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EAN : 9782383110088
224 pages
Les Avrils (24/08/2022)
3.97/5   66 notes
Résumé :
Ça l’a surpris tout gosse, ce virage du hasard ; rien ne le prédestinait à devenir champion. Repéré à douze ans pour son talent au triple saut, Victor quitte sa petite ville, son père ouvrier, leur duo-bulle. L’aventure commence : entraînements extrêmes, premières médailles, demain devenir pro, pourquoi pas les JO ? Victor court, saute, vole. Une année après l’autre, un sacrifice après l’autre. Car dans cette arène, s'élever vers l'idéal peut aussi prendre au piège.... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (40) Voir plus Ajouter une critique
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°°° Rentrée littéraire 2022 #50 °°°

Arnaud Dudek a trouvé le ton juste pour disséquer la passion dévorante d'un jeune homme confronté à la pression du haut niveau. Victor a une révélation à douze ans en observant à la dérobée un athlète s'entraînant dans un parc. Puis en regardant à la télévision un sauteur cubain s'envoler lors d'un concours de saut. Il fera de l'athlétisme, puis se spécialisera dans le triple saut, avec une rigoureuse dévotion. Une quasi religion exigeant des sacrifices, mais jusqu'où ?

Si les personnages secondaires sont quelque peu convenus ( le papa solo ouvrier alcoolique, la maman abandonnante qui n'a jamais essayé d'être maman, le meilleur ami cool et friqué, la petite amie patiente mais dépassée ) et peu approfondis, celui de Victor est réellement attachant. On le suit dans son parcours sportif jusqu'à sa chute, au plus près de ses émotions et ressentis, cherchant à échapper à un quotidien triste et un avenir platement tracé.

« Il y a toujours une bonne raison de se faire mal, pense Victor en se massant les poignets. Pour braver le grand ventre du néant. Pour oublier les rires sales qui ont planté leurs crocs dans nos muscles. Pour défier les peurs qui grignotent nos nuits. Pour cela à la fois et pour tout le reste. Les premiers tours de piste l'ont plongé dans un sentiment de profond décentrage, mais il est parvenu à s'ajuster à son corps, à s'y réinstaller, à coïncider à nouveau avec sa chair. Il se sent mieux, à présent. Presque bien. »

Le lecteur est en totale empathie avec ce jeune triple sauteur doué, broyé par le harcèlement moral d'un coach maltraitant, thématique de moins en moins tabou depuis que des sportifs de la vie réelle ont osé briser la loi du silence et dénonçant des pratiques scandaleuses. Même un lecteur peu féru de sport trouvera une résonance à la question universelle de la confrontation idéaux / réalité, tant l'auteur décrit parfaitement les coulisses du sport entre blessures physiques morales et blessures physiques.

Arnaud Dudek va à l'essentiel. La construction narrative épouse pertinemment les différentes étapes techniques du triple saut : « course d'élan », « premier saut », « deuxième saut », « troisième saut », « suspension » et « réception ». Si les quatre premières parties sont assez attendues dans leur déroulé du parcours de Victor, la dernière, la plus courte, surprend, touche par sa lumineuse épure qui met en valeur la prose précise et sensible, une très belle façon de conclure ce roman initiatique construit dans la douleur de l'effort et du sacrifice.
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Arnaud Dudek un auteur que je rencontre pour la première fois. Il paraît que dans la plupart de ses livres il aborde des thèmes tels que l'enfance, l'identité, la fuite.
De la fragilité des pères à la construction des fils, il nous tisse ici une histoire de père ouvrier alcoolique qui élève seul son fils unique, la mère aux abonnés absents étant juste entrevue. Un fils qui grâce à son talent sportif va essayer de sortir d'un cadre de vie déjà tout assigné. Mais arrivent vite les clichés. Il se fait un copain d'une famille très aisée et normale, enfin plus normale que la sienne, une nana superbe au nom de Calypso, de très bonne famille à qui tout réussit s'en entiche, et comment ,”Un courant électrique la traverse soudain. N'essayons pas de comprendre. Il ne s'agit pas d'électrons qui circulent dans un sens, de câbles, de dynamos, de machins dans ce genre. Il s'agit d'un corps qui bouge, de cheveux qui se soulèvent, et qui produisent, dans un autre corps, à plusieurs mètres de distance, ce que l'on peut désigner comme de la chaleur”. Elle est dans les tribunes , lui court dieu sait à combien de mètres en bas….. 😁.
C'est la voix, le style qu'il faut trouver dit Dudek, car le sujet n'a rien de nouveau, mais à vrai dire c'est justement sa voix et son style qui ne m'ont pas du tout emballée . Et cela ne m'étonne guére vu qu'il considère une merveille le livre de Guy Boley «  Quand Dieu boxait en amateur » dont je n'ai aimé ni la voix , ni le style. Ici , même style imagé forcé, alambiqué , maladroitement exprimé à mon goût, où les phrases trop longues ou au contraire faussement simples en rajoutent. Un air de Ravey pour les simples, mais ce n'est pas du Ravey malheureusement .
J'ai sentie aussi peu d'émotion et d'empathie pour les personnages, trouvé sans profondeurs et peu convaincants . Déjà que le protagoniste, le jeune sportif Victor reste flou, un type qu'on peut tirer dans tous les sens, celui de la mère est introduit à n'importe quel moment par le biais de circonstances sans queue ni tête. Elle apparaît en novice d'agente immobilière, disparaît , redonne signe de vie des mois plus tard par le biais d'une carte postale envoyée d'Inde…. le garçon chaque fois semble avoir mal puis il range ce mal quelque part très vite , et paf à la prochaine ! le reste du casting est esquissé, sans couleur.
Dudek va très vite avec ses histoires, trop vite, laissant deviner à travers une économie de mots un fait, un événement, qui rappelle à nouveau Ravey et là encore malheureusement ce n'est pas du Ravey , et j'avoue que je ne sais pas comment le qualifier 😁 ( en passant un auteur que Dudek vénère, moi aussi ) . Et pour en finir il nous balance un chapitre de temps en temps de Danuta, nana sportive professionnelle de haut-niveau qui délivre pensées et conseils, pour épicer le parcours de sportif haut-niveau de Victor, qu'ici franchement n'a rien de bien passionnant vu la façon que c'est raconté. Visiblement la discipline du triple saut que Victor a choisi pour échapper à son milieu, est étrangère à l'auteur qui pour combler sa lacune nous sort des infos style Wiki, auquel il consacre même un court chapitre
Dudek a la prose facile , trop facile. Il ne se fatigue pas trop pour approfondir ni l'histoire , ni les personnages , ni la structure et la fin est d'une philosophie à deux sous. En conséquence une lecture facile, pas déplaisante, mais dont on peut s'en passer aisément. Un livre vite lu , vite oublié.

Un grand merci aux éditions Les Avrils et NetGalleyFrance pour l'envoie du livre.
#Coeurarrière #NetGalleyFrance
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Un saut, deux sauts, trois sauts

Dans son nouveau roman Arnaud Dudek explore le monde du sport de haut-niveau en suivant Victor, jeune espoir du triple saut. L'occasion de rappeler que dans ce milieu aussi, s'il y a beaucoup d'appelés, il y a peu d'élus.

Il s'appelle Victor et vit avec son père ouvrier dans un pavillon triste d'un petit village. Sa mère n'est plus là, alors ils ont le temps d'installer leur petite routine, comme cette promenade jusqu'à la boulangerie. C'est en revenant par le parc qu'ils croisent un sportif d'une souplesse incroyable. L'image va marquer le garçon, de même qu'une retransmission télévisée.
Il décide son père à l'inscrire au club d'athlétisme du chef-lieu de département, à 15 kilomètres de chez eux. «Pour lancer, pour courir, mais aussi, mais surtout, pour sauter, c'est hyper méga bien, le saut en longueur.» Très vite, son entraîneur va se rendre compte des qualités exceptionnelles du nouveau venu, mais surtout qu'il n'a pas les moyens de polir ce diamant brut. Alors, il va demander à son ami Cousu de le prendre sous son aile. Avec ses bons résultats scolaires, Victor va pouvoir prendre la direction du lycée et de son internat, même si cela va provoquer une rupture avec son père. Cette fois les choses sérieuses commencent.
Car son entraîneur est un meneur d'hommes: «Médiocre coureur de fond, il a compris très tôt qu'il serait meilleur de l'autre côté: coach, détecteur de talents. 1,65 m, épaules étroites, regard bleu, il apparaît aussi effrayant qu'un écureuil. Mais il a une autorité naturelle. Un charisme exceptionnel. Il pose deux doigts sur son menton, prononce une phrase, un conseil, un avertissement, un ordre: on baisse les yeux, on rentre le ventre, on obéit sans poser de questions. Un type capable de mener un troupeau d'éléphants à travers la forêt vierge sans jamais élever la voix.» Cousu va faire du bon travail et faire progresser Victor dans l'une des plus exigeantes discipline de l'athlétisme, le triple saut. Ses triples bonds vont alors aller jusqu'à éveiller l'intérêt de la Team eleven, une structure privée qui se veut usine à champions et entend rentabiliser ses investissements, même si l'athlétisme reste un parent pauvre du sport, à l'exception des vedettes du 100m.
«Les concours se suivent et ne se ressemblent jamais. Les résultats de Victor sont en dents de scie, tout comme son moral.»
La troisième partie du roman, le troisième saut, est à coup sûr la plus réussie. Parce que c'est celle des choix essentiels, de l'amour qui s'oppose à la performance, de la pression du retour sur investissement, de la peur qui empêche de rester lucide. Après les trois sauts, il y a un moment de suspension qui précède la réception. La suspension durant laquelle tout est encore possible et qui peut transformer une vie. En racontant l'histoire de Victor, Arnaud Dudek montre non seulement qu'il a parfaitement compris l'intransigeance du sport de haut-niveau, que dans ce monde les élus émergent au coeur d'un troupeau de rêves brisés, d'espoirs déçus, de drames intimes qui, pour certains, seront impossibles à surmonter. Comme Icare qui se rapproche trop près du soleil et finit par chuter.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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Il ne suffit parfois que d'une simple promenade pour que notre chemin prenne une nouvelle direction. C'est comme ça que le petit Victor Valetudik, découvre l'athlétisme, discipline inconnue jusqu'alors pour lui. D'une simple passion, les performances du jeune garçon au triple saut l'emmena vers les plus hautes cimes mais garde à ce que le soleil ne lui brûle pas les ailes...

Voici un très bel ouvrage qui montre toutes les facettes auxquelles sont confrontées les sportifs. Derrière les articles publiés dans L Equipe ou les gazettes locales, le quotidien de ces athlètes est rythmé par les entraînements pour viser toujours plus haut. Bien plus qu'un mode de vie, le sport devient une religion dont Victor est devenu un véritable disciple.
En lisant "le coeur arrière", je me suis remémorée mes anciennes années de gymnaste et j'ai retrouvé de nombreuses sensations évoquées dans ce livre.

J'ai beaucoup apprécié la plume d'Arnaud Dudek qui nous offre un récit sensible où l'on s'attache très facilement aux personnages qui apportent énormément malgré leurs discrétions.

Je tiens à remercier Les Avrils, Arnaud Dudek et Netgalley France pour avoir accepté ma demande car j'ai passé un très bon moment de lecture qui m'a rappelé de nombreux souvenirs...
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Pratiquer un sport, rime souvent, même à un niveau amateur, avec dépassement de soi.
Se dépasser, Victor connait ça. Lui, c'est le sport à haut niveau qu'il a décidé de briguer. Décider. C'est discutable. Il vit dans une Cité, son père a un sérieux penchant pour l'alcool et sa mère, absente, quasiment absente, ce qui revient au même quand on découvre comment ça tourne pas rond dans sa tête. Alors l'envie de devenir un champion, ça s'explique peut-être par l'envie de s'extraire de ce milieu qui ne lui promet pas le plus extraordinaire des avenirs.
Il est détecté. Il a un potentiel. Il est même très bon dans sa discipline : le triple saut.
Sauf que le haut niveau, c'est aussi un business. Loin de rimer avec tendresse, il s'associe davantage avec stress. Quand l'athlète s'élève au rang d'investissement, la bienveillance peut déserter le terrain, et l'estime de soi, la confiance en soi avec. Et  les conséquences, bien souvent irréversibles. C'est dommage. Il était vraiment doué le petit. Entièrement dévoué à son sport. Lui offrant sa jeunesse délibérément. Quand on aime on ne compte pas les souffrances. 
Heureusement, il y a le pote, et l'expérience amoureuse pour qu'une étreinte avec la vie en toute simplicité s'envisage de nouveau, peut-être...
Le Coeur arrière, quelle belle image, quel beau titre, rend un bel hommage à ces sportifs qui ne comptent pas les heures d'entraînement, de perfectionnement, qui se donnent à fond. Une belle réflexion sur la santé mentale des athlètes de haut niveau. 
Une lecture qui n'a pas été sans me rappeler celle du livre de Mathieu Palain, mais dans un style complètement différent. 
Une première approche idéale, pour les novices, pour appréhender le sujet du haut niveau et ses impacts sur la vie et le mental  des sportifs. Pour approfondir mes connaissances sur le sujet, je me tournerais bien vers des autobiographies de sportifs de haut niveau. 
Si vous avez des conseils, je suis preneuse.

« ... il explique que son existence est monomaniaque, monothéiste, mais pas monotone. Entrainement, compétition, entrainement, compétition. Quand il ne saute pas dans un stade, il regarde des émissions sportives, visionne au ralenti les triples bonds de champions, lit les pages « athlétisme » de L'Equipe. »

« ...il y a autre chose, autre chose de plus grand qu'eux, il y a ce sac de sport qu'il porte en bandoulière, et puis tous ces poids qui lestent ses poches, elle ne sait pas, elle ne sait vraiment elle saura lutter contre tout ça. »
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critiques presse (1)
LaCroix
02 janvier 2023
Arnaud Dudek brosse le portrait tout en nuances de Victor, une graine de champion de triple saut, confronté à la rudesse des entraînements et à la fragilité de son être.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (31) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Un père et son fils paraissent rue des Tourterelles, en provenance de la rue de la Cendrée. C’est un joli dimanche matin avec soleil brillant et vent frais, qui mériterait un vin blanc gras en bouche, un plaid en tartan et une chaise en résine tressée – mais un dimanche matin creux comme un bambou au bout du compte, parce qu’il n’y a ni plaid, ni vin, ni chaise à l’horizon. Le père et le fils viennent d’acheter, à la boulangerie située en face de la mercerie qui a fait faillite deux ans plus tôt et arbore un panneau À louer rouge, deux baguettes pâles et un chausson aux pommes. Même allure, même silhouette, même douceur dans le regard, même paire d’yeux verts aux longs cils. Regardez-les reboutonner leur manteau. Regardez-les ajuster écharpe et tour de cou. Regardez-les reprendre leur marche rapide. C’est le père qui porte les baguettes ; cheveux grisonnants aux tempes, visage émacié, une bonne vingtaine d’années d’excès en tous genres – vitesse, alcool et tristesse principalement. Le fils s’appelle Victor ; c’est lui qui s’occupe du chausson aux pommes. S’il ressemble beaucoup à son père, il a tout de même pris la fossette au menton d’une mère qui n’est plus dans les parages depuis un moment.

D’ordinaire, ils rentrent chez eux par le quartier des Cimes, la rue des Perdrix, la rue Anatole-France et l’allée des Mûriers, hop, numéro 15, clé, serrure. Aujourd’hui, le père choisit d’innover :

– Viens, dit-il au fils, on prend à droite.

La droite, c’est le parc de l’Arbre-Sec ; cela allonge un peu, cinq bonnes minutes, mais le chemin est nettement plus agréable. L’annonce de l’entorse à leurs habitudes laisse Victor indifférent. Même pas un mouvement d’épaules. Cette décision, anodine de prime abord, se révélera pourtant décisive avec le temps.

À côté du saule pleureur centenaire que l’on croit surgi d’un conte de fées et que, chaque année, la mairie menace d’abattre avant de faire machine arrière parce que la population s’émeut, s’offusque ou pétitionne, il y a un sac. De sport. Orange. Orné d’une virgule noire. Bandoulière réglable, anse rembourrée, contenance 50 litres. Son propriétaire trottine quelques pas derrière, dans le carré de sable fin réservé aux sportifs, longs cheveux blonds, bandana, lunettes noires, combinaison rouge, jaune et bleu à larges emmanchures. D’un mouvement fluide, le jeune athlète s’étire, s’approche du sac, prend une serviette, s’éponge le visage, sort une gourde, boit une longue gorgée de ce qui pourrait être une boisson énergétique qui améliore la capacité musculaire et l’endurance pendant l’effort. Il replie sa serviette avec soin, la range dans le sac, y glisse avec le même soin sa gourde et ses lunettes noires.

Puis il se plie en deux.

Littéralement.

Cette souplesse, cette facilité, ce regard : il ne s’agit pas d’un sportif du dimanche, se dit Victor. Cet homme égaré près du saule pleureur, c’est autre chose. Père et fils s’arrêtent pour le regarder courir, talons-fesses, talons-fesses, talons, faire dix fois le tour du grand carré de sable qui abrite habituellement des parties de football de septième division ou des concours de pétanque plus propices aux palabres qu’aux records, fesses-talons, fesses.

La durée d’entraînement joue-t-elle sur la performance ? se demande Victor en le suivant du regard. Dans seulement 1 % des cas, a conclu une étude que Victor n’a jamais lue, évidemment, puisque c’est encore un enfant, les chercheurs ont souligné qu’au plus haut niveau, outre les différences physiologiques influencées par les gènes, la personnalité, la confiance et l’expérience font la différence. Expérience, confiance, personnalité : l’athlète blond n’en manque pas, aucun doute là-dessus. Il doit multiplier les meetings, les exhibitions, les compétitions, il doit gagner sa vie en courant, en sautant, en lançant. Un champion. Un vrai.

Mon salaire ne suffit sûrement pas à payer ses chaussures fluorescentes, songe le père. Il doit avoir pas mal de médailles dans ses tiroirs, suppose le fils. Oublié le pain mou et le chausson aux pommes ; une lumière s’est glissée dans leur ombre, et tous deux s’en nourrissent.

Tiens, le jeune homme accélère, des foulées souples, élastiques. Son buste se bombe, sa course prend encore plus d’amplitude, ses genoux montent. Son pied droit griffe soudain le sol, et voici qu’il rejoint l’air, oui, voilà qu’il vole durant quelques fractions de seconde – avant de redresser son train d’atterrissage, puis de se réceptionner dans le bac à sable presque trop petit pour lui.

– Étrange, murmure le père en haussant les épaules.

Les sourcils de Victor, douze ans, 1,60 m et 43 kilos, se transforment quant à eux en accents circonflexes.

Plus tard, le père fait griller des steaks hachés dans une vieille poêle, met la table pour deux en veillant à aligner parfaitement couteaux et fourchettes, hop, une feuille de Sopalin en guise de serviette, c’est parfait, on se croirait dans un restaurant bistronomique. Victor, lui, se dit que cela doit être extraordinaire de courir, puis de s’élever ainsi. On doit se prendre pour le fils du vent.
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Il y a de nombreux moments de cette couleur dans l’enfance de Victor, des instants bleu pâle, vert pâle, des scènes tout à la fois vides et pleines, avec ses deux copains, des moments qui finissent par devenir transparents vers 19 heures, quand tout est dit, tout est fait ; Victor a tout gagné, tout est plié, les billes, le foot et le reste, alors c’est l’heure de prendre la douche, l’heure de mettre la table en soupirant, on se sépare d’une poignée de main molle, salut les gars, puis Victor retrouve le silence de la maison et de son père. C’est l’été malgré tout, la lumière dorée souhaite une bonne nuit aux moustiques et aux troènes, le sommeil chasse l’ennui, on rêve des montagnes que l’on veut gravir, des chemins qui feront quitter une commune de cinq mille huit cent cinquante-six habitants qui se compose de trois hameaux distincts, a été pillée par l’armée française de Louis XIV, s’est développée grâce à l’activité de l’industrie charbonnière, compte deux lignes de bus, et affiche un taux de chômage deux fois supérieur à la moyenne du pays. Qu’ils rêvent, Victor, les Rojas et les autres, parce qu’il n’y a rien de mieux à faire par ici. Rêver, ce n’est déjà pas si mal.
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Victor ignore par quels états, par quels tourments il va passer. Il est jeune, doué, déterminé mais relativement naïf, il pense que sa bonne étoile ne peut pas pâlir, mais voilà, elle est tellement complexe, la vie, tout à la fois plume d’oiseau et instrument de torture, couette en duvet d’oie et bombe à fragmentation, cœur gravé sur un tronc de hêtre et feu de forêt criminel, abécédaire poétique et discours négationniste, confiture fraise-litchi et page Wikipédia recensant les personnes mortes d’un cancer du pancréas, lumière ambrée, ténèbres bancales, dunes blanches et foyers d’accueil médicalisés, il faut la prendre avec soi, toute cette complexité, toute cette pagaille, ce yang, ce yin, toute cette beauté inexplicable, se dire qu’un jour les portes automatiques s’ouvrent en grand sur votre passage mais que, le lendemain, elles peuvent demeurer closes – et pour peu qu’un homme de ménage ait fait du zèle, qu’il ait rendu cette porte absolument transparente, on peut s’y écraser, oui, se la prendre en pleine figure.
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Le dossard 245 s'élance. Victor se lève. Une course rendue, hurle le commentateur, une course rythmée, et un saut long, long, long, À treize ans, Victor ignore que l'athlétisme devient un marché aux esclaves moderne, que les stratégies sont économiques avant d'être sportives. que l'effort est le carburant d'une immense machine à produire du spectacle. Victor ne sait pas que le sauteur en longueur qui l'émerveille à l'écran est en guerre contre sa fédération à cause d'une histoire d'équipementier et de sponsor - il ira, plus tard, perché sur la plus haute marche du podium, jusqu'à s'enrouler dans un drapeau, aucune once de patriotisme, non, il cachera ainsi le logs d'une marque qui n'est pas celle qui lui permet de vivre dans une luxueuse propriété de douze millions de dollar avec gymnase privé. Victor a bien le temps de découvrir les bassesses du sport. Il ne voit, à cet instant, que l'infinie beauté d'un homme qui se prend pour un aigle l'espace de quelques secondes, il quitte la terre, échappe à la gravité. Il ne voit que cette silhouette rouge sans défaut qui semble aspirée par le ciel, puis se pose aussi délicatement qu'une plume dans le sable du sautoir, sous les yeux et les objectifs de millions d'individus qui n'ont presque jamais quitté la terre. Les mains de Victor se sont posées devant sa bouche. Ses yeux brûlent; il les fronce comme s'il était placé en pleine lumière, ses grands cils vibrant continuellement. Sur ses rétines est encore imprimé le saut parfait de l'athlète cubain. 
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La vie, à l’Institut, est académique, réglée, millimétrée. On s’entraîne on étudie on s’entraîne on étudie on s’entraîne ; pendant ce temps-là, des gens s’occupent du reste. Dans ce curieux microcosme, des gamins motivés essaient de déployer le talent brut que des entraîneurs régionaux ont détecté chez eux pour échapper à leur sort, briser le signe indien, ne jamais remettre les pieds dans leur cité à 20% de chômage ou leur village abandonné, ne pas devenir leur mère, leur père, ne surtout pas reprendre le flambeau de la vie normale, de la vie médiocre, de la vie des cours d’immeubles et des zones d’activités commerciales, des Gifi et des Lidl, de Pôle emploi et des Caisses d’allocations familiales.
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Arnaud Dudek vous présente son ouvrage "Le coeur arrière" aux éditions les Avrils. Rentrée littéraire automne 2022.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2640899/arnaud-dudek-le-coeur-arriere
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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