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Jean Launay (Traducteur)
EAN : 9782070385171
347 pages
Gallimard (05/05/1992)
4/5   164 notes
Résumé :
"Les Enfants Tanner" est le premier roman d'un "marginal" né en suisse il y a un siècle. Robert Walser, entré dans l'oubli bien avant sa mort en 1956, est revenu aujourd'hui au rang des plus modernes de ses contemporains, Franz Kafka, Robert Musil, Walter Benjamin.

"De tous les endroits où j'ai été, poursuivit le jeune homme, je suis parti très vite, parce que je n'ai pas eu envie de croupir à mon âge dans une étroite et stupide vie de bureau, même si... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (23) Voir plus Ajouter une critique
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C'est pour mon attrait de l'oeuvre d'Hermann Hesse que mon libraire m'a conseillé ce livre, il me dit c'est dans la même veine. Et bien un grand merci je me suis régalée, découverte d'un auteur inconnu pour moi.
C'est le benjamin Simon qui nous raconte la vie de la fratrie des Tanner. Simon, personnage haut en couleur, subtil, n'ayant pas sa langue dans sa poche, se lie très facilement même s'il est un grand solitaire dans la vie, il nous fait part de ses errances, de ses valeurs humaines et sociales - qui ne seront peut être pas du goût de tout le monde - Il a trois frères, l'aîné Klaus scientifique, homme respectable qui veille de loin sur les plus jeunes, Kaspar l'artiste de la famille, il est peintre, Emil dont ne saura que peu de chose et surtout sur la fin du livre, et pour finir la soeur Edwige, institutrice, toujours présente et disponible, nous les rencontrons et les découvrons tout au long de ce roman.
J'ai beaucoup apprécié ce roman, son humour, les réflexions que je partage sur le travail, la vie, un personnage excentrique, attachant, humain, de beaux passages aussi sur la nature, j'ai été séduite par ce roman et je vais fouiller un peu plus l'oeuvre de Robert Walser.
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Un vaurien en vadrouille. C'est ainsi que se définit Simon, le héros des quatre enfants Tanner.
Simon est incapable de conserver un emploi.
Incapable ?
Voilà bien une explication qu'aurait prononcée Klaus le frère aîné si raisonnable. Balayée d'un revers de main par Simon déniant définitivement toute tentative de compromis avec ce triste frère.
Simon parle, monopolise la parole dans de longs monologues.
On l'écoute, avec la satisfaction de pouvoir enfin le comprendre et puis, tout déraille. Il fait volte-face et amorce un grand écart, il nous égare.
Il se comporte comme un enfant accumulant résolutions sans lendemain, décisions brusques et fantasques.
Voila un  livre déroutant et rédiger un avis ne s'apparente pas à une sinécure.
Dès que l'on cherche un sens,  des arguments contradictoires viennent démentir toute tentative.
- Simon est velléitaire  mais ses résolutions restent fermes ;
- Il s'enivre sous des flots de parole ininterrompues, sans cohérence forte, un peu comme de l'écume qui mousserait  et qu'on ne pourrait endiguer ou au contraire il nous assène des tirades où tous les possibles sont là mais aussi ...toutes les échappatoires ;
- Il est porté vers la rêverie et une vie idyllique mais confesse aussi son goût pour une vie modeste et ordinaire ;
- Il fait constamment preuve d'une mauvaise foi tranquille, de désinvolture, teintée d'humour et de panache mais souffre aussi de sa légèreté...
Une belle écriture qui nous associe à de délicats moments, des instants fugaces, des flottements, empreints d'étrangeté et de bonheur.
Une lecture exigeante. Il y a de quoi mettre en doute l'idée même de rationalité et la plus grande erreur serait peut-être de la rechercher. Ce serait précisément ce que fuit plus que tout Simon.
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Au moment de refermer ce livre, je me pose la question de ce que je viens de lire. Est-ce un roman? Pas vraiment. Ou alors d'un genre particulier.
Par certains côtés, il me fait penser à Bartelby, que j'ai lu récemment. le personnage principal est inadapté comme Bartleby et hante par éclipses les bureaux où il est commis aux écritures. Mais là s'arrête la comparaison, car Simon Tanner (c'est lui le personnage principal) parcourt bien d'autres milieux et surtout parle abondamment de lui, soit dans des discours adressés à d'autres, soit dans un monologue intérieur.
Simon Tanner est un jeune homme qui n'arrive pas à s'adapter au monde dans lequel il vit mais il n'en conçoit aucune amertume. Quand il est employé quelque part, il y reste peu de temps, il s'ennuie, ou devient insolent, et il est vite congédié.
Il fait partie d'une fratrie variée que je vous laisse découvrir. Il vaut mieux ne pas trop en parler d'avance. Il aime beaucoup les milieux naturels: montagnes, forêts, campagne, paysages enneigés. Mais il ne dédaigne pas non plus les villes. Il cherche sans cesse à se fixer, mais n'y arrive jamais. Il a quelques relations avec des femmes mais pas de liaisons à proprement parler. Pourtant la rédemption viendra peut-être par les femmes. Mais est-ce prudent de tout miser là-dessus?
Robert Walser a produit un écrit vraiment atypique. Son écriture est très belle, mais fort lisse, et j'ai souvent manqué d'accroche dans cette suite de réflexions sur la vie. Ses personnages sont inadaptés, chacun à leur manière, mais avec bienveillance pour les humains et pour le monde. On y trouve peu de rébellion.
Cela laisse un peu perplexe, comme ce fut le cas des premiers lecteurs de Walser. C'est très beau, mais il manque quelque chose pour nous toucher. Pour autant, je ne regrette pas du tout cette lecture.
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Debout au milieu de ses livres, un vieil et honorable libraire s'entend dire par un jeune homme, employé quelques jours auparavant, que ce dernier ne reviendra pas travailler les jours suivants. Dans cette scène d'ouverture se trouve cristallisée une partie des thématiques de ce roman. D'un côté se trouve la société et ses attentes de stabilité et son principe vital du travail ; de l'autre, l'audace, voire l'insolence d'un individu dont la passion première est la liberté, laquelle ne peut s'accommoder d'aucune gêne, d'aucun compromis. Ce jeune homme s'appelle Simon Tanner. Il est le cadet d'une famille de cinq enfants, comprenant une seule fille, dont la mère est morte et le père fort âgé. Simon mène une vie d'errance, faite de menus travaux qui le placent au plus bas des échelons de cette société helvétique, et de tentatives hasardeuses pour se trouver un toit qui offre aussi parfois une compagnie. Son frère aîné, Klaus, est un scientifique reconnu, qui place le respect des conventions sociales au-dessus de toute chose. Kaspar est un peintre paysagiste. Frère adoré de Simon, il impressionne celui-ci par son goût esthétique, sa maîtrise technique et par une personnalité qui, par bien des aspects, ressemble à celle de Simon. Emil est le frère invisible, l'aliéné, l'ancien modèle de tous ayant connu la déchéance psychologique, morale et physique. de lui on ne connaîtra presque rien, sauf ce que voudront bien en dire deux hommes discutant dans une taverne. Hedwig, la soeur, est institutrice dans un petit village suisse. Modeste par ses moyens, elle est tant une soeur parfois moqueuse qu'une petite mère aimante pour Simon qu'elle héberge trois mois. Tout à la fois récit autobiographique que récit contemplatif, relation d'une vie simple et pauvre que manifeste pour une liberté sans concessions, Les enfants Tanner interroge ainsi la difficile, car complexe, relation de l'individu avec la société.

Le titre, Les enfants Tanner, laisse entendre au lecteur qu'il s'agit d'un roman choral. En réalité, ce roman est centré autour du personnage de Simon qui, par bien des aspects, est effectivement resté un enfant. Ne peut-on voir, dans le choix de ce titre, la marque d'une certaine humilité de l'auteur ? Car le récit tient beaucoup à la vie propre de l'auteur, Robert Walser, dont la soeur était institutrice et l'un des frères était peintre. Robert Walser connut, lui aussi, une jeunesse d'errance au tournant des dix-neuvième et vingtième siècles, et la matière de ses Enfants Tanner tient sûrement de ses propres impressions de jeunesse. Biographie de l'homme avant l'écrivain, le roman apparaît déjà comme le témoignage d'une jeunesse de refus, refus de la vie rangée, refus de la soumission à un ordre, mais jeunesse dans laquelle on sent déjà poindre des fragilités. Celles-ci conduiront Robert Walser aux frontières de la folie, non sans avoir laissé auparavant une oeuvre écrite qui marqua ses contemporains, parmi lesquels Walter Benjamin et Franz Kafka. Les enfants Tanner fut écrit quasi d'une seule traite en deux mois, lorsque Robert Walser résidait chez son frère à Berlin. de ce récit en un jet dont la production reflète un unique chemin de pensée, on remarque d'abord la densité - peu de dialogues, de longs monologues où la pensée se déroule, étrangement sinueuse mais aboutie - et la symétrie, avec ces dix-huit chapitres réguliers qui relatent autant d'épisodes de la vie de Simon. L'action, ou plutôt les événements ponctuant le récit, ne sauraient cependant résumer le livre. Évidemment, le parcours de Simon est intéressant : libraire puis scribe dans une banque dans une grande ville qu'on devine être Zürich, hôte passager ou bien permanent chez son frère Kaspar ou sa soeur Hedwig, puis à nouveau scribe dans une maison servant d'imprimerie manuscrite à des clients forts divers, le jeune homme marque surtout ceux et celles qui le croisent et demeurent marqués par ce que d'aucuns appelleraient de l'insolence, mais qu'il pourrait aussi qualifier d'innocence. Néanmoins, le roman est aussi un récit contemplatif, dans lequel les paysages suisses sont décrits avec simplicité, et pourtant la force de ces détails font que l'on voit aisément se dessiner les versants boisés des Alpes helvétiques, ou bien les forêts enneigées qui viennent jusqu'à la lisière des villes. Si la nature est dangereuse - ainsi Simon retrouve-t-il le cadavre gelé du bon ami de Hedwig, et lui-même manque, à la fin du livre mais aussi lorsqu'il s'en va rendre visite à son frère Kaspar, d'être surpris par la nuit ou par le froid -, elle est aussi un refuge pour ce grand enfant qu'est Simon. La nature est ici opposée à la ville. Les paysages grandioses, à cause desquels Simon ne voit pas l'intérêt de voyager trop loin de la Suisse, valent mieux que les cours grises des logements urbains. le rythme effréné de la ville - les logements coûtent cher et nécessite d'avoir un emploi - paraît bien absurde à côté de ces villages où trois mois passent comme trois jours. La nature est enfin l'écrin idéal de la rêverie ; rêverie associée à l'enfance, à l'innocence, et donc à Simon.

Le roman de Robert Walser est le récit d'une existence marquée par la pauvreté. Point de honte, certes, mais point d'espoir non plus. Simon apparaît à ses interlocuteurs comme il est ; il ne cherche pas à cacher sa modestie, et cette absence de gêne déconcerte ceux et celles qui le croisent et remarquent ses gestes qui trahissent d'abord son éducation et sa culture. Simon vit d'expédients et d'emplois alimentaires pour lesquels il n'a aucune inquiétude, ni à les trouver, ni à les quitter. A cause de cela, sa situation financière ne s'améliore guère, mais qui s'en alarme, hormis Klaus, le frère-père qui craint que Simon ne devienne jamais quelqu'un ? Pourtant, à la manière d'un enfant, Simon n'a pas ces craintes. A ses propres yeux, il est quelqu'un, et, si ce n'était sa modestie, il trouverait à sa petite personne une authenticité, une unicité qui le distingue du commun des mortels. Bien des personnages qu'il croise le remarquent, en particulier les femmes. Orphelin de mère (comme Walser d'ailleurs), Simon fait forte impression tant chez Klara, une riche bourgeoise de Zürich, que chez sa logeuse ou bien chez sa dernière hôte, tenant pension ou auberge dans un coin reculé au-delà de la ville. Toutes sont attirées par ce jeune homme qu'elles ont le sentiment, ou l'envie, de devoir protéger. Avec elles, Simon recrée un lien maternel, y compris avec sa soeur, qui symboliquement le chasse de chez elle, comme une mère dont l'enfant devrait, un jour, quitter le foyer. Quant à ses modèles masculins, Simon les trouve chez ses frères : le rigoureux Klaus, le génial Kaspar. Emil, le fou, est oublié. Mais en voudrait-on à un enfant de ne pas se souvenir de cela ? Car Simon, le jeune homme de vingt ans, a gardé les habitudes de réflexion d'un enfant. Sa vision du monde ne fait pas des règles sociales et sociétales des éléments obligatoires en dehors desquels toute vie respectable est impossible. On ne saurait dire que Simon est inconscient de ce que l'on attend d'un jeune homme comme lui ; au contraire, à plusieurs reprises, il tente de se convaincre qu'il lui faudra se mettre au travail sérieusement. Jamais ses velléités ne sont suivies d'effets. Velléitaire, procrastinateur, aboulique, les sévères qualificatifs ne manqueraient pas pour décrire le caractère de Simon. Cela, ce serait cependant oublier la dimension principale : son attrait immodéré pour la liberté.

Vie pauvre, vie dans avenir, mais vie libre. Simon ne fait pas de caprices lorsqu'il quitte ses emplois. Il n'est pas plus un assisté lorsqu'il est hébergé trois mois chez sa soeur. Tout cela est l'expression d'une liberté. Celle-ci tient d'abord au refus des conventions sociales. Simon ne fait pas ce que l'on attend de lui, car il se place, en tant qu'individu, au-dessus de la société qui ne le peut régir. Pour autant, il ne dénigre pas le choix raisonnable que fait la majorité de ses concitoyens. Sa franchise affichée dès les premiers échanges qu'il a avec ses interlocuteurs (avec le libraire, avec Klara, avec sa logeuse ...) le mettent toujours sur un pied d'égalité avec eux, car, indiquant qu'il sait ce qu'ils attendent de lui, et déclarant tout net sa situation et ses attentes, il les met dans une position qui les oblige à révéler leur humanité profonde. Point de calcul avec Simon : tout est connu à l'avance. Ainsi la liberté individuelle ne signifie pas la supériorité d'un individu sur les autres, mais bien plutôt son humilité. Cette humilité le protège et ainsi le rend libre. Simon ne peut être asservi ni par des besoins matériels, que résoudrait une soumission aux conventions sociales, ni par une mise au défi de son égo. Pourtant, force est de constater que cette rébellion, ce refus de grandir, met Simon au-dessus de la mêlée du monde et en fait un être supérieur. Peu s'y trompent, en le croisant, jusqu'à son frère Klaus qui avoue l'inutilité de ses inquiétudes. Cependant, Simon, comme Robert Walser, cache bien mal des fragilités - et en premier lieu, la fragilité de sa situation matérielle - qui annoncent, peut-être, des temps difficiles. Car l'homme n'est qu'un homme, et que toute proclamation affirmée ou tue de liberté se heurte bien souvent aux affres matériels ou physiques communs à tous. Quant à la liberté, encore faut-il la maîtriser. Dans l'un des derniers dialogues entre Simon et Klaus, le frère aîné indique à son cadet combien épuisante est une liberté qui ne s'attache jamais à rien, vraiment. L'apprentissage de cette dernière est difficile, comme l'est l'intégration de l'individu à la société. Walser l'éprouva douloureusement.
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Bien que le titre suggère au moins deux personnages à cette histoire: Les enfants Tanner, nous allons
surtout suivre le parcours de Simon Tanner.
Simon, issu d'une famille nombreuse et aisée,à presque 20 ans, décide de voyager de villages en villages , et de villes en villes, à la recherche de sensations, il a adopté très naïvement du reste, une philosophie de la vie qui consiste à dire :" eh, bien je suis jeune , pourquoi "croupir" derrière un bureau
quand la nature richement embellie et changeante à chaque saison , me tend les bras, quand les hommes sont si amusants à côtoyer, et fort de ces principes, nous allons le suivre au cours de ce voyage naïf et initiatique. C'est un adolescent en quête de reconnaissance, un homme à peine sorti de l'enfance qui se cherche et cherche sa place dans cette société toujours en mouvement.
C'est le roman d'un "marginal qui projette sur la société un regard très philanthropique quitte à se rabaisser lui-même, tout en se "targuant d'être très intelligent (complexe de supériorité , aurait dit ma
"Prof" de philo.).Et puis de temps en temps , faute d'argent, Simon trouve un travail.mais il choisira son départ en toute liberté.
C'est avec patience et douceur qu'il faut lire cette histoire, en essayant de la replacer dans le contexte de l'époque du grand romantisme allemand.
Patience, parce que beaucoup de descriptions de la nature, au demeurant, fort belles, et un jeune Simon souvent en introspection, de longs chapitres et des bavardages un peu "philosophiques,"mais tendres, lors de son séjour chez sa soeur institutrice.
Robert Walzer, est comme le funambule sur un fil, sa folie n'est pas loin et j'ai resssenti ce côté exagéré et extatique, lumineux? Peut-être un peu trop? qui lui vaudront un internement dans l'asile de
Hérisau en 1933 jusqu'à sa mort en 1956.Retrouvé mort de froid, par des enfants, au bord d'une route,certainement suite à une de ses nombreuses promenades qu'il faisait dans la nature.
Ah, fragilité de l'esprit lorsqu'on est poète! .
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Citations et extraits (53) Voir plus Ajouter une citation
Il y a là quelque chose de fier et d'élevé, mais quelque chose aussi d'incompréhensible et de presque inhumain. Pourquoi donc tous ces gens, qui écrivent ou qui comptent, et même des filles toutes jeunes parmi eux, passent-ils par la même porte du même immeuble et viennent-ils gratter, essayer des plumes, compter et gesticuler, tirer la langue et se moucher le nez, tailler des crayons et porter des papiers? Est-ce qu'ils aiment ça, est-ce qu'ils y sont forcés, ont-ils l'impression de faire quelque chose de raisonnable et de productif? Ils viennent de toutes les directions, certains arrivent même par le train de lieux éloignés, ils dressent l'oreille pour savoir s'ils ont encore le temps de faire une petite promenade avant d'entrer, ils sont si patients dans tout cela, une patience de moutons, et puis le soir ils se dispersent, chacun dans sa direction, pour se retrouver tous le lendemain à la même heure. Ils se voient, ils se reconnaissent à leur pas, leur voix leur manière d'ouvrir la porte, mais il n'ont guère affaire ensemble. Ils se ressemblent tous et sont pourtant tous l'un pour l'autre des étrangers, et si l'un d'entre eux meurt ou détourne des fonds, ils s'en étonnent pendant une matinée et puis tout reprend son train. Il arrive qu'il y en ait un qui soit frappé d'une attaque alors qu'il était en train d'écrire. Qu'aura-t-il donc eu de ces cinquante ans pendant lesquels il aura * travaillé * dans la maison? Cinquante ans durant, il est entré et sorti chaque jour par la même porte, il a employé des milliers de fois la même formule dans des millions de lettres, il a porté un certain nombre de nouveaux costumes et s'est souvent étonné d'user si peu de paires de chaussures dans l'année. Et maintenant? Pourrait-on dire qu'il a vécu? Et des millions d'hommes ne vivent-ils pas comme lui? C'étaient peut-être ses enfants le sens de sa vie? Peut-être sa femme faisait-elle tout le plaisir de son existence? Oui, c'est bien possible. Je ne veux pas me donner l'air d'en savoir plus sur ces choses-là, car je me dis que je suis encore bien jeune.
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Les gens sans défense n’excitent que trop souvent chez les forts l’envie de leur faire mal. Sois donc heureux de te sentir fort et laisse les plus faibles en paix. Ta force paraît sous un bien mauvais jour, quand tu t’en sers pour tourmenter les faibles. Cela ne te suffit donc pas d’avoir toi-même les deux pieds sur terre ? Faut-il encore que tu en poses un sur la nuque de ceux qui vacillent et qui cherchent, pour qu’ils s’égarent encore davantage et coulent plus bas, toujours plus bas, jusqu’à désespérer d’eux-mêmes ? Faut-il donc que la confiance en soi, le courage, la force et la détermination commettent toujours le crime d’être brutal, d’être sans pitié et sans délicatesse à l’égard d’autres qui ne sont pas même un obstacle sur leur chemin, qui sont simplement là à écouter avec envie ce bruit que font la gloire, les honneurs et la réussite des autres ? Est-ce noble, est-ce bien d’offenser une âme en proie aux rêves ? Les poètes sont si vulnérables : alors vous autres, ne blessez jamais les poètes.
Chapitre 5, p64
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[…] quelle splendeur, un homme nu en bonne santé ! Quel bonheur, être débarrassé de ses vêtements, être tout nu ! C’est déjà un bonheur d’être mis au monde, et ne pas en avoir d’autre que d’être en bonne santé est encore un bonheur qui dépasse en éclat les pierres les plus précieuses, les plus beaux tapis, les fleurs, les palais et toutes les merveilles qu’on voudra. La plus merveilleuse des merveilles, c’est la santé, c’est un bonheur auquel on ne peut rien ajouter qui lui soit comparable […] À ce bonheur complet et magnifique, si l’on consent à le reconnaître dans ce corps nu, lisse, mobile et chaud que nous avons reçu de la vie terrestre, il faut bien que quelque chose fasse contrepoids : le malheur ! Il nous empêche de déborder, il nous donne une âme. Il prépare notre oreille à entendre le beau son que cela fait quand l’âme et le corps, mêlés l’un à l’autre, passés l’un dans l’autre, respirent ensemble.
Chapitre 14,p183
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incipit :
"Un beau matin, un jeune homme ayant plutôt l'air d'un adolescent entra chez un libraire et demanda qu'on voulût bien le présenter au patron. Ce que l'on fit. Le libraire, un vieil homme très digne, dévisagea avec attention ce garçon qui se tenait devant lui un peu gêné, et l'invita à parler. « Je veux être libraire, dit le jeune homme, c'est une envie que j'ai et je ne vois pas ce qui pourrait m'empêcher de la suivre jusqu'au bout. je me suis toujours imaginé le commerce des livres comme quelque chose de merveilleux, un bonheur, et il n'y a aucune raison pour que j'en sois privé plus longtemps. Regardez, monsieur, comme je suis là devant vous, je me sens une extraordinaire aptitude à vendre des livres dans votre magasin, en vendre autant que vous pourriez souhaiter. Je suis un vendeur-né : affable, vif, poli, rapide, parlant peu, décidant vite, comptant bien, attentif, honnête, mais pas non plus aussi bêtement honnête que j'en ai peut-être l'air. Je sais baisser un prix quand j'ai affaire à un pauvre diable d'étudiant et je sais aussi le faire monter s'il ne s'agit que de rendre service aux riches, dont je vois bien que parfois ils ne savent que faire de leur argent. Je crois malgré mon jeune âge posséder une certaine connaissance des hommes. D'autre part, j'aime les hommes, si différents soient-ils : je ne me servirais donc jamais de ma connaissance des hommes pour avantager l'un plutôt que l'autre, pas plus que mes concessions aux pauvres diables n'iraient jusqu'à nuire à l'intérêt de vos affaires, monsieur. En un mot : sur ma balance de vendeur l'amour des hommes sera en parfait équilibre avec la raison commerciale, laquelle me paraît tout aussi importante et nécessaire à la vie qu'une âme aimante et généreuse. Je saurai trouver le juste milieu, soyez-en dès maintenant convaincu. »
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J’aime la vie, mais pas pour y faire carrière, bien que ce soit une chose si formidable, à ce qu’il paraît. Qu’est-ce qu’il y a de si formidable là-dedans ? Des dos voûtés avant l’âge à force de rester debout devant un pupitre trop bas, des mains ridées, des visages blêmes, des pantalons en tire-bouchon, des jambes tremblantes, de gros ventres, des estomacs ravagés, des crânes dégarnis, des yeux mauvais, agressifs, racornis, vitreux, éteints, des fronts dévastés et le sentiment avec tout cela d’avoir été un irréprochable crétin. Merci bien. Je préfère rester pauvre et avoir la santé ; plutôt qu’un logement de fonctionnaire, je préfère une chambre pas chère, même si elle donne sur la ruelle la plus sombre, j’aime mieux les ennuis d’argent que l’ennui de me demander où je pourrais bien aller passer l’été pour rétablir ma santé ébranlée ; il est vrai qu’il n’y a qu’une personne au monde qui m’estime, à savoir moi-même, mais c’est précisément l’estime qui me tient le plus à cœur, je suis libre et chaque fois que la nécessité m’y oblige, je peux vendre ma liberté quelque temps et redevenir libre ensuite. Cela vaut la peine d’être pauvre, rester libre.
Chapitre 15, p195
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Vidéo de Robert Walser
Marion Graf présente le premier roman de Thilo Krause, "Presque étranger pourtant", qu'elle a traduit de l'allemand. Parution le 6 janvier 2022.
Un homme hanté par son enfance rentre au pays. Il y retrouve ses souvenirs intacts, les meilleurs comme les pires. Les allées de pommiers. le ciel immense. Les falaises de grès. Et Vito, l'ami d'enfance qui fut, dans un système asphyxiant, son compagnon d'apesanteur. Mais avec lui ressurgit le spectre de l'accident originel. Bientôt, la présence aimante de sa femme et de sa petite fille ne suffit plus à chasser le vertige. Des néo-nazis rôdent, une sourde menace plane, diffuse mais persistante. La nature échappe, se déchaîne. Quelle force pourra lever la chape de silence et d'hostilité ? le suspense subtil de ce roman place le lecteur au plus près du narrateur.
Thilo Krause est né à Dresde, en ex-Allemagne de l'Est, en 1977. Il est l'auteur de trois recueils de poèmes, tous primés. Presque étranger pourtant est son premier roman, lauréat du prix Robert Walser. Thilo Krause a l'art de traduire physiquement les émotions avec une précision et des images à couper le souffle.
https://editionszoe.ch/livre/presque-etranger-pourtant
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