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Annie Ernaux est une expérience en soi. Ses écrits, pour la plupart, sont un regard porté sur sa vie, une volonté de comprendre et de se comprendre. Ce livre plus particulièrement vient extirper de sa mémoire et mettre en mots un événement marquant de sa vie. A l'âge de 12 ans, elle assiste à une dispute terrible entre ses parents, d'une grande violence, qui fait naître en elle le sentiment de
la honte ; pas seulement de l'embarras, ni de la gêne mais bien une honte profonde et durable, presque constituante. Après le traumatisme (qui n'apparaîtra en tant que tel que très tard dans la conscience de l'auteur), le poison de
la honte se distille lentement mais sûrement en elle. Derrière la peur que cela recommence, que la violence s'exprime à nouveau, le regard qu'elle porte sur ses parents, sa famille mais surtout sur elle-même évolue, marqué du sceau de
la honte.
D'une écriture exigeante, sociologique,
Annie Ernaux nous dissèque la société dans laquelle elle se meut au sortir de son enfance, une petite ville normande marquée d'une culture propre, d'un patois, d'un mode de vie, mais aussi fortement réglementée par des principes religieux, teintée de désir de bienséance. Sans pathos, elle nous emmène dans son parcours de reconstitution mémorielle. Il est parfois difficile de la suivre dans ce cheminement si propre à elle-même, on perd parfois le fil du récit ou du moins vers ce quoi il se dirige. Mais le sujet de
la honte est passionnant, universel, encore peu étudié psychologiquement et sociologiquement.
Annie Ernaux, à sa manière, met sa pierre à l'édifice avec talent.