11 mai, voile latine, tourmentin, balancine, drisse, déferlage.
Voilà un extrait du carnet usé dans lequel
Michel-Ange consignes des trésors. Des mots, de simples mots, ses dépenses, ses fournitures... Tout ce qui croise son chemin.
Mathias Enard s'attarde sur un fait de l'histoire tombé dans les limbes de la mémoire : la conception de ce pont sur la Corne d'Or à Constantinople et le voyage du sculpteur
Michel-Ange sur les terres du sultan Bajazet.
À travers de très courts chapitres, autant de traits au fusain sur une feuille de papier, l'auteur nous dépeint ce monde qui s'affronte, cette fracture entre l'Orient et l'Occident qui finissent par se rencontrer dans un équilibre précaire. Par de fins coups de crayons, Constantinople vibre et respire, abritant petits et grands dans son giron.
12 mai, garcette, cabestan, varangue coupée, carlingue.
Le talent de
Michel-Ange est loué et reconnu, mais cela ne lui assure pas une vie sauve. Les puissants restent les puissants, en Orient, en Occident ou ailleurs, et son départ de l'Europe ne manque pas de contrarier ceux qui pensaient l'avoir sous sa coupe.
13 mai 1506, étoupe, amadou, briquet, mèche, cire, huile.
Rien n'est dit, tout est dit. L'auteur évoque par effleurements cette réalité qui inspire et expire en évitant de trop attirer les regards. L'adaptation difficile, la langue, ces coutumes différentes, ces peuples qui cohabitent, les expulsés de l'Andalousie qui cherchent leur place, l'amour... Cette danseuse andalouse, ou peut-être est-ce un danseur, à la voix envoûtante qui va hanter les nuits de l'artiste. La fidélité de son traducteur qui est aussi poète.
La tristesse, la débauche, l'alcool qui coule à flot.
14 mai, dix petites feuilles de papier lourd et cinq grandes, trois belles plumes, un encrier, une bouteille d'encre noire, une fiole de rouge, mines de plomb, porte-mine, trois sanguines.
Les lettres que
Michel-Ange envoie en Europe dans l'espoir de son retour ponctuent le récit. le Pape sait-il où il se trouve ? Qu'en est-il de l'argent qu'on lui doit ?
Le rythme est lent, aussi envoûtant que cette voix qui berce
Michel-Ange et les évènements n'en sont que plus violents.
Deux ducats à Maringhi, ladre, voleur, étrangleur.
Heureusement la mie de pain er le charbon sont gratuits.
J'ai beaucoup aimé cette lecture, cette immersion dans ce monde qui se construit. Je comprends pourquoi ce petit roman a été primé : une lecture forte dont l'intelligence et la sobriété des mots sert à merveille le récit.
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