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EAN : 9782889012299
Editions Antipodes (08/12/2022)
4.33/5   3 notes
Résumé :
Depuis une vingtaine d’années, l’implication de Genève dans la colonisation et l’esclavage est devenue un sujet périodiquement débattu dans l’espace public. Il s’agit d’un débat problématique, en ce sens que les arguments et les positions des protagonistes s’appuient sur une base documentaire étroite, les archives publiques et privées dans ce domaine étant soit muettes, soit inaccessibles, soit dispersées. L’insuffisance des sources, qui empêche de déterminer la rée... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Original et stimulant, l'essai de Bouda Etemad, observe l'évolution des idées exprimées sur la colonisation et l'esclavage par des hommes de lettres genevois du XVIII et XIX siècle.

Deux siècles où la fin de la conquête des Amériques laisse place à la colonisation d'une partie de l'Asie puis de l'Afrique. Deux siècles vus de Genève par des hommes qui n'étaient pas tous suisses, mais qui ont résidé dans une cité ouverte sur le monde, finançant des opérations commerciales privées, dans une confédération qui n'a jamais eu de colonies. Un pays qui, durant ces deux siècles fut une terre d'émigrations, irriguant nombre de conquêtes européennes et fournissant des paysans, des mercenaires, des missionnaires, des négociants, qui venus d'un canton neutre, collaborent avec les colons de divers nationalités.

Genève, république calviniste, cité de protestants … qui protestent, par définition, contre les injustices et, par exemple, s'indignent en 1909 de voir le chocolat SUCHARD produit par du « cacao esclavagiste » et boycottent la production de Sao Tomé.

L'auteur analyse les écrits de neuf typologies d'écrivains :

- les philosophes Jean-Jacques Rousseau et Jean-François Butini s'opposent par principe à la colonisation et à l'esclavage, mais l'un et l'autre se gardent bien de dénoncer colonisateurs et esclavagistes. Les écrits de Rousseau sont publiés avec l'aide financière de Pierre-Alexandre DuPeyrou, enrichi par l'exploitation du Surinam, Butini est un abolitionniste qui se révèle défenseur du colonialisme.

- Jean Trembley (1719-1791), planteur à Saint Domingue, est un esclavagiste « doux », dont les méthodes ressemblent à celle de Lafayette qui employait en Guyanne 70 esclaves exploités avec « douceur » pour ménager leur fécondité et leur productivité.

- Etienne Clavière (1735-1793) est un financier, négociant actif dans le commerce des indienneries, et donc le commerce triangulaire, puisque les navires qui déchargeaient les africains en Amériques, rentraient avec du fret. Clavière est l'un des fondateurs, avec Brissot et Mirabeau, de la Société des Amis des Noirs (SAN) en 1788 à Paris.

- Jean-Charles Sismondi (1773-1842), membre du groupe de Coppet qui se réunit chez Madame de Staël, étudie la colonisation de l'Algérie et préconise des méthodes efficaces se dispensant de l'esclavage.

- Henri de Saussure (1829-1905), et d'autres explorateurs, croient à la mission civilisatrice des européens chargés d'éduquer et de développer les africains jugés « inférieurs ». Ces voyageurs visitent une partie des pays concernés et ont une pensée suprémaciste indéniable mais nullement choquante pour les lecteurs du XIX.

- Léopold de Saussure (1866-1925) , fils du précédent, un chantre du développement séparé, dénonce l'assimilation à la française.

- Gustave Moynier (1826-1910), un des principaux propagandistes du roi des belges Léopold II, soutient son appropriation du Congo. Il préside de 1864 à 1910 le Comité international de la Croix-Rouge qu'il a fondé avec Henri Dunant.

- René Claparède (1863-1928), à l'opposé du « congolâtre » précédent, est un « congophobe » virulent qui dénonce les abus dont sont victimes les congolais. Son action est aujourd'hui aussi oubliée que méconnue alors qu'il a fait venir à Genève un Chef Iroquois en 1923 pour témoigner devant la SDN et rappeler les droits des « natives » !

- Henry Dunant, (1818-1910) est colon en Algérie et Tunisie, ce qui lui vaut de devenir français en 1859. Il représente « la Compagnie Genevoise des colonies suisses » puis crée sa propre compagnie qui fait faillite en 1867. « Janus genevois » il obtient en 1901 le prix Nobel de la Paix pour son action au sein de la Croix Rouge.

Plusieurs de ces personnages sont d'origine française, huguenots réfugiés à Genève depuis l'édit De Nantes, et récupèrent cette nationalité à la Révolution … offrant à Etienne Clavier le privilège (?) de mourir embastillé lors de la grande terreur en 1793. Beaucoup sont connectés aux réseaux d'affaires d'Amsterdam, Bordeaux, Londres ou Nantes.

Les textes cités par Bouda Etemad choqueront certains lecteurs qui les jugeront « politiquement incorrects » mais le chercheur conclut « s'en indigner comme on est sommé aujourd'hui de le faire … serait un parti pris extrême qui ne peut qu'appauvrir le débat ».

Cet ouvrage est une mine d'or. En deux cents pages et neuf chapitres l'auteur livre des textes de référence, les inscrit dans leur contexte politique et idéologique, présente leurs auteurs, offre une bibliographie de quatorze pages, et couronne l'ensemble d'une conclusion remarquable qui synthétise en six pages l'ensemble de son étude qui, n'éludant aucune facette du drame, évoque aussi l'esclavage « arabe » et ses razzias africaines multi-séculaires.

Clair, factuel, pédagogique, cet essai stimule le lecteur conduit à s'interroger sur la colonisation et l'esclavage pratiqués par les pays européens et les réactions ainsi provoquées.

Reçu à l'occasion de la « Masse Critique Non-Fiction : recul et réflexion », je remercie vivement Antipodes et Babelio pour la qualité de cet envoi.
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Bouda Etemad, professeur d'histoire retraité des université de Genève et Lausanne, signe avec "De Rousseau à Dunant, la colonisation et l'esclavage vue de Genève", un livre d'histoire des idées particulièrement intéressant. Peu étudié puisque la Suisse ne possédait aucune colonie à une période où l'impérialisme des XVIIIème et surtout XIXème siècle voyait la France, l'Angleterre, la Belgique, la Hollande, le Portugal et l'Espagne, voir même les Etats-Unis d'Amérique et dans une moindre mesure l'Allemagne, se constituer des empires coloniaux absolument immenses. le but était double: apporter la civilisation à des populations jugées "arriérées" et cela au mépris de leur histoire, de leur culture. Mais c'est surtout la mise en place d'un pillage systématique des ressources de ces royaumes qui est mis en place. Au XVIIIème siècle, la Traite négrière depuis l'Afrique en direction des Amériques où des îles comme Cuba, Saint-Domingue, les Antilles, la Jamaïque, forme un modèle économique qui apportera la fortune aux ports négriers et aux familles blanches propriétaires des esclaves. Traités comme des biens meubles, déconsidéré jusque dans leur humanité, les esclaves déportés d'Afrique, notamment du Bénin, plaque tournante du commerce négrier en Afrique, la déportation est un crime contre l'humanité absolument incontestable. Si aujourd'hui, nous jugeons très sévèrement ces horreurs, il n'en fût pas toujours le cas. Les prémices commencent aux Lumières avec quelques auteurs et philosophes qui commencent à mesurer l'horreur de ces déportations de femmes, d'hommes et d'enfants. Rien n'est simple, on peut être contre l'esclavage et dans un même temps, ne pas être troublé par la colonisation et la mise en coupe réglée des ressources des royaumes africains. La réalité est d'autant plus complexe, que certains royaumes africains comme le Dahomey au Bénin qui entre 1740 et 1880 vivait presque exclusivement de la vente d'esclaves africains pour le commerce triangulaire Atlantique. Ainsi grâce à Bouda Etemad, c'est tout le courant des idées qui, à Genève, est décortiquée. Si le pays ne possédât pas de colonie, il n'en fût pas moins un acteur de l'esclavage en investissant dans la Traite négrière. Les riches familles suisses préfèrent, aujourd'hui encore, conserver les documents familiaux compromettant. Les historiens suisses sont ainsi, en quelque sorte, privées de sources qui seraient essentielles pour poursuivre et même aller plus loin dans cette réflexion sur le point de vue des élites intellectuelles sur l'esclavage. Il n'y avait pas deux camps, les anti esclavagistes favorables à l'émancipation des esclaves noirs, la fin de l'esclavage, et les tenants d'une ligne dure voyant dans la Traite négrière un modèle économique particulièrement lucratif. La réalité est beaucoup plus complexe que cela, nuancée selon les époques. de nombreux intellectuels suisses sont ici étudiés sous le prisme de leurs écrits et opinions, leurs positionnements sur ces thématiques. Les éditons Antipodes publient ici un ouvrage particulièrement riche et intéressant. Les derniers chapitres du livre permettent aussi d'aborder une Traite arabo-musulmane bien souvent oublié et surtout bien plus importante en nombres d'esclaves déportés. C'est tout le travail d'Olivier Grenouilleau, historien français et spécialiste incontestable de la question notamment avec la publication d'un ouvrage référence en 2004 "Les Traites négrières, Essai d'histoire globale" chez Gallimard. A l'époque, la parution de cet ouvrage fît débat avec les associations noires de France. Sans doute parce que Olivier Grenouilleau, toujours dans cet esprit précurseur "d'histoire globale" (méthode aujourd'hui très en vogue chez les historiens et porté par des historiens aussi renommés que Patrick Boucheron). Olivier Grenouilleau parla de toutes les traites, là où beaucoup se contentaient de ne condamner que la seule Traite négrière Atlantique. Il aborda avec rigueur et même une certaine forme de courage intellectuel, la Traite arabo-musulmane et le rôle joué par Les Touaregs et autres royaumes africains qui firent eux aussi fortune en vendant des esclaves africains aux négociants de la Traite négrière. C'est un livre que Bouda Etemad a bâti avec sérieux, il nécessite quelques connaissances préalables des mouvements intellectuels aux origines du débat sur l'abolition de l'esclavage. Erudit, l'ensemble se lit avec un plaisir certain.
Ps : Juste pour l'anecdote, Olivier Grenouilleau fût un de mes professeurs durant mon année de DEA d'histoire en 2004 (ou Master 2) à l'Université de Bretagne Sud à Lorient.
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Critique d'un non spécialiste
Le début du livre est déroutant : il n'y a pas eu de colonisation suisse et , avoue l'auteur, les documents historiques sur cette période sont peu nombreux, parcellaires et incomplets
Question simple: dans ces conditions,de quoi allons nous parler ?
De Rousseau et Dunant certes mais aussi de tous ceux qui , en Suisse , ont écrit, parlé et réfléchi sur la question de la colonisation
Disons le tout de suite : c'est passionnant
Car la Suisse n'est pas restée neutre pendant cette période surtout sur le plan financier
Mais le propos va bien plus loin que le schéma habituel et manichéen sur la colonisation.
Bouda Etemad décrit dans le détail les questions souvent étonnantes de l' époque .Le propos est souvent bien loin des stéréotypes et politiquement incorrect en 2023
Comment faut-il traiter les esclaves? Sont-ils plus rentables économiquement si on leur accorde une certaine liberté ? Deviendront ils alors un marché intéressant pour le pays colonisateur ? Faut-il les libérer d'un coup ou le faire sur plusieurs années ? Comment indemniser les colons?
On parle là des noirs et de l'esclavage en général pas seulement de la Suisse . Certains propos sont surprenants voire inaudibles dans notre monde au langage formaté
Mais ils apportent, à travers quelques documents écrits en Suisse , une vision tout à fait étonnante du «  fait colonial »
L ‘ auteur est un grand spécialiste de la question et apporte une vision historique approfondie en n' oubliant jamais l'aspect purement économique ( nous sommes en Suisse, ne l'oublions pas, la question de la rentabilité purement économique de ce «  marché «  prime sur les aspects moraux ou éthiques )
Le livre se lit facilement même si vous n' êtes pas obligés de retenir tous les noms car ce sont les concepts et les questionnements qui sont intéressants
Je suis d'accord avec les autres critiques : il faut une certaine connaissance du sujet pour apprécier cette lecture qui a l'immense avantage de venir d'un pays qui n'a pas été colonisateur.
Un livre très stimulant sur le plan intellectuel d'autant que l'auteur a l'intelligence de nous rappeler que l'esclavage , y compris africain, est bien antérieur et bien plus important que le « commerce triangulaire «  que nous connaissons bien en France
Merci à Babelio via Masse critique de m' avoir fait découvrir ce livre sur un sujet qui passionne beaucoup de lecteurs
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Placé jusque-là à l'arrière-plan, Étienne Clavière gagne ici le devant de la scène dans le rôle de défenseur de la cause abolitionniste. À ce titre, son premier acte est la fondation, avec Jacques-Pierre Brissot, de la SAN, créée à Paris le 19 février 1788. Celle-ci est formée sur le modèle des associations abolitionnistes instaurées entre 1775 et 1787 d'abord dans certaines des Treize Colonies d'Amérique du Nord (noyau des futurs États-Unis) puis en Angleterre. Les fondateurs de la SAN ne cachent pas leur dette idéologique à l'égard des pionniers anglais de l'anti-esclavagisme (Thomas Clarkson et William Wilberforce), qu'ils reconnaissent comme leurs mentors et avec lesquels ils entretiennent ouvertement des contacts.

Les attaches anglo-saxonnes de la SAN, sa référence à un modèle étranger et l'admission en son sein de membres originaires de l'Angleterre et de l'Amérique du Nord protestante, ainsi que de la Genève calviniste, constituent une de ses singularités et, selon les milieux pro-esclavagistes, son talon d'Achille. Ceux-ci ne manquent pas de tirer profit de cette supposée vulnérabilité pour présenter l'association comme un agent à la solde de la Grande-Bretagne chargé d'anéantir l'édifice colonial français.

La filiation étrangère de la SAN, revendiquée, mais problématique, ne doit pas surprendre. La traite et l'esclavage ayant dès le départ un caractère cosmopolite, la lutte pour leur abolition n'est envisageable que dans un cadre international. Dans les statuts de la SAN, seule une action concertée entre nations est considérée pour mettre fin au commerce des esclaves.
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Ceux qui, dans notre galerie de portraits genevois, s'expriment sur l'esclavage le font en se situant le plus souvent dans les Amériques, plus rarement en Afrique subsaharienne, mais jamais dans le monde arabo-musulman. À l’exception de Dunant, qui, en 1857 dans un chapitre de sa Notice sur la régence de Tunis, traite de l'esclavage en terres d'islam. Quelques années plus tard, en pleine guerre de Sécession aux États-Unis, le chapitre fait l'objet d'une publication augmentée de nombreuses et longues notes en bas de page. C'est un texte fait d'incohérences et d’approximations. Les commentateurs de Dunant signalent son existence, mais s'abstiennent de l'ausculter, peut-être par égard pour le philanthrope genevois. Ils voient bien que Dunant embellit et «idéalise», mais ils l'exonèrent de ses errements. L'un reconnaît que «par endroits, on le jugera naïf, mais n'est-ce pas là, souvent, ce qui fait la valeur des témoignages ? Pèche-t-il par excès de bienveillance : Quel agréable défaut !» Dunant est absout de ses travers, parce qu’il écrit en tant qu «ami, (...) tombé sous le charme de l'Orient». «Le cœur a ses raisons !» renchérit un autre commentateur.

C’est donc pétri de bonnes intentions que Dunant s'attache à démontrer que l'esclavage dans le monde musulman est plus clément …
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Jean-Jacques Rousseau et Jean-François Butini figurent parmi les premiers Genevois à écrire sur l'esclavage et la colonisation.

Ils le font à distance, sans y être impliqués, si ce n’est intellectuellement. Pour trouver des Genevois du XVIIIe siècle qui y seraient engagés et éventuellement en rendraient compte, il faut se tourner vers des propriétaires de plantations américaines.

De ces propriétaires, la «République de Calvin» en abrite un certain nombre. Même s'ils n’en font aucune mention dans leurs écrits, Rousseau et Butini devaient s'en douter. Celui-ci, car c’est un lettré curieux et un notable bien informé, celui-là parce qu'il dispose à Neuchâtel d'un défenseur indéfectible en la personne du richissime Pierre-Alexandre DuPeyrou, propriétaire de vastes plantations en Guyane néerlandaise (Surinam). DuPeyrou puisera dans sa colossale fortune, constituée en partie par les revenus de ses « habitations », pour financer la publication des premières œuvres complètes de Rousseau, sorties de presse à Genève au début des années 1780. Rousseau ne peut ignorer que son ami et protecteur neuchâtelois, affublé du sobriquet de «Monsieur de Surinam», exploite des esclaves dans la lointaine colonie hollandaise.
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Tout aussi symptomatique, surtout de la part d'un ex-candidat aux études de médecine, est son silence sur les maladies épidémiques (fièvre jaune, choléra, paludisme) qui, dans la colonie, déciment colons blancs et esclaves noirs. Il est pourtant de notoriété publique au XVIIIe siècle que les Caraïbes sont un véritable mouroir pour tous ceux qui s’y rendent. Les Européens qui s'y installent et les captifs africains qui y sont déportés voient leur espérance de vie chuter de façon dramatique. Aussi, le renouvellement des populations blanche et noire ne peut être assuré que par un flot continu de nouveaux arrivants. Fièvres, dysenteries et insectes agressifs font des Antilles un milieu pathologique extrêmement hostile pour leurs habitants jusqu'au premier tiers du XIXe siècle.

L’expédition avortée de reconquête française de Saint-Domingue, lancée entre 1791 et 1803, tourne à la catastrophe épidémiologique : sur un total de 59 000 soldats envoyés de France pour mater la révolte des esclaves, 49000, soit 80%, meurent de maladies. À aucun moment, Trembley, qui aime tant endosser les habits de l'observateur scientifique, ne dit mot de cette version effrayante de la roulette russe où Européens, de gré, et Africains, de force, jouent avec leur vie en faisant tourner le barillet d'un revolver dans lequel il y a trois à quatre fois plus de chambres chargées que vides.
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Les rencontres que fait Clavière à Neuchâtel lors de la première étape de son exil illustrent bien ce bariolage à nos yeux étrange. Elles ont lieu en juillet 1782 chez Pierre-Alexandre DuPeyrou, un milliardaire en termes de pouvoir d'achat actuel qui s'est fait construire dans ce coin de l'Helvétie, entre montagne et lac, un somptueux palais. Clavière et son épouse y sont reçus à plusieurs reprises. Ils y retrouvent Jacques-Pierre Brissot dit de Warville, futur chef révolutionnaire français, dont Clavière fait la connaissance un mois plus tôt à Genève. C'est la que se resserre leur amitié : « Plus je me liais avec les Genevois, écrit Brissot dans ses mémoires, et plus je m'attachais à eux ; mais celui qui me séduit surtout, celui que je commençai dès lors à regarder comme mon ami, comme mon Mentor, fût Clavière. »

Au mois d'août, Clavière et Brissot sont présentés par leur richissime hôte à Honoré Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau, autre future figure de la Révolution en visite à Neuchâtel. Clavière, Brissot et Mirabeau, qui six années plus tard se retrouvent à Paris pour lancer ensemble la Société des Amis des Noirs, reconnaissent DuPeyrou comme un des leurs, bien qu'ils sachent que sa fortune colossale provient en partie des revenus générés par ses plantations en Guyane hollandaise. Il faut dire que DuPeyrou est un planteur esclavagiste assez particulier : c'est un admirateur de Montesquieu, de Voltaire et, surtout, de Jean-Jacques Rousseau, doublé d'un défenseur du modèle constitutionnel libéral de l'Angleterre.

Dans ses mémoires, Brissot se dit enchanté du mois passé chez DuPeyrou: «Cet agréable séjour me parut le temps le plus court de ma vie. » II y jouit du luxe de la grande demeure aristocratique et des charmes du vaste domaine qui l'entoure. Mais, non sans quelque affectation, il regrette d'être «entouré de trop de somptuosité». Le grand salon doré du palais, écrit-il, « convenait plus à Paris qu'à des montagnes solitaires (...)». Brissot aurait voulu que «M. Dupeyrou (...) eût (...) employé les revenus immenses qu il tirait de ses habitations de Surinam à des objets d'utilité publique (..,)».
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Vidéo de Bouda Etemad
Bouda Etemad, auteur de “Crimes et réparations. L’Occident face à son passé colonial”, exprime sa position sur les demandes de réparations comme meilleur moyen de redresser les injustices coloniales. À l'heure où la question de la réparation, de la repentance, voire de “l’autoflagellation”, occupe le devant de la scène chez les universitaires comme dans les médias, ce livre donne des réponses en adoptant le point de vue de l'histoire comparative de longue durée. Plus d'informations sur le site de l'éditeur : http://www.andreversailleediteur.com/?livreid=703
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