Ce n'est pas tous les jours que l'on reçoit dans sa boîte aux lettres un recueil de
poèmes écrit par un poète de 17 ans « précoce et doué » selon les mots de son éditrice. Les éditions morbihannaises Les Mandarines, qui se consacrent habituellement au théâtre, ont fait une exception pour ce recueil qui sonne comme une entrée en poésie, un nouveau départ dans la vie. L'éditrice Joëlle Mandart le précise dans sa préface : il s'agit d'un double coup de coeur, et pour la qualité des textes et pour la manière dont leur auteur sait les partager en public avec authenticité et émotion. le jeune poète Falmarès, passionné de livres et de littérature, semble en effet porter dans ses gènes la force incantatoire des griots : « la parole du griot sonne dans l'oreille / Tombe au coeur / touche le nerf sciatique ». Ce pouvoir de la parole, il le fait vivre naturellement, intensément, en mêlant son rythme intérieur venu d'Afrique à celui de l'Europe qui l'a accueilli et dont il est aussi culturellement nourri par sa soif de lectures et de rencontres.
Dans ses 39
poèmes sous-titrés Amours et douleurs, le poète, dont le prénom-feu sonne comme une victoire, nous parle de sa mère morte dans ses bras, « partie, sans dire au-revoir », son « Iya, mère-ange » qu'il pleure « comme un papillon vert » sachant qu'elle habite le ciel, la terre, la mer, un autre monde maintenant. Parmi toutes les douleurs, celle-là est inconsolable.
Ce deuil terrible se double de celui de la terre natale, la Guinée-Conakry, que le jeune homme a dû quitter à l'âge de 14 ans. Un long périple empreint de souffrances, de dangers, de difficultés de toutes sortes l'a mené récemment jusqu'à nous, en France, via le Mali, l'Algérie, la Lybie, l'Italie. le poète rend grâce avec effusion à la terre de son pays, la bénit comme on le ferait d'un malade, d'un mourant dont on souhaite la guérison : « Ô terre, sois natale, sois bénie ! ». Même la bonté de la mer qui gifle et noie les migrants est invoquée : « mer patiente, tenace et dormante ». Puissent les éléments hostiles entendre l'âme du jeune griot, son innocence, sa vitalité dont « l'instinct renouvelle la joie de vivre. »
Le souvenir de la mère amène aux saisons, à « l'eau de vie » tant attendue, aux « travaux champêtres », sorte de « longue bataille » contre la sécheresse, aux leçons données par les aînés, aux rêves soulevés auprès des « femmes aux yeux d'or », à l'amertume aussi devant les duretés de la vie. Sous la plume du poète, toute femme s'appelle amour, qu'elle soit d'Afrique ou d'ailleurs. À ce sujet, on notera dans les
poèmes dédicacés par le jeune homme à ses bienfaitrices françaises la façon très touchante dont il appelle chacune « madame ». Désormais la Bretagne lui est terre d'exil, ouverte au réconfort, à l'amitié, aux
soulagements. le chagrin est là toujours mais il s'apprivoise dans sa cage avec optimisme et volonté. Falmarès fait résonner ses mots au-delà de la tragédie, de la souffrance vécue, au-delà de la nostalgie et de ses « langueurs d'âme » qui étreignent le coeur. Pour lui, « nourrir son esprit, s'ouvrir à l'amitié / C'est prendre une gélule antalgique ». le poème ici se veut chant, hymne à la vie, à ses beautés, à son infinie variété avec pour seul viatique cette haute affirmation : « l'amour est une guérison ».
Les mots de la langue d'exil, créateurs de sensations nouvelles, sont amour eux aussi, comme à Koba, comme à Abidjan, comme à Bamako ou Dakar. Ils exaltent/exultent la force de l'amour contre la haine stérile. Les «
poèmes à oiseau » auront raison de la douleur et du ressentiment. Chez Falmarès, la « carence est sans remords », la vie, la puissance de l'amour et de l'espoir emportent tout. Cet « enfant du monde dont le rêve est fleurs / étoiles, amour » nous le dit avec sa fougue : si la poésie ne peut sauver le monde, elle peut nous sauver individuellement et ensemble lorsque l'amour dicte ses mots.
C'est donc un long chemin de vie entre deux rives qu'emprunte le jeune poète de 17 ans nommé Falmarès. Nul doute qu'à la beauté de son nom, il saura ajouter sa voix, sa propre longueur d'onde, en métamorphosant tout ce qu'il doit à ses aînés, de
Léopold Sédar Senghor à Paul Éluard. Sa bonté d'âme, son naturel et son originalité jaillissent déjà entre ses mots comme une source d'eau pure. Vivifiante.