Dans un petit village des Caraïbes, les habitants s'endorment enfin après la grande fête donnée à l'occasion du mariage de Bayardo San Roman et d'Angela Vicario.
Mais à deux heures du matin, le jeune marié ramène tout d'un coup Angela à la maison de ses parents. Il la répudie car elle a menti sur sa virginité au moment du mariage.
Quand les jumeaux Pedro et Pablo Vicario, les frères d'Angela, rentrent à la maison, ils décident de venger l'honneur familial en tuant Santiago Nasar, celui qui, d'après leur soeur, est responsable de sa répudiation.
Crónica de una muerte anunciada est un récit d'une force surprenante malgré sa brièveté. Quelle puissance dans les termes utilisés, quel suspense ressenti grâce au coup de génie de l'auteur : commencer par la fin, c'est-à-dire la mort de Nasar, avant de nous expliquer les faits ayant mené à ce désastre.
C'est par le biais d'un narrateur qui semble enquêter a posteriori sur la mort de Nasar que
García Márquez nous explique les faits. Minute par minute, la situation est analysée en profondeur et les différentes implications et raisons de l'assassinat commis par les frères Vicario se dévoilent petit à petit.
Désir de vengeance, bien entendu. Mais pas seulement. Obligation, pour deux jeunes hommes, de blanchir l'honneur familial en faisant couler le sang d'un homme dont la culpabilité n'est pourtant pas établie avec certitude. Alors qu'en fait, ni Pablo ni Pedro ne semble ravi de commettre cet acte irréparable. Au fur et à mesure de l'explication des faits par le narrateur, on se rend compte que, si les jumeaux racontent à tout le monde ce qu'ils s'apprêtent à faire, c'est parce qu'ils espèrent être arrêtés avant les faits. Ils souhaitent que quelqu'un, n'importe qui, même une femme, les empêchent de tuer Nasar. Ou, tout au moins, qu'on prévienne leur future victime, afin que Nasar se mette à l'abri ou soit en mesure de se défendre.
Les frères Vicario ne sont pas des assassins, ce sont les us et coutumes de leur société qui ont véritablement tué Nasar. de manière indirecte, mais aussi sûrement que les couteaux utilisés par les jumeaux. Si la virginité d'une femme avant le mariage n'était pas aussi importante dans ce petit village reculé des Caraïbes, si Angela n'avait pas menti sur l'identité du responsable, si elle avait avoué à son futur mari qu'elle n'était pas vierge, si quelqu'un avait prévenu Nasar, si celui-ci avait fait la grasse matinée au lieu de se lever tôt pour apercevoir le bateau de l'évêque passer sur le fleuve derrière le village... Ce sont tous ces éléments très divers et apparemment sans aucun lien entre eux qui mènent Nasar à sa perte.
Et le pire, dans tout cela, c'est que la quatrième de couverture nous apprend que c'est un événement réel similaire qui a inspiré cette nouvelle (vu le peu de pages, je pense que c'est le terme le plus approprié) à
García Márquez :
" Acaso sea Crónica de una muerte anunciada la obra más «realista» de
Gabriel García Márquez, pues se basa en un hecho histórico acontecido en la tierra natal de escritor. "
(" Cronica de una muerte anunciada est sans doute l'oeuvre la plus " réaliste " de
Gabriel Garcia Marquez, puisqu'elle se base sur un fait historique qui s'est déroulé dans le pays natal de l'écrivain. ")
On a d'ailleurs plus d'une fois l'impression que, lorsque le narrateur parle, c'est en fait
García Márquez qui s'exprime à travers lui. L'auteur aurait-il lui-même enquêté sur ce fait divers qui l'a marqué au point de lui inspirer une histoire ? Mystère.
Toutefois, malgré ce réalisme, la part de " magie ", typique du de l'auteur, ne manque pas. Ainsi, le village décrit ici rappelle Macondo, cette bourgade imaginaire, décor des
Cent ans de solitude de
García Márquez. Et pour être sûr que son récit marque les esprits, l'auteur n'hésite pas à faire marcher et parler un Santiago Nasar agonisant qui, tout en retenant les entrailles qui tombent hors de son ventre, parvient à rentrer chez lui en faisant le tour de la maison (les frères Vicario l'ont tué alors que Nasar essayait de rentrer chez lui par la porte de devant, fermée à clé) à crier à une voisine : " Ils m'ont tué ".