Comme un mirage,
Petit Pays trompe d'abord son lecteur par la séduction, le charme, le plaisir qu'il distille à chaque page.
Je me suis bêtement dit : « Ouf ! Plus de suicides, de meurtres, de fait divers sordide, de déluge punitif, voilà un récit d'enfance qui va me dépayser et me divertir un grand coup, au milieu du flot de titres particulièrement sombres de cette rentrée littéraire 2016! ».
Hélas, les enfances trop paradisiaques on attend toujours qu'un archange courroucé les chasse de leur Eden, manu militari, et les envoie se colleter avec la réalité.
Il ne manquait que le génocide à la déjà longue liste des atrocités de cette rentrée flippée…Avec
Petit Pays, c'est chose faite.
Mon mirage s'est donc dissipé bien vite, en même temps que se fissurait le «
petit pays » de cocagne et de joyeux brigandage de mangues entre potes-
petit pays que cette petite impasse des « enfants gâtés » de Bujumbura, elle-même enclose dans le «
petit pays » du Burundi, où des réfugiés de tout poil, issus du Rwanda ou du Zaïre, se mêlent aux fonctionnaires français , allemands, grecs ou belges, expatriés de longue date et le plus souvent mariés à de belles Tutsies.
Nous sommes en juin 1993 à la veille de l'avènement de la démocratie au Burundi après « trente années de règne sans partage de l'UPRONA », le parti militaire au pouvoir, et au moment du premier vote libre…mais ce n'est pas l'UPRONA qui gagne les élections. Une ère nouvelle commence, dans l'euphorie, même si certains restent réservés, voire méfiants…
Ils n'ont pas tort : la fête démocratique va tourner, quelques mois plus tard, au cauchemar, quand, après qu'un même avion abattu a vu mourir les présidents respectifs du Rwanda et du Burundi, le volcan de la haine se rouvre à nouveau dans ces deux pays. .
Au Rwanda, d'abord, se rallument les guerres ethniques, séquelles d'une colonisation qui a toujours joué des antagonismes tribaux pour mieux régner, déclenchant un génocide atroce, sauvagement excité par la radio des Mille Collines : les Hutus massacrent les populations Tutsies, tandis qu'au Burundi, «
petit pays » jusque là tranquille, accueillant et plein de réfugiés rwandais, même les enfants des quartiers favorisés s'organisent en « gangs », troquant leur argent de poche contre des kalachnikovs ou des grenades, pour défendre leurs maisons, leurs familles, leur ethnie, tutsie, massacrée de l'autre côté de la frontière.
L'embrasement est général, et dans cette soudaine éruption de violence, sombre toute l'innocence, la joyeuse insouciance de l'enfance. Ceux qui, comme Gaby, le narrateur, petit français métis de mère rwandaise, ne se sentent ni d'un camp ni de l'autre, sont sommés de choisir. Et avec quelle férocité !
Les amitiés à la vie à la mort se défont brutalement, les familles se désagrègent, les domestiques familiers et amicaux, disparaissent dans la tourmente, les parents ne sont plus ni des garants ni des protecteurs mais des cibles, ou de pauvres créatures, folles de douleur, en état de choc permanent.
Dans l'impasse, les enfants « gâtés » (mais cette fois comme on parle d'un fruit corrompu par la violence de la grêle) ont été pour la plupart envoyés en France où ils vont tenter de se reconstruire.
Il reste au petit Gaby, trop vite mûri, les souvenirs, puissants, magiques, d'une Afrique pleine de saveur et de lumière, peuplée de rires heureux, de musique et d'escapades intrépides, qu'il dresse de toutes ses forces contre le chaos pour s'empêcher de sombrer, il lui reste les lettres à la petite correspondante française qu'il n'a jamais vue mais qui le fait fantasmer, et surtout restent les livres, cet antidote au cauchemar de la réalité, le meilleur rempart de Gaby contre toutes les absences, toutes les barbaries et toutes les trahisons..
Hélas, oui, il s'est dissipé, le mirage de cette enfance heureuse, de cette Afrique accédant sans effort à la démocratie, de cette réconciliation des peuples écoeurés par la guerre et le sang toujours recommencés : demeure un livre poignant, sincère, authentique.
A hauteur d'homme, à hauteur d'enfant devrais-je dire, et c'est justement ce qui fait sa force. Pour un premier roman, c'est une vraie réussite.