Citations sur Une vie française (233)
Comme ces solides ouvrages maçonnés, elle pouvait supporter sans broncher la pression d'une lourde masse de ressentiments, mais lorsque ceux-ci atteignaient le seuil critique, c'était alors l'ensemble de la pièce d'eau qui, de toutes parts, dégorgeait de cet excès de charge.
J'en ai aussi longtemps voulu à mes parents de ne pas remettre ce personnage à sa place, mais il est vrai qu'à l'époque il était normal d'endurer stoïquement la torture des ascendants, fussent-ils de francs salopards.
Je n'ai jamais prié. Ni compris ces simagrées consistant à mettre un genou en terre et à supplier quand il n'y a nulle oreille pour vous entendre.
Les parents de Marie, ouvriers tous les deux, avaient eu six enfants. Ils les avaient maintenus à l'école jusqu'à l'âge légal et les avaient ensuite lâchés dans la vie, laissant opérer la sélection naturelle. Les plus débrouillards avaient survécu. Les autres, trois garçons, s'étaient engagés dans la police et dans l'armée.
L'amour est l'un de ces sentiments sophistiqués que nous avons appris à développer. Il fait partie des divertissements opiacés qui nous aident à patienter en attendant la mort.
Partager la vie, ou simplement voyager en compagnie de footballeurs professionnels est une expérience déprimante, dommageable même. Quand ils n'exercent pas leur métier, quand ils arrêtent l'entraînement, ces gens-là n'ont plus que deux idées en tête: faire des siestes et jouer aux cartes. En général au tarot. Ces athlètes au corps surpuissants ont des loisirs et des vies privées de nourrisson. Ils s'arrangent d'ailleurs pour épouser très vite une nurse blonde, hâtivement peroxydée, qu'ils tètent raisonnablement avant de dormir et dormir encore, pendant qu'elle veille sur leur carrière de pousseurs de ballon.
Au-dessus de la nationale, les platanes bâtissaient une voûte végétale qui n'avait rien à envier aux prétentions des cathédrales. Autrefois, toutes les routes du Sud étaient ainsi, bâchées de larges feuillages. Voyager était alors une partie de plaisir, une sorte de prélude à la sieste.
Perdre un enfant, ne serait-ce que par fragments, est une ordalie. Une épreuve quotidienne dépassant l'entendement des dieux et celui des humains. C'est un tourment qui ne finit pas, un poids qui n'écrase pas les épaules mais, plus insidieusement, pèse à l'intérieur de nous-mêmes et enserre le cœur.
A l'entendre ainsi monologuer avec autant de verve, se livrer sans retenue, j'en conclus qu'elle aussi, quoi qu'elle en dît, devait payer un lourd tribut à la solitude.
Vous savez, Paul, ces saloperies de religions et leur misérable idée de Dieu ont fait de nous une espèce stupide et servile, des sortes d'insectes génufléxibles...