Ces lumières ce sont celles des scintillantes guirlandes de Noël dans l'hypermarché Auchan du centre commercial des Trois Fontaines à Cergy Pontoise, celles qui font briller les yeux des enfants et invitent au rêve et à la consommation. Qui peut résister ?
Pendant douze mois, à la demande des Editions du Seuil, pour le projet collectif Raconter la vie,
Annie Ernaux a fréquenté très régulièrement ce temple de l'abondance et a condensé son ressenti et ses réflexions dans une sorte de journal de bord, afin de "tenter de saisir quelque chose de la vie qui se déroule là". Elle y partage avec le lecteur ses observations et ses étonnements, elle observe la clientèle multiculturelle, elle flâne dans les allées des multiples rayons et s'interroge sur l'attraction irrésistible générée par les articles présentés, les techniques de vente, la segmentation des produits et des types de clients... Quelle est la valeur réelle des articles ? Il semble qu'elle soit véhiculée par la mode et surtout par le calendrier, d'où des soldes et des remises de près de 50% une fois
l'événement passé (Noël, saison du blanc, Pâques, Fête des Mères, rentrée des classes...)
L'autrice prend son temps pour regarder et pour décrire les rayons spécialisés, les vendeurs, par exemple jeunes et dynamiques pour la téléphonie et l'informatique, plus âgés et expérimentés pour la boucherie et la poissonnerie. Elle regrette la pauvreté de l'espace librairie qui propose surtout des best-sellers. Chacun son métier, l'objectif d'un hypermarché est de faire du chiffre ! Elle fait preuve de compassion pour les hôtesses de caisse soumises à un rythme effréné de scans d'articles. "3000 à l'heure est un bon chiffre." Mais elle a une certaine nostalgie en voyant comment évolue le supermarché avec ses nouvelles méthodes déshumanisantes ; caisses automatiques, self-scanning, etc.
Les observations d'
Annie Ernaux, au fil des pages, sont fines et pertinentes. Par exemple, elle constate et s'insurge sur la présentation très genrée des jouets pour enfants - Filles d'un côté et garçons de l'autre. "Je suis agitée de colère et d'impuissance" écrit-elle. "Je pense au Femen, c'est ici qu'il vous faut venir, à la source du façonnement de nos inconscients, faire un beau saccage de tous ces objets de transmission. J'en serai."
Un peu plus, une nouvelle dramatique, en aparté.
"Mercredi 24 avril.
Un immeuble de huit étages s'est effondré près de Dacca, au Bangladesh. Il y aurait au moins 200 morts. Les ateliers de confection y faisaient travailler 3000 ouvriers pour des marques occidentales. Cette précision est depuis longtemps superflue".
Quelques jours plus tard, après d'autres réflexions généralistes, une nouvelle remarque en aparté.
"Le bilan de l'effondrement du Rana Plaza au Bangladesh est de 1127 morts. On a retrouvé dans les décombres des étiquettes des marques de Carrefour, Camaïeu et Auchan."
Prise de conscience, changer les habitudes de consommation, impuissance... Que faire ? "Même les chômeurs français victimes des délocalisations sont bien contents de pouvoir s'acheter un tee-shirt à 7 euros".
C'est un fait !
Ce livre, comme souvent chez
Annie Ernaux, est court (72 pages) et agréable à lire. Il est bien écrit. La plume est sobre, fine et élégante, toujours efficace et pertinente dans l'analyse du sujet et les réflexions.
"Souvent, j'ai été accablée par un sentiment d'impuissance et d'injustice en sortant de l'hypermarché. Pourtant je n'ai cessé de ressentir l'attractivité de ce lieu et de la vie collective, qui s'y déroule."
#Challenge Riquiqui 2023
#Challenge illimité des départements français en lectures (95 - Val d'Oise)