Ah ! Voilà une belle tragédie comme on les aime : cruelle, sanglante, larmoyante, sans issue, emphatique, un brin grotesque mais assez percutante, bref, en un mot comme en mille : à point.
Fallait-il qu'
Euripide soit fasciné par les femmes pour leur dédier autant de tragédies ! de l'épouse bafouée devenue meurtrière, dans
Médée, à la femme modèle sacrifiée, dans
Alceste, l'auteur passe ici par la mère vengeresse, dans
Hécube. Des femmes, des femmes, toujours des femmes, la larme à l'oeil et l'arme à la main avec du sang dessus, si possible, tant de poignards et tant de gorges tranchées qu'on s'y perd dans le décompte.
En tout cas, si je devais n'en choisir qu'une d'
Euripide, ce serait probablement cette
Hécube (j'aime bien
Oreste aussi), cette ancienne reine troyenne, déchue à la chute de Troie, dont les nombreux enfants (aux rangs desquels on compte rien moins que Hector, Pâris et Cassandre) sont tous tombés, sauf deux : son dernier fils, Polydore (rien à voir avec le gentil cycliste qui arrivait toujours deuxième derrière Jacques Anquetil), confié, dans la tourmente de la guerre avec les Grecs, aux bons soins du roi Thrace Polymestor avec un petit pécule confortable, afin de lui assurer un début dans la vie.
Ensuite, sa dernière fille, Polyxène (oui, je sais, ils sont tous polis dans cette famille, c'est l'éducation sûrement), qui est aussi belle que vaillante, du digne sang de roi. Or, vous savez que les familles royales déchues n'ont pas un sort facile, donc, la vieille
Hécube et sa fille sont rabaissées au rang de simples esclaves des Grecs et, en particulier, de leur roi Agamemnon.
Déjà, cela s'engageait mal pour notre héroïne, mais comme un malheur n'arrive jamais seul, les Grecs qui pleurent la mort de l'héroïque Achille pensent qu'il serait bon de lui offrir un petit sacrifice, histoire de lui rendre agréable le voyage au royaume d'Hadès, et, bien évidemment, qui a été désignée ? Pas de bol, c'est Polyxène.
Hécube essaie bien de négocier un peu avec Ulysse, mais tout disposé qu'il est à lui rendre service, on ne mégote pas avec un présent pour Achille tout de même !
Hécube a beau se désespérer, user de toutes ses dernières influences, invoquer des serments et des services rendus, voilà, la chose est entendue : Polyxène doit y passer pour la bonne cause.
Et Paul, y dort ? Eh oui, qu'en est-il de Polydore ? Faut-il croire en sa bonne fortune ? Certes
Euripide est parfois capable de signer une fin heureuse inespérée, comme dans
Alceste par exemple, mais ici, point de tout cela, puisque l'inqualifiable Polymestor n'a rien trouvé d'autre à faire que de trucider le gamin pour empocher l'or qui devait lui revenir.
Hécube boit donc le calice jusqu'à la lie et je vous laisse découvrir la chute si vous ne la connaissez déjà.
Quand on se place du point de vue du projet de l'auteur, projet artistique, mais aussi et surtout projet civique et social, le fer de lance de cette tragédie semble être le devoir de faire appliquer la justice que doit l'autorité, même au plus humble et déconsidéré de ses sujets. Ainsi, même l'esclave doit pouvoir se fier en l'impartialité de la justice, en tant que fondement de l'organisation sociale.
Si les auteurs classiques ont eu besoin (ou injonction, car on sait que le pouvoir s'appuyait sur les festivités lors desquelles étaient jouées ces pièces pour faire passer des messages à son bénéfice) de communiquer là-dessus, peut-être est-ce parce que ce trait ne paraissait pas évident aux citoyens ? Je ne suis pas assez calée en histoire antique pour me prononcer plus avant sur cette voie.
Euripide s'ingénie également dans cette tragédie à montrer la vulnérabilité des chefs, qui, pour ne pas déplaire à la foule, prennent ou refusent de prendre les décisions que leur conscience leur dictait. C'est le cas d'Ulysse, qui, bien que se sentant redevable envers
Hécube, n'ose pas aller contre le désir des compagnons d'Achille. C'est encore le cas d'Agamemnon, qui ne veut pas trop se compromettre dans l'histoire avec le roi Thrace Polymestor.
Il n'empêche que quelles que soient les motivations de l'auteur pour écrire cette pièce, je la trouve belle et plus alerte que beaucoup de ses contemporaines et qu'elle peut être une intéressante porte d'entrée pour l'art si particulier de lire du théâtre grec antique au XXIème siècle. Mais tout ceci, bien entendu, n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.