au moment où tant de choses dépendaient de moi, ils ne m'étaient d'aucune aide, d'aucun réconfort. Cela ne m'étonnait pas : la vie n'était rien d'autre que ce filament illusoire qui nous reliait aux autres et nous donnait à croire que le temps d'une existence que nous pensions essentielle, nous étions simplement quelque chose plutôt que rien.
Jamais, sans doute, n'y eut-il , dans l'histoire, une rupture aussi violente, brutale et profonde dans le continuum d'une époque. 1968 fut un voyage intergalactique, une épopée bien plus radicale que la modeste conquête spatiale américaine qui ambitionnait simplement d'apprivoiser la Lune. Car en ce mois de mai, il s'agissait ni plus ni moins que d'embarquer, au même moment, sans budget particulier, ni plan concerté, ni entraînement, ni fuhrer, ni caudillo, des millions d'hommes et de femmes vers une planète nouvelle, un autre monde, où l'art,l'éducation, le sexe, la musique et la politique seraient libérés des normes bornées et des codes forgés dans la rigueur de l'aprés-guerre.