Initialement, chroniquer le recueil de
Séverin Foucourt me posait problème, un véritable dilemme, pour une bête question de familiarité : je connais l'auteur. Personnellement. Intimement. On part en vacances ensemble. On joue au tennis. On échange vinyles et cancans. Bibliquement même. On multiplie les soirées. On ricane. On se gausse. On joue à touche-touche. Au point d'avoir vécu quelques parties de frotti-frotta — consenties pour la plupart, sous prétexte d'éthylisme pour les autres —. Je connais à la fois son ancienne femme et la future. Sa tante m'embrasse sans masque FFP2. Sa cousine me turlupine. Sa mère me… non, pas madame Foucourt ! le « fiston à sa maman » possède ses limites, mais vous mesurez le genre de relations que j'entretiens avec l'énergumène à la braguette tombante.
Bref. J'étais gêné, baignant dans un inconfort éthique, craignant que mes sentiments pour l'homme, l'auteur et l'amant ne trahissent ma réception de son livre, dans un sens comme dans l'autre d'ailleurs, soit en embellissant ma rubrique (pour garder mon compagnon de route), soit en ternissant injustement son travail (car on porte rarement crédit aux gens que l'on voit boire avec excès). Mais après tout, pourquoi « le p'tit gars du coin » n'aurait-il pas l'envergure des « p'tits gars d'ailleurs » ? On est toujours l'auteur « local » de quelque part. Est-il si difficile de porter un oeil objectif aux scribouillages d'un copain, d'un camarade de bamboche, d'un mec de chez moi ?
C'est donc un tantinet angoissé, fiévreux, avec la bave au coin des lèvres, que j'ai entrepris la lecture de ce recueil de 17 nouvelles, courtes et sèches, qui n'est pas sans rappeler une certaine anatomie de l'auteur (mais j'ai vite appris, ici, que ça n'est pas la taille qui fait l'habit du moine…).
En effet, et c'est bien où je souhaitais en venir : dès les premières nouvelles, toutes mes craintes affectives sont tombées ! Bam, bim, boum ! J'ai découvert chez mon ami — rassuré et le slip un brin tendu — un véritable gratte-papier, une dentelière, un créateur, avec ses mondes, ses aspirations, et une palanquée de nouvelles ciselées, vives, efficaces, rodées. Que n'ai-je été apaisé ! Pas la peine pour moi de modérer mes louanges, je peux m'y fourvoyer avec franchise et sincérité. Surplus de jouissance, je découvre — en sus — des angles nouveaux chez un poto de longue date, ce qui n'a pas de prix (enfin, si, 12 euros, mais c'est peu cher payé pour le nombre de rhums engloutis dans sa cahute).
Côté thématiques, Séverin ouvre avec des histoires d'infidélités, des vengeances de cocus, entre coups de feu et coups de sang. Quand on voit comment l'auteur traite la concurrence, on évite de trop tourner autour de sa femme (et ça n'est pas ici que j'avouerais quelque coup de canif au contrat de mariage).
On sent que l'homme Foucourt aime décortiquer le triangle amoureux, qu'il affectionne les vengeances psychologiques, qu'il aime faire vivre les petites gens, défendre les modestes. L'auteur ne fait jamais la leçon, il laisse entendre. Il suppose les choses, mais ne les impose pas au lecteur. Ses lignes sont dynamiques, dignes d'intérêt, les ambiances travaillées, les débuts de texte toujours alléchants. On ne voit pas les chutes arriver, on les prend pleine face. On n'entend pas de petite musique, on sursaute aux coups de clairons. Quand ça tombe, ça tombe ! Chez lui, le couperet est imprévisible.
Aucune redite, pas de méthode appliquée, l'auteur se renouvelle avec brio, explore, creuse, surprend. Bref. Faut s'y pencher.
Une seule critique, un seul bémol (mais de taille) : le livre se corne au bout de trente lectures. Je préconise donc d'acheter l'ouvrage en double. A bon entendeur. Pour ma part, je retourne bouquiner l'ouvrage, une trente-et-unième fois, car je me lasse aussi peu de sa prose que de sa femme... enfin, ceci est une autre histoire... mais chut ! Toutes les histoires ne sont pas bonnes à dire. Contrairement à celles de ce recueil, qui sont toutes bonnes à lire.