L'auteure venant de recevoir le prix Nobel de Littérature, le 6 octobre 2022, je me suis dit qu'il était temps que je fasse connaissance avec ses écrits et découvre un peu son univers.
Manque de bol, ne restait à la librairie du Leclerc qu'un seul titre, en poche, "
Regarde les lumières mon amour". Petit livre (je parle de son épaisseur) d'une centaine de pages, dans lequel l'auteure nous dévoile et révèle ses pérégrinations durant plusieurs mois dans le Auchan Trois Fontaines de Cergy, regardant, observant, notant et écoutant tout ce qui se passe dans ce monde de la grande distribution, avec des évidences, tellement évidentes que nous n'y faisons plus attention, et des petites situations cocasses.
Le titre, "
Regarde les lumières mon amour", n'est rien d'autre que la réflexion d'une maman à sa fille, dans un magasin qui brille de ses mille feux. Une réflexion parmi des milliers d'autres que les gens -seulement entre ceux qui se connaissent- peuvent faire dans un tel endroit. J'en ai entendu pas mal également: une fois dans un Carrefour d'Ajaccio, où une grand-mère, son téléphone portable à la main (milieu des années 1990), appellait sa petite-fille et lui demandait: "Ma chérie, les bichocos, tu les veux à la vanille ou tu les veux au chocolat?"" (avec un accent à couper au couteau qui va bien); dans un Auchan de Montpellier: Lui: tu sais ce qu'il va en faire maintenant de son cadenas, hein? Elle: Non... Lui: "Ah tu sais pas? Elle: Ben non... Lui: Eh bien maitenant que j'en ai acheté un, le sien, il va se le carrer pronfondément dans le ... (et il a prononcé le dernier mot, assez fort pour que tous les gens autour l'entendent).
Ou bien, quand vous avez un auteur en dédicace de son ou ses livres: huit fois sur dix: "C"est vous l'auteur?"(alors qu'il y a souvent une affiche ou un panneau à côté ou dans le dos de l'écrivain en question).
Alors oui,une grande surface c'est un lieu de rencontres, mais où l'on passe malheureusement souvent les uns à côté des autres, en se regardant mais sans se voir, oui c'est un lieu d'échanges, mais dans lequel on ne se parle pas vraiment, et les seuls échanges le sont souvent qu'avec des caissières ou caissiers (quoi de plus normal dans un monde où les moyens de communication n'ont jamais été aussi performants et dans lequel les gens ne se sont jamais aussi peu parlé), oui c'est un lieu de mixité social, mais attention, l'une à côté de l'autre, on ne se mélange pas, oui le contenu de vos achats peut être révélateur de vos habitudes alimentaires et de nos jours, du contenu de votre porte monnaie.
Je ne fais quasiment jamais les courses si ce n'est pour les achats "lourds": packs d'eau et sac de 20kg de sel pour adoucisseur, mon épouse ne pouvant pas les porter. Donc quand je prends de l'eau, c'est 10 à 12 packs. Et inmanquablement j'ai droit: "Ah vous faites des provisions!".
Effectivement, au rayon des livres, on ne trouve pas de "tout", si ce n'est les derniers best-sellers, autrement vous avez des librairies si vos attentes sont plus précises.
Oui, la vie d'une grande surface est propre à elle, particulière et endémique.
Annie Ernaux étant assez controversée ces derniers temps, surtout depuis l'obtention de son prix littéraire, j'ai lu tout et son contraire à son encontre. Et pour ce qui est de son côté féministe, dans ce livre, il m'a surtout sauté aux yeux ( pas de crainte, sans gravité), page 56, où elle écrit (je résume), "que les supermarchés sont une affaire de femmes et elles en ont été longtemps les seules utilisatrices, et ce qui relève du champ d 'activité des femmes est souvent invisible comme toutes les taches ménagères qu'elles accomplissent".
Un livre qui se lit d'une traite, et qui à mes yeux n'est qu'un témoignage sur une micro-société, celui des hypermarchés, un livre presque sans prétention et qui met noir sur blanc certaines réalités.
Alors ensuite, que l'on veuille ergoter sur l'emploi de tel ou tel mot à
la place d'un autre, "femme noire" ou "femme de couleur", sur certaines attitudes: le sempiternel "avez-vous une carte de fidélité" demandé à la caisse à chaque client, et que sais-je encore, je n'y vois pas l'intérêt. On n'arrêterait pas. Ainsi j'ai plus souvent lu que des "braqueurs corses" avaient commis tel ou tel méfait, mais jamais des braqueurs corréziens, strasbourgeois ou lillois. Faut-il s'arrêter sur ce genre de détail...
En tout les cas j'arrête d'écrire et de commenter, car mes propos vont bientôt atteindre l'épaisseur du livre d'
Annie Ernaux.
Au final, un livre plaisant à lire, avec -j'ai trouvé- un certain humour, mais que je n'aurais assurément pas acheté si ne m'avait pris l'envie de lire une oeuvre d'
Annie Ernaux, dont je vais chercher un autre titre.