Au-dessus de la nationale, les platanes bâtissaient une voûte végétale qui n'avait rien à envier aux prétentions des cathédrales. Autrefois, toutes les routes du Sud étaient ainsi, bâchées de larges feuillages. Voyager était alors une partie de plaisir, une sorte de prélude à la sieste.
Il y avait toujours un de ces arbres qui à lui seul englobait toute la majesté et les caractéristiques de son espèce, "s'imposait comme une évidence et éclipsait la forêt".
Nous étions à quelques mois du nouveau millénaire et, submergé par ses fièvres consuméristes, le monde occidental s'offrait le luxe de quelques frissons d'ordre technologique. Outre d'imminentes apocalypses boursières, quelques hurluberlus visionnaires nous promettaient, de-ci de-là, un déluge de fléaux et autres châtiments informatiques.
Malgré mes postures désinvoltes, j'avais à l'époque un profond désir de stabilité, le goût d'aimer une femme unique, le plus longtemps possible.J'avais même une idée très précise de cette compagne idéale: une fille qui ressemblerait à Sinika et penserait comme mon frère Vincent, qui serait capable de m'aimer, de me secouer, aussi, quand je faisais fausse route,avec qui je pourrais jouer , bricoler, fumer de l'herbe, dormir dehors, à qui je pourrais raconter l'histoire sacrée du carrosse, parler de l'appartement maudit, et auprès de qui, jamais, je ne ressentirais le fardeau d'être en vie.Ni la peur de mourir seul.
Quand j’étais petit, on ne mettait jamais sa ceinture dans une automobile. Tout le monde fumait partout. On buvait au goulot en conduisant. On slalomait en Vespa sans casque. Les gens baisaient sans capote. On pouvait dévisager une femme, l’aborder, essayer de la séduire, peut-être de l’effleurer, sans risquer de passer pour un criminel. La grande différence entre mes parents et moi : dans leur jeunesse les libertés augmentaient, durent la mienne elles n’ont fait que diminuer, année après année.
Sans doute avait-il décrété que son image de bienveillant propriétaire n'avait rien à gagner dans la fréquentation d'un sous-fifre supposé libidineux et donc chacun supputait qu'il avait trouvé place dans la rédaction grâce à un coup de braguette magique.
Comme ces solides ouvrages maçonnés, elle pouvait supporter sans broncher la pression d'une lourde masse de ressentiments, mais lorsque ceux-ci atteignaient le seuil critique, c'était alors l'ensemble de la pièce d'eau qui, de toutes parts, dégorgeait de cet excès de charge.
J'en ai aussi longtemps voulu à mes parents de ne pas remettre ce personnage à sa place, mais il est vrai qu'à l'époque il était normal d'endurer stoïquement la torture des ascendants, fussent-ils de francs salopards.
Je n'ai jamais prié. Ni compris ces simagrées consistant à mettre un genou en terre et à supplier quand il n'y a nulle oreille pour vous entendre.
Les parents de Marie, ouvriers tous les deux, avaient eu six enfants. Ils les avaient maintenus à l'école jusqu'à l'âge légal et les avaient ensuite lâchés dans la vie, laissant opérer la sélection naturelle. Les plus débrouillards avaient survécu. Les autres, trois garçons, s'étaient engagés dans la police et dans l'armée.