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BLACK LIVES MATTER!
La statue de l'impératrice Joséphine de Beauharnais déboulonnée et jetée, à terre, par des activistes anti-colonialistes, à Fort de France en Martinique. "Le Parisien.fr le 26/07/2020.
Statue déjà décapitée en 1991..

Le livre " Peau noire, masques blancs" parlait du rapport ambigu du noir Martiniquais envers le blanc de la métropole, en 1952.
Une antillaise "de la société " se refusera à épouser un noir, en prétextant son manque d'éducation ou son machisme, mais in-fine, c'est surtout à cause de sa couleur de peau...

"Dussé je encourir le ressentiment de mes frères de couleur, je dirai que le Noir n'est pas un homme." Ose Frantz Fanon, écrivain, docteur et psychiatre et... Martiniquais.
"Le Noir veut être Blanc, Le Blanc est enfermé dans sa blancheur. le Noir dans sa noirceur."

Car, les Blancs s'estiment supérieurs aux Noirs, et les Noirs veulent démontrer le contraire."
Comment s'en sortir?
(Nous sommes en 1952. Mais, les mentalités changent difficilement et lentement, voir les actualités sur les crimes racistes.)

Frantz Fanon parle simplement, clairement (pardon!) et avec humour (c'est un psy!) du rapport entre Noir Martiniquais et Blanc. Car "le Noir se comporte différemment avec un Blanc et un autre Noir."
- Dans le langage:
on interdit l'usage du créole dans certaines familles, ("il faut parler le français de France, le français du Français ")
L'indigène, celui-qui-n'est-jamais-sorti-de-son-trou étant le "Bitaco", le pauvre nègre...

Et "parler comme un livre déchiré", c'est parler comme un blanc".
"Comme un livre déchiré", en créole: c'est parler à tort et à travers :-) le Noir qui débarque, en France, ne parle que français et ne comprend plus le créole.
Mais... Et l'auteur rapporte des anecdotes "comiques" :
Un prêtre a remarqué, parmi ses pèlerins catholiques, un bronzé et lui demande, doucereux:
"Toi, quitté grande Savane, pourquoi et venir avec nous?"
On en rit, mais Frantz Fanon nous éclaire sur le quiproquo et ce parler petit-nègre condescendant, d'un curé... enfariné.

C'est une lecture amusante et instructive, qui peut faire réfléchir sur le racisme et sur les préjugés. L'auteur y convoque Cheik Anta Diop, JP Sartre et d'autres dont Aimé Césaire (député et maire de Fort de France)

"Je parle à des millions d'hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d'infériorité... le larbinisme." Aimé Cesaire, Poète, écrivain et Député Martiniquais.
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Peau noire, masques blancs" Frantz Fanon

Peau Noire, masques blancs est une analyse psychologique comme l'auteur le précise dès le début de l'ouvrage. Écrit en 1952, le livre s'inscrit dans le contexte de la négritude, « ce romantisme malheureux », comme ironise Fanon. Alors que des poètes et des romanciers, pour rendre à l'homme noir sa liberté et sa dignité, le chantaient et s'acharnaient à montrer au Blanc qu'il possède bel et bien un passé très riche, le jeune psychiatre martiniquais de 27 ans adopte un chemin tout à fait différent en se donnant pour but de comprendre l'homme noir de l'intérieur afin de le guérir de sa névrose qui est l'aliénation. Si à cette époque la plupart des pays africains luttaient pour obtenir leur indépendance, Fanon était bien conscient que celle-ci ne serait totale et complète qu'accompagnée d'une délivrance du complexe d'infériorité, corollaire de tout processus de colonisation. Cette double libération était nécessaire et indispensable pour créer des rapports sains entre Blancs et Noirs. « Notre but est de rendre possible pour le Noir et le Blanc une saine rencontre », souligne-t-il. Et pour favoriser une telle rencontre, il faudra libérer le « Blanc enfermé dans sa blancheur » et le « Noir dans sa noirceur ».

Il faudra aussi les libérer de l'histoire, du passé. « Seront désaliénés Nègres et Blancs qui auront refusé de se laisser enfermer dans la tour substantialisée du passé ». Ainsi se refuse-t-il, en tant que Noir, le droit « de souhaiter la cristallisation chez le Blanc d'une culpabilité envers le passé de ma race. » Homme, « c'est tout le passé du monde » que le Noir a à reprendre, à s'approprier. Il n'est pas seulement responsable de la guerre de Saint-Domingue qui a provoqué la naissance d'Haïti. Mais aussi de la découverte de la boussole. Alors seulement naîtra l'homme libre et désaliéné. C'est-à-dire celui qui a retrouvé toute son humanité et s'assume sans complexe.

La fougue de Fanon ou un homme en colère

Frantz Fanon est un jeune révolté, plein de fougue, qui fustige jusqu'à l'approche des grands intellectuels blancs qui soutenaient la lutte des Noirs. La préface Orphée noire rédigée par Sartre subit par exemple sa réprobation. Il refuse en effet qu'il incombe à la conscience noire de « rechercher l'universel » comme le voudrait bien le philosophe français qui qualifie la négritude de « racisme antiraciste » qui se doit de « préparer la synthèse ou réalisation de l'humain dans une société sans races ».

L'actualité de l'oeuvre

Peau noire, masques blancs est tout simplement une ode à la liberté de l'homme. Prônant dans le même mouvement l'égalité entre toutes les races, le livre dépasse la cause des Noirs et embrasse l'universel.

Aujourd'hui, les luttes pour les indépendances sont presque achevées dans le monde à part quelques pays qui restent encore sous domination : la Palestine, le Sahara occidental… Mais de nouvelles négations de la liberté de l'homme ne cessent d'affleurer, comme dernièrement le mythe de l'étranger-profiteur ou le mythe du musulman-terroriste. Dans certains pays, les étrangers sont vus en effet comme les profiteurs d'un système généreux avant d'être perçus comme des hommes qui ont droit au bonheur. Dans la même foulée, depuis le 11 septembre 2001, la population musulmane est considérée comme une sous-humanité car assimilée à des terroristes ou terroristes en puissance. Un terreau fertile pour les partis extrémistes, autres fossoyeurs de la liberté.

Et tant qu'il subsistera ne fût-ce qu'une seule poche d'étouffement de la liberté de l'humain par l'humain, l'oeuvre de Frantz Fanon restera d'actualité. Comme il affirme : « L'homme [est] un oui… Oui à la vie. Oui à l'amour. Oui à la générosité. »

Chez Fanon, la liberté dépasse la liberté du corps et se confond à l'amour et à la générosité. Cette liberté est aussi psychologique et ne sera effective et totale que quand il ne restera plus même dans l'inconscient collectif des peuples anciennement dominés un complexe d'infériorité. Il rêve ainsi d'un monde sain avec des rapports sains entre toutes les races. Et là son oeuvre atteint l'universel de plein fouet.

On apprécie au passage la poésie et les phrases lapidaires du livre.

Extraits :

« Un jour, un bon maître blanc qui avait de l'influence a dit à ses copains :

Soyons gentils avec les nègres…

Alors les maîtres blancs, en rouspétant, car c'était quand même dur, ont décidé d'élever des hommes-machines-bêtes au rang suprême d'hommes. »



« L'homme n'est humain que dans la mesure où il veut s'imposer à un autre homme, afin de se faire reconnaître par lui. Tant qu'il n'est pas effectivement reconnu par l'autre, c'est cet autre qui demeure le thème de son action. C'est de cet autre, c'est de la reconnaissance par cet autre, que dépendent sa valeur et sa réalité humaines. C'est dans cet autre que se condense le sens de sa vie. »


Lien : http://jazzbari.wordpress.co..
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En 2007, lors de son discours à Dakar, Nicolas Sarkozy nous rappelais que : « l'homme africain n'était pas assez entré dans L Histoire, qu'il vivait trop dans le présent et dans la nostalgie du paradis perdu et de l'enfance, dans un imaginaire où tout recommence toujours, ou il n'y a de place ni pour l'aventure humaine ni pour l'idée de progrès » . . .
A une époque ou nos chefs d'état tiennent encore ce genre de propos, la lecture de cet essai me parait indispensable pour comprendre la profondeur des cicatrices psychologiques que cause le préjugé et la domination raciale sur l'humanité entière. Avant-hier les juifs, hier les nègres ou les bolcheviques, aujourd'hui les islamistes, un bouc émissaire est toujours indispensable pour se libérer de nos frustrations, et pour que certains puissent s'engraisser librement sur le dos de la bête, car diviser pour mieux régner !
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Bonjour, aujourd'hui nous allons parler des nègres ! Vous me suivez ?

Voici un magnifique essai de Frantz FANON, édité en 1952, mais qui est toujours très instructif et toujours d'actualité pour certains sujets (malheureusement).

Alors, un nègre c'est quoi ?

Eh bien, ça dépend, car il s'agit d'une construction sociale ; un Noir ne se rend compte de sa négritude que lorsqu'il va vivre chez le Blancs ! Et oui !

Cet essai explore plus particulièrement le nègre martiniquais, mais il étend sa réflexions sur d'autres noirs également. D'ailleurs, savez-vous que pour le Martiniquais, le noir c'était l'Africain bien noir, et pas lui ?

Comment se construire quand l'éducation est donnée par des blancs, la culture aussi : imaginez un Martiniquais en classe, quand on lui parlait de ses ancêtres les Gaulois (sic) et quand tous les héros des contes étaient blancs, par contre les méchants, les sauvages étaient souvent noirs !

Parce que oui, les noirs sont des sauvages, des assassins et en plus, les hommes doivent s'en méfier, parce qu'ils sont bien membrés et font fantasmer les femmes…

Mythes et clichés qui pour certains ont encore cours aujourd'hui ; comme si la couleur devait fatalement vous mettre dans des cases.

Frantz FANON ne donne pas tous les torts aux Blancs ; il reproche aussi aux Noirs d'accepter leur sort, de vouloir se « blanchir » et de parfois rejeter ses frères, se désolidariser d'eux, pour être considéré comme Blanc et donc comme civilisé et instruit !

Il serait difficile ici de retranscrire toute la richesse de cet essai mais je vous le recommande fortement, parce qu'il est bien construit, avec des exemples et des textes à l'appui. Parce que cette construction sociale du Noir, et les clichés inventés par la société, existe encore aujourd'hui et que cette même construction de clichés est aussi employée pour d'autres (homosexuels, femmes) et les gens les intériorisent parfois sans s'en apercevoir.

Alors soyons vigilants et réfléchissons un peu avant d'avoir des idées toutes faites qui ont été véhiculées sans fondement pendant des décennies voire des siècles.

Bref, un essai sur la « négritude » à mettre en toutes les mains…

À lire quelque soit la couleur de votre peau, sous le soleil de la Martinique, ou sous une lampe à bronzer, en dégustant une glace-coco accompagnée d'un Ti-punch. Bonne lecture !

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Je lis rarement des essais, étant plutôt adepte des romans et de la fiction en général. Pourtant j'ai dévoré cet ouvrage. L'auteur Frantz Fanon était un grand psychiatre mais également un grand écrivain qui à force d'exemples et de réflexion nous fait entrer dans la problématique raciale sous un angle totalement inusité.
On comprend comment une société peut formater nos esprits sans même qu'on s'en rende compte et que la seule manière de se libérer de cette emprise invisible et d'autant plus forte est de réfléchir à chacune des vérités que l'on croit établies et de les relativiser.
Ce qui s'applique ici à la perception du noir dans une société blanche peut s'appliquer à tous les rapports sociaux, le rôle de la femme, les dominations sociales.
On voit bien le mécanisme d'aliénation qui est en cause et qui est responsable de tant d'exclusion, d'incompréhension et de souffrance.
En plus, malgré le thème et un traitement du sujet très sérieux , l'auteur arrive à être drôle.
A lire absolument pour son universalisme même si le thème ne vous intéresse pas à priori.
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Frantz Fanon est un psychiatre français qui a passé une bonne partie de sa vie à étudier les conséquences psychologiques de la colonisation sur les peuples colonisés.
Ce livre est le fruit de longues années de recherches menées sur des populations africaines, européennes, et antillaises.
Ce livre amène le lecteur concerné à s'interroger sur son passé, son identité, et sur sa place dans une société qui n'est pas la sienne.
Comment exister lorsqu'on est le fruit d'un long et lent processus de déculturation.
On ne prend conscience de sa différence que lorsque l'on quitte son milieu d'origine.
Le contact avec l'autre (sous entendu l'homme blanc ou la culture occidentale) fait naître
en soi des questions existentielles : dois-je l'imiter à la perfection ou alors rester moi-même ?
La différence ne doit pas être synonyme de division. Elle est plutôt l'intelligence de la ressemblance.
Etre étranger ne signifie pas être étrange mais être seulement différent...
En Afrique noire il reste encore beaucoup à faire...
Le plus malheureux est que peu d'initiatives vraiment sérieuses (et durables) ont été prises depuis les indépendances pour freiner les effets néfastes de ce traumatisme psychologique dû à la colonisation. Les erreurs du passé sont répétées avec une passivité déconcertante et le résultat est là.
Lorsque l'on éduque un peuple (sur des générations) en lui enseignant que sa survie dépend de sa capacité à copier l'autre, il ne faut pas s'étonner de produire des êtres peu fiers de leurs identités et de leurs cultures.
Ils refusent d'en être les ambassadeurs, mais acceptent d'endosser le rôle de ces hannihilateurs.
« Celui qui copit aura toujours un temps de retard sur celui qu'il copit ».
Tout est dit.
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Un livre que j'ai lu il y plus de 20 ans, quand j'étais à la fac. L'ouvrage qui m'a permis de penser la complexité de la colonisation et des rapports de domination qui contribuent à la formation de l'identité. Toujours d'actualité.
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Un matin calme, on aimerait se réveiller dans un monde sans race et sans classe.
Étais je un noir qui avait rêvé d'être un blanc, ou bien un blanc qui avait rêvé d'être un noir ?

Être - blanc, noir, juif, arabe, ceci ou cela - est une apparence ou un masque, ou plus généralement un phénomène qui ne va pas de soi. Et on le sait sans doute, l'enfer c'est d'être déterminé par le regard d'autrui, sous le rapport de domination d'un pur regard qui voit sans être vu.

Fanon, en tant qu'homme noir, connaît trop ce regard et les mots qui l'expriment. Et s'il prend la peine d'abord de décrire cette cruelle chosification c'est pour mieux saisir l'aliénation qui s'en suit, et trouver le début d'un chemin d'émancipation.

Répétition :
Y'a bon Banania
Y'a bon Banania

Telles sont les marques d'un langage qui marque sans être marqué. À noter que le site internet de la marque affiche encore une parfaite ingénuité. Pas un mot sur cette période peu glorieuse.

Dans la même tonalité, on rencontre un spécialiste des humanités expliquant que certains peuples étaient naturellement prédisposés à être colonisés. de même encore, certain.es expliqueront que les espèces animales domestiquées devaient être disposées à éprouver une sorte d'affection pour le maître en tant que maître.

Je fais ici le rapport entre spécisme et racisme ; l'auteur ne le fait pas. On y revient plus bas.

En tous les cas, je dois toujours me pincer pour me dire que ces thèses existent. Et pourtant, celui ou celle qui les profère ne fait que manifester sa liberté absolue. Il faut se prendre pour Dieu pour assigner à autrui des dispositions magiques, et pour finalement disposer d'elle ou de lui.

Nous parlons couramment de la domestication des espèces, l'homme y compris. Mais tandis que certain.es sont prêts à y voir de l'affection et du consentement, Fanon nous fait maintenant voir l'effraction et l'aliénation.

Les spécialistes tenteront raisonnablement de mesurer la propagation de la fracture de la colonisation ou de la domestication. Mais justement, Fanon rappellera plus tard que les anciens colons ne seront jamais quitte de ce point de vue.

Pour l'heure, il observe l'aliénation de frères et soeurs de couleur qui ont cherché, par tous les moyens, à disparaître en se confondant sur un fond blanc ; certain.es en s'unissant avec un.e partenaire blanc.he.

Finement, patiemment, Fanon rassemble quantité d'observations, et tente de repérer les déterminations psychologiques, un inconscient collectif, des névroses. Sa position de psychiatre le guide dans ce sens, mais lui rappelle en même temps le pouvoir sur-déterminant du regard qui surplombe.

L'aliénation, masquant une autre aliénation, n'a peut être pas de limite. On dirait comme Deleuze que « le masque est la vérité du nu ».

En s'intéressant de près à son propre vécu d'homme noir, il voit qu'à chaque étape de son difficile chemin d'émancipation, il est poursuivi par la rhétorique du colonial.
L'homme noir prétendait invoquer la raison, alors on lui prouve qu'il a tort. Fanon poursuit donc son chemin de fuite : il lui faut « liquider le passé », et devenir « imprévisible ».

C'est alors qu'il découvre avec les poètes de la « Négritude » une pulsation propre de l'homme noir, et une nature : « Le nègre aujour­d'hui est plus riche de dons que d'oeuvres » (Senghor) etc…
Mais on lui dira encore qu'il n'ira jamais aussi loin que les élans mystiques qu'ont connus les blancs.

Il répète malgré tout :
Je suis noir
Je suis noir

Car maintenant ça veut dire : « je suis mon propre fondement ». C'est une déclaration universelle, et pas simplement un « racisme anti-raciste ». Il a commencé à liquider les déterminations du passé et pourra bientôt conclure : « Le nègre n'est pas. Pas plus que Le Blanc. »

Dans ce tournant existentiel, il a croisé Sartre, à travers des textes comme « l'Etre et le néant », « Réflexions sur la question juive » etc… et le plus récent, « Orphée noir », en préface du livre de Senghor, « l'Anthologie de la poésie nègre et malgache ».

Le dialogue de Fanon avec Sartre permet d'éclairer mutuellement deux pensées qui ne se confondent pas. Ensemble, ils font vibrer les pôles immuables de la philosophie, et lui font rendre un nouveau son. Il faut lire « Orphée noir », en ouverture d'un « chant de tous et pour tous », et se réjouir d'entendre Fanon tout reprendre.

Ensemble, ils reconnaissent l'importance littéraire et politique de la « Négritude » sur le chemin de l'émancipation, mais Fanon insiste sur le moment fondateur, reprochant à Sartre de n'y voir que le « moment faible ».

La lutte pour la liberté s'annonce. Examinant, avec Hegel le couple maître-esclave, il est clair pour Fanon que l'esclave ne peut prétendre être libre en s'entendant dire sans combattre « Désormais tu es libre ». Il lui faut lutter contre le maître, face à face.

Ce qui se profile n'est pas le matin calme d'un monde sans race, mais les guerres de décolonisation. Emportant tous « les damnés de la terre », la misère économique a accéléré l'histoire. Fanon prendra une part très active au combat politique.

En conclusion, l'auteur n'essaie pas de transposer tel drame avec tel autre. La lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis n'est pas équivalente à telle ou telle lutte de libération nationale, et n'est pas non plus notre situation actuelle.
Mais la tension qui habite Franz Fanon au présent, sa sensitivité, évoque à la fois toutes les questions existentielles, et le chemin qu'il faut à chaque fois se frayer. Son style étonnamment efficace et effectivement étonnant, évoque une course de vitesse, psychologique, politique et culturelle, entre la « désaliénation » et l'aliénation,

EPILOGUE à fleur de peau

Je suis passé très vite sur le rapport entre spécisme et racisme, juste le temps d'apercevoir leurs racines communes. Fanon connaît trop bien d'ailleurs les insultes racistes largement empruntées à la zoologie.

Or, Fanon, refusant de s'engluer dans l'être, restant à fleur de peau, étant son propre fondement, finit pourtant par se fonder sur une vaine proposition spéciste :

« Un chien se couche sur la tombe de son maître et y meurt de faim. Il revient à Janet d'avoir montré que le dit chien, contrairement à l'homme, n'était tout simplement pas capable de liquider le passé. »

Sérieusement, que savent-ils du chien ? Fanon voulait « en finir avec ce narcissisme », alors, sans attendre la réponse, il nous faut continuer à chercher notre chemin.

L'homme Ancien, aristotélicien, répète lamentablement, je ne suis pas un animal (je suis supérieur en ceci ou cela). La philosophie est nativement spéciste.

Malgré tout je répète :
Je suis un animal
Je suis un animal

Mon être c'est la différence. C'est une déclaration universelle. Voyez mes mutations infinies.
Je peux être sauvage ou domestiqué.e. Voyez la tension qui m'habite, ma sensitivité.
Je peux être mangé.e par autrui, comme je mange à mon tour d'autres êtres vivants. Je ne me nourri pas de cailloux. J'aime les chairs s'enfonçant l'une dans l'autre, le sexe, les caresses, le jeu.

Librement inspirés par Fanon, nous dirions aujourd'hui que « l'Homme nouveau » lutte pour la luxuriance de la planète.
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Après des lectures antillaises, esclavage, décolonisation . Simone Schwarz-Bart, Maryse Condé, Chamoiseau, Glissant, Césaire. Après la visite à l'exposition Senghor au Quai Branly. Avec toutes les polémiques autour du mouvement "woke"(pas "wokisme" qui est un concept d'extrême droite). Après un demi-siècle qui nous sépare de l'esprit de 68. J'ai eu envie de revenir à Fanon que j'ai lu en découvrant la Librairie Maspéro, rendez-vous des soixante-huitards. J'ai perdu le joli volume de la petite collection Maspéro. Je me souviens des Damnés de la Terre, de la Révolution Africaine. A l'époque c'était plutôt la décolonisation, la suite de l'indépendance de l'Algérie. Je tenais Fanon pour un politique.

Aujourd'hui que reste-t-il de ses écrits?

J'ai donc téléchargé Peau noire, masques blancs que je n'avais pas lu autrefois.

"C'est un fait : des Blancs s'estiment supérieurs aux Noirs.

C'est encore un fait : des Noirs veulent démontrer aux Blancs coûte que coûte la richesse de leur pensée, l'égale puissance de leur esprit."

Première surprise : je ne savais pas que Fanon était médecin, psychiatre, psychanalyste et que cet essai était son mémoire de thèse. J'ai été désarçonnée par ce vocabulaire spécifique auquel je suis bien étrangère.

"Cet ouvrage est une étude clinique. Ceux qui s'y reconnaîtront auront, je crois, avancé d'un pas. Je veux
vraiment amener mon frère. Noir ou Blanc, à secouer le plus énergiquement la lamentable livrée édifiée par des
siècles d'incompréhension."

Peau noire, masques blancs est donc un ouvrage se référant à la psychanalyse, analysant des cas cliniques, le rapport au langage, la culture

"Tout peuple colonisé - c'est-à-dire tout peuple au sein duquel a pris naissance un complexe d'infériorité, du faitde la mise au tombeau de l'originalité culturelle locale se situe vis-à-vis du langage de la nation civilisatrice, c'est-à-dire de la culture métropolitaine."

C'est un livre très sérieux bourré de références à Sartre, Hegel, Adler, Jung. 

Il fait une analyse de romans mettant en scène des couples mixtes Blanc/Noire comme Mayotte Capecia ou les travaux anthropologiques d'O. Manonni à Madagascar. Il faut s'accrocher même si certaines lignes ne manquent pas d'humour : 

"Il y a une trentaine d'années, un Noir du plus beau teint, en plein coït avec une blonde « incendiaire », au moment de l'orgasme s'écria : « Vive Schoelcher !"

Son analyse du racisme fait beaucoup appel à Sartre et à la Question Juive ainsi que son Orphée Noir. 

Effet miroir de ma lecture récente d'André Schwarz-Bart en  empathie pour les Antillais, Fanon, martiniquais, écrit à propos de l'antisémitisme:

"L'antisémitisme me touche en pleine chair, je m'émeus, une contestation effroyable m'anémie, on me refuse la possibilité d'être un homme. Je ne puis me désolidariser du sort réservé à mon frère."

J'ai soutenu l'effort, sachant que je ne comprenais pas tout, j'ai terminé cet ouvrage. Les pages que j'ai préférées cependant ne sont pas de Fanon mais de Césaire dont les poèmes illustrent ses propos. 

Difficile de répondre à la question initiale : ces écrits sont-ils encore d'actualité, après les Indépendances, Black lives matter? En tout cas les théories de Marie Bonaparte sur les phantasmes de viol et les éventrations sont illisibles après Meetoo! 

Terminons par cette affirmation  toujours actuelle : 

Chaque fois qu'un homme a fait triompher la dignité de l'esprit, chaque fois qu'un homme a dit non à une
tentative d'asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte.






Lien : https://netsdevoyages.car.bl..
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A lire, certainement. Certains passages ou reprises de paroles d'autres auteurs ou penseurs (catastrophiques ou constructifs) sont parfois ardu, ce n'est pas une lecture facile. Cela dit, c'est parsemé de "punchlines", mais remplie de sens et de force qui sont des coups de poings salutaires, pour s'éveiller à des réalités qui nous ont échappées, écouter, apprendre.
L'aspect psychanalytique de la réflexion semble avoir été une nécessité pour Fanon, mais ce n'est que pour mieux la dépasser, notamment dans ses conclusions.
Sartre retrouve des couleurs, si je peux me permettre.
La lecture hégélienne également. Bien intéressant.
Se comprendre, se réapproprier et ensuite convoler.
De l'humanisme pur et dur.
Fanon est à la mode et j'espère que le feu ne sera pas un feu de paille. La prochaine fois, le feu ; maintenant le feu, maintenir le feu, main-tenir.
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