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3,59

sur 1564 notes

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Belle lecture audio par Dominique Raymond sur France Culture (le podcast est disponible à la rubrique « l'atelier fiction »).

C'est assez classique mais l'expérience intime est souvent largement partageable. Cette “chronique d'une passion”, celle d'Annie Ernaux est une histoire, somme tout banale, dont le caractère de fait divers est accentué par son écriture : plate, distanciée, constat bref qui s'arrête où commencerait la broderie de l'interprétation, qu'elle refuse, très loin justement de celle de Marcel Jouhandeau inutilement pompeuse et urticante.

Elle reprend chronologiquement, scolairement peut-être, l'impact d'une passion, survenue quelques mois auparavant, sur sa vie quotidienne.
Le temps de l'écriture n'est pas concomitant, il y a une certaine distance temporelle, et peut-être spatiale aussi, qui paraissait nécessaire à l'écrivaine pour mettre en phrases l'expérience vécue. C'est aussi se laisser vivre, se laisser franchir chacune des étapes de la passion et de la « post-passion », sorte de deuil non pas d'un vivant, mais d'un sentiment, d'un état de désir, de manque-comblement perpétuellement exaspéré, rechargé, et vidé à nouveau au fil des rencontres.

Revoir le sujet de la passion, lorsque l'on est soi-même dépassionné, permet de prendre toute la mesure du pouvoir de guérison que le Temps a sur les vivants.

Les mots d'Annie Ernaux ne sont pas sans évoquer Les Fragments d'un discours amoureux de Roland Barthes, le sujet se retrouve seul face à sa passion (supposée non réciproque), et ainsi Ernaux écrit les mots du soliloque de l'amoureux, notamment l'attente, ce « tumulte d'angoisse » que suscite les quelques minutes d'attente au bout du fil, le temps que l'être aimé rappelle depuis une cabine téléphonique, « love is a ring, the telephone » chantait Patti Smith.
L'attente, pour Barthes, est aussi « un enchantement », on « reçoit l'ordre de ne pas bouger », ainsi Ernaux rappelle qu'elle évite de passer l'aspirateur de peur de ne pas entendre la sonnerie du téléphone ou bien la perspective d'une autre personne au bout du fil et occupant la ligne, alors que son amour pourrait téléphoner la plonge dans la tristesse et la colère.
Ainsi, feindre avec l'attente est vain, « l'autre n'attend pas », pour Barthes c'est le test imparable : « suis-je amoureux ? Oui, puisque j'attends. »

Souvent, l'état de passion est plus recherché que le sujet lui-même, « c'est mon désir que je désire » écrit Roland Barthes, telle la cigarette qui apporte la nicotine, le moyen d'obtenir la plénitude, la volupté de la souffrance amoureuse, les délices illusoires de la suspension que la passion amène à la vie, à l'habitude, au temps qui court, l'exaltation, dans ses nouveaux rituels un peu mystiques, qui nous ramène à la foi, cette « raison de vivre » clé en main, cette utilité maximale et exclusive de notre personne, comme l'écrivait Goethe dans son Werther : « il est pourtant vrai que rien dans le monde ne nous rend nécessaires aux autres comme l'affection que nous avons pour eux. »

Après tout pourquoi pas elle, Annie ? N'y a-t-elle pas droit à cette passion qu'elle a surement dû lire tant de fois dans les livres, voir au cinéma, entendre de l'aveux d'amis proches ? Fit-elle partie, comme chacun de nous peut-être, de ces gens qui ne seraient jamais tombés amoureux « s'ils n'avaient jamais entendu parler de l'amour » selon la maxime De La Rochefoucauld ?

C'est qu'on a l'impression d'un bunker, contre les assauts de l'existence, un refuge où « les paroles du coeur sont enfantines. Les voix de la chair sont élémentaires. » comme écrivait Paul Valéry à propos des sobriquets un peu niais que s'échangent les amants, et qui ajoutait « l'expression d'un sentiment est toujours absurde. »

Dans sa passion, à l'exception de quelques gestes profonds et discrets ; une carte postale ; Annie Ernaux ne s'accroche pas, elle reste statique, observant l'abîme mais sans s'y jeter, sans s'y noyer « au lieu de nager dans les circonstances de l'eau », Valéry encore. Voire pire, sans s'y vautrer comme on voit aussi parfois des addicts, des personnes qui ne savent pas s'arrêter, s'abreuver raisonnablement au calice de la passion. Les lendemains seront durs…

"À partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne chez moi."

Alors faut-il soi-même avoir vécu une passion et en avoir ressenti les effets les plus anecdotiques dans ses journées pour ressentir et comprendre la façon dont cela affecte notre mémoire des évènements, notre tempérament et le récit d'Annie Ernaux ?

Qu'en pensez-vous ?
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Une femme attend un homme. Sa peau, son corps, son sexe, sa présence, sa voix. Pendant un an, elle ne vit que de cette liaison, qu'elle sait éphémère puisque l'homme est marié et étranger. Il n'est que de passage.
Par l'écriture, elle parle de cette attente, de la manière dont elle la comble, de la place qu'elle prend dans sa vie, dans ses pensées, ses envies, ses autres relations. Comment cette attente et cette absence de cet homme enfle en elle et prend toute la place. Elle se demande, aussi, comment les autres femmes qui ne vivent pas cette passion, comment elle-même encore un an plus tôt, peuvent quand même se sentir comblée, s'intéresser à quoi que ce soit, passer les jours, elle qui ne vit plus que de ça.
On en sera peu de l'homme ainsi que de la narratrice à part ces quelques mois exacerbés qui finiront par former une parenthèse dans sa vie mais qu'Annie Ernaux décortique d'une écriture la plus neutre possible, ce qui rend la lecture de cette passion d'autant plus prégnante.
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« le temps de l'écriture n'a rien à voir avec celui de la passion. »

Une passion… Comment décrypter et tenter de comprendre ce qui, par nature, est irrationnel ? En essayant, le moment venu, de transformer le vécu en phrases.

Mais quels mots peuvent bien réussir à témoigner de l'intensité de ces moments où rien ne comptait plus ? Aucun manifestement.

Pendant quelques mois de 1989, Annie Ernaux a vécu une folle passion amoureuse, de celles qui comptent, où plus rien d'autre ne compte que l'autre, où l'on ne se reconnaît plus soi-même.

« J'ai mesuré le temps autrement, de tout mon corps. J'ai découvert de quoi on peut être capable, autant dire de tout. Désirs sublimes ou mortels, absence de dignité, croyances et conduites que je trouvais insensée chez les autres tant que je n'y avais pas moi-même recours. À son insu, il m'a reliée davantage au monde. »

En quelques courtes pages, la flamme éteinte et le souvenir parfois gêné de ce qu'elle fit, elle tente d'« écrire pour retrouver ce temps-là, de félicité et de concorde ». Ce temps qui ne fut finalement que luxe et grâce.

Un roman introspectif, plus intimiste que les précédents, - et presque plus excluant tellement l'impression que l'auteure se parle à elle-même est forte – qui ravira celles et ceux qui y retrouveront les marqueurs de leur propre expérience, mais pourra laisser les autres à distance.
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J'ai aimé lire sous la plume d'Annie Ernaux l'histoire d'une passion. Elle décrit l'état d'absolu dépendance, de soumission affective et sexuelle qui lui fait durant quelques mois oublier son quotidien.
Elle ne vivait plus que dans l'attente d'un coup de fil de son amant, employé à l'ambassade de Russie. Sans téléphone portable, elle passait des heures chez elle, de peur de manquer l'appel, ne se permettant aucun bruit, ni aspirateur, ni sèche- cheveux qui pourrait masquer la sonnerie.
L'écriture d'Annie Ernaux, que je trouve magnifique par sa simplicité, parvient à illuminer une histoire ô combien banale.

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Que se passe-t-il quand une femme noue une relation passionnelle avec un homme? Quelle alchimie est à l'oeuvre, changeant la nature des intérêts, infléchissant le cours habituel de la vie quotidienne, modifiant l'âme, le corps, les réflexes, les pensées, les actes les plus triviaux? Que devient la personnalité, comment les goûts (musicaux, vestimentaires, sensuels, sexuels etc) se recomposent-ils pour épouser ceux de l'autre? Comment l'esprit est-il constamment occupé par les images de celui qui est l'objet de son désir?Comment le corps est-il sans cesse mobilisé et prêt à l'accueillir?Pourquoi cette suractivité constante est-elle appelée attente, et qu'est que l'attente sinon tendre vers?
Réponse déclinée sous diverses formes, dans ce très bel ouvrage, journal intime et extime, chronique d'un état passionnel.
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Bref. Très bref cet ouvrage. Mais cette brièveté même contribue certainement à sa force.
Pas à elle seule, bien sur.
Un roman de la passion, mais surtout de l'attente, de l'espoir... désespéré.
Vanité de l'Espoir que l'absence de description de l'être désiré rend encore plus palpable, comme une indication de la désinvolture de l'être adoré, à peine soucieux de partager la première lettre de son nom
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Court roman choisi dans le cadre du Challenge Féminin de cette année, car comment parler de la littérature qui met les femmes à l'avant place sans lire du Annie Ernaux.

Son écriture est toujours aussi précise et incisive, mais je dois bien admettre que le sujet de celui-ci me rendait quelque peu mal à l'aise...
Une femme qui s'arrête presque de vivre à cause de sa passion pour un homme, ce n'est pas la définition que je me fais d'une femme forte...

Pourtant... Pourtant Annie Ernaux semble tellement assumer son obsession pour A. Elle nous raconte sans détour son besoin tourmenté de cet homme marié qui ne lui accorde très peu de respect, très peu d'attention et certainement pas d'amour...

Est-ce là la véritable force? Assumer ses passion même les plus pathétiques. Ne pas se cacher d'avoir besoin du corps de l'autre. Préférer se languir pour quelqu'un, que de n'avoir personne à espérer... Je ne le sais pas, mais Passion simple m'aura au moins fait réfléchir sur ce sujet.

Bref, du grand Annie Ernaux en 77 pages.
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Comme d’habitude, Annie Ernaux est très concise et cherche à cerner l’essentiel en peu de phrases. Pendant quelques mois, elle a été folle amoureuse d’un homme venu de l’étranger, dont on ne saura rien, si ce n’est l’initiale de son nom: A.
Mais elle ne livre pas un récit circonstancié (voire croustillant) de sa liaison avec A. Elle nous avertit rapidement: « J’ai eu l’impression de vivre ma passion sur le mode romanesque, mais je ne sais pas, maintenant, sur quel mode je l’écris, si c’est celui du témoignage, voire de la confidence telle qu’elle se pratique dans les journaux féminins, celui du manifeste ou du procès-verbal, ou même du commentaire de texte. Je ne fais pas le récit d’une liaison, je ne raconte pas une histoire (qui m’échappe pour la moitié) avec une chronologie précise ou approximative ». Ce sur quoi elle insiste surtout, c’est l’omniprésence de A. dans ses pensées, c’est l’attente douloureuse du coup de fil qui fixera le prochain rendez-vous; tout le reste ne compte plus du tout. Donc, sa vie n’est qu’une alternance entre ses longues attentes et ses brèves rencontres amoureuses. Cette passion est pour elle une sorte de souffrance - à peine apaisée par l’amour physique - mais, sans cette souffrance, sa vie serait sans aucune saveur. C’est d’ailleurs ce qui arrivera à la narratrice quand A. suspendra toute relation avec elle, la laissant pantelante, puis vidée.
Quand à l’amour (avec un grand A), celui des midinettes, celui des grands sentiments, il est complètement absent de cette expérience de vie. Sur ce point comme sur tous les autres, l’auteur ne fait aucune concession aux lecteurs (lectrices). Au-delà des clichés sur l’amour, ce roman donne à réfléchir. Pour finir, j’ajouterai que, ici, la phrase d’Annie Ernaux m’a semblé moins sèche, je dirais même moins "desséchée" que dans d’autres romans du même auteur: j’apprécie ce style. Le livre est dense, mais il se lit vite et bien.
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Dans un livre très court, Annie Ernaux nous donne un ressenti sur une passion vécue avec un homme. Est-ce autobiographique ? On peut se le demander tellement on est en introspection dans le personnage principal. Pas nommés les personnages sont pourtant très présent.
Cette femme subit cette passion. Elle est dans l'attente de l'autre.
J'ai trouvé très juste la description des émotions de la femme. L'écriture est fluide et douce. À la fois lente et précise. On est comme dans un moment arrêté de la vie de cette personne.
Une jolie découverte
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Le titre « Passion simple » sonne un peu comme « passé simple ». le temps grammatical évoqué annonce non seulement la professeure de lettres, mais aussi la fin de la passion qu'elle décrit, jusqu'à ce que « le monde recommence de signifier en dehors de A » (p 68).
Par ailleurs, la simplicité apparait immédiatement : une femme attend un homme. En une phrase si simple qu'elle en est presque banale, toute l'intensité de l'amour est assumée.
L'« acuité clinique » saluée par le jury du prix Nobel 2022 se retrouve donc dans la justesse des mots, la vérité des sentiments et la sensibilité de l'émotion.
Les faits sont montrés sans licence, mais sans obscénité non plus. La recherche de perfection est celle que l'autrice met dans son travail d'écrivaine.
Lire plus sur http://anne.vacquant.free.fr/av/index.php/2022/10/11/annie-ernaux-passion-simple/
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