FLAUBERT ET L'ORIENT MYTHIQUE
Gustave Flaubert (1821-1880) a toujours puisé à grandes brassées dans un imaginaire nourri de ruminations érudites, de visions stupéfiantes issues de ses pérégrinations, de ratures inépuisablement épuisantes, d'une aspiration insatiable au Beau, d'un rêve d'Absolu amoureux (Emma Bovary en sort écrasée, Frédéric Moreau meurtri à vie...)
Plus qu'un Forgeron hurlant ses mots, ses phrases, ses paragraphes dans son gueuloir, il est Joaillier, Orfèvre, Sculpteur pesant, soupesant, humant le langage.
Il le veut chatoyant, luxuriant, baroque. Il doit traduire l'Excès qui le taraude dès qu'il se met à l'Oeuvre....
Sa visite du Moyen Orient entre 1849 et 1851 sert de décor de fond, de nappe phréatique, de terreau à cette vision démesurée qu'il aime appliquer à l'Antique.
On nage dans le sang, la tripe, on égorge, on brûle on massacre, on réduit en esclavage, on viole, on détruit...
Sur cette toile de fond se déroulent la Passion Amoureuse de salammbô et de Matho (salammbô-1862), l'Erotisme de Salomé (Les trois contes-1877) et
la Tentation de Saint Antoine (1877), double chrétien de l'ermite
De Croisset.
Voilà donc Saint Antoine , desséché de solitude sur son rocher, exposé au Doute, au Désir, testé dans sa Foi, moqué dans sa Croyance.
Tout y passe : les sept péchés capitaux déployant leurs fastes empoisonnés, les hérésies gnostiques et arianiste, les religions venues de tous les coins d'Asie, le Diable tentateur ("l'Esprit qui nie tout") le Sexe et la Mort, les cultes égyptiens, les divinités païennes grecques et romaines, les créatures monstrueuses.
Antoine en sort fortifié, renforcé, apaisé, se retrouvant enfin justifié par le visage d'un Christ-Roi vainqueur de tous les périls.
"Oeuvre de toute ma vie" disait
Flaubert, elle est aussi "le cabinet secret de son esprit" selon
Baudelaire qui "voulait surtout attirer l'attention du lecteur sur cette faculté souffrante, souterraine et révoltée, qui traverse toute l'oeuvre, ce filon ténébreux qui illumine et qui sert de guide à travers ce capharnaüm pandémoniaque de la solitude" (Prière d'insérer-Folio)....
Rien à rajouter à cette magnifique démonstration si ce n'est pour l'inaltérable plaisir du style deux phrases parmi d'autres : "L'ignorance est l'écume de l'orgueil" ; "Dans une éclaircie, tout à coup, passent des oiseaux formant un bataillon triangulaire, pareil à un morceau de métal et dont les bords seuls frémissent".