"Un jour, un homme sortit d'un hangar. C'était un hangar vide, dans la banlieue est. C'était un homme grand, large, fort, avec une grosse tête inexpressive. C'était la fin du jour."
Ainsi débutent les aventures rocambolesques de Georges Chave. Contraint de sortir de sa léthargie, il entre au service d'une agence de détectives. C'est le début d'une série de poursuites : il doit pister une épouse volage, un perroquet rarissime et les héritiers d'une fortune ancienne. Mais le chasseur va progressivement devenir proie et s'enfermer dans un piège finement tissé. Il va cheminer dans la nébulosité des quartiers populaires de la banlieue parisienne et croiser toute une faune sinistre : affairistes sans scrupules, détectives minables, policiers incompétents, disciples d'une secte fantoche et autres Pieds nickelés.
Les décors grisâtres et les personnages louches s'emmêlent, le récit s'étoffe et étouffe un lecteur qui finit par se faire une raison : le roman noir n'est qu'un prétexte, une porte d'entrée dans un milieu interlope. Les filatures, les échanges de coups de poing ou de feu ne sont qu'un écran de fumée ; finalement, tout repose sur la virtuosité de l'écriture.
J'ai eu besoin de lire le roman une seconde fois pour pouvoir apprécier le style de l'auteur, une fois l'intrigue évacuée. Certains passages sont truculents. Voici la description de Crocognan, l'«homme grand, large, fort» présent dans l'incipit : « C'était un bar sombre et maigre, absolument désert, sans même un barman derrière le comptoir auquel, du haut d'un tabouret crevé, s'accoudait pesamment un seul consommateur : un être herculéen coiffé d'un chapeau mou qui ballotait sur son crâne comme un flan, avec un pull-over bleu roi et des socquettes vertes fluorescentes. » Si vous êtes calé en figures du style et si vous aimez herboriser les oxymores ou et autres paraboles, ce texte est fait pour vous. Un billet du blog « l'oreille tendue » de
Benoît Melançon en relève quelques-unes. «La voyante posa sur lui un regard attendri, sur ses jambes un plaid » là, par exemple, il faut le savoir, c'est un zeugme ! (lecture du blog recommandée). Si ces figures de style peuvent échapper au lecteur « non expert », ce n'est pas le cas des traits d'humour qui jalonnent le récit. Et ça marche ! On ne peut s'empêcher de sourire à la lecture de ces piques.
Cherokee est aussi un roman sur Paris et sa proche banlieue. J'ai apprécié les descriptions du Cirque d'Hiver et des passages couverts de
la capitale, riches de portes dérobées et de sorties secrètes. le lecteur suit les personnages dans leurs pérégrinations à pied, en métro, en voiture, dans la ville et hors la ville, une fois le périphérique franchi, ou après de longs trajets en autoroute, dans des automobiles en bout de course.
J'ai relu des passages de ce roman en mettant en fond musical diverses interprétations de '
Cherokee' pour tenter de m'imprégner du rythme de ce morceau de jazz et de l'associer à ma lecture.Sans succès. J'avais réalisé la même expérience avec le roman "
White jazz" de
James Ellroy qui par son rythme saccadé, son mouvement permanent s'y prêtait parfaitement.
Cherokee est mon premier roman d'
Echenoz. le roman est remarquable mais je ne l'ai pas trouvé passionnant. Je vais tenter de lire d'autres romans, notamment «
les grandes blondes », pour me faire une idée plus précise de son oeuvre.