Il y a près de cinq siècles, l'horreur de l'esclavage s'installait tranquillement en Amérique. Les Africains, sous le joug de cette dégueulasserie, allaient devoir trouver des expédients pour tenir le coup face à la barbarie d'une condition dont ils savaient qu'ils ne sortiraient pas. Pour beaucoup, ce salutaire soutien vint de la bible.
Livre saint que leurs maîtres – en les maintenant sciemment dans l'analphabétisme – ne souhaitaient pas les voir lire ; trop de versets exaltant les libertés humaines risquaient de leur mettre des idées d'émancipation dans la tête. Tant pis, faisant fi de leur illettrisme, les esclaves ont façonné leur propre interprétation du nouveau testament et, mélangés aux croyances de leurs racines religieuses africaines, des sermons ont commencé à se faire entendre dans les huttes, dans les champs... Partout où ils pouvaient se rassembler, un prédicateur prêchait la bonne parole.
Depuis, cette ferveur spirituelle qui au départ ne semblait qu'un refuge pour supporter l'infortune de leur misérable destinée et nourrir l'espoir d'être sauvé (sinon dans ce monde au moins dans l'autre) et libéré à l'instar du peuple d'Israël lors de l'exode hors d'Égypte, n'a eu de cesse de prospérer et de se perpétrer à travers les âges et les bouleversements de l'Histoire. L'église Noire fut et reste encore l'indéfectible ciment liant théologie, culture, histoire et politique.
De l'esclavage à Black Lives Matter,
Henry Louis Gates Jr, à travers le prisme de la religion, retrace donc plus de 400 ans d'Histoire Africaine-Américaine que l'on découvre par le biais de son peuple, de ses croyants et de ses leaders. Jalonné d'illustres repères à l'évocation de quelques grands noms universellement connus (
Malcolm X, MLK...), reste beaucoup de découvertes dans ce
Black Church foisonnant d'informations et dont certains thèmes abordés de façon quelque fois sommaire mériteraient de voir un livre entier leur être consacré. Malgré ces survols parfois un peu frustrants, Gates nous retransmet parfaitement les différentes façons dont l'église Noire a incarné et représente encore aujourd'hui l'identité des Africains-Américains souvent pour le meilleur mais pas toujours, l'auteur ne minimise pas la problématique inhérente aux croyances développées au fil du temps : patriarcat solidement enraciné, conservatisme et négation systématique de la communauté LGBT+.
Malgré tout, l'église Noire que les suprématistes blancs ont tenté à toute époque (heureusement en vain mais en multipliant les attentats et les morts) d'éradiquer demeure bien implantée et ne cesse de prospérer avec l'édification des mega-églises, des mosquées et autres lieux de culte où les Noirs encore et toujours peuvent enfin se sentir légitimes sous les harangues des prédicteurs pentecôtistes, méthodistes, pasteurs ou imams. Cette église qui fut et reste également le berceau de toutes les musiques noires, du jazz au blues et plus récemment du hip hop et du rap (genres parfois récriminés en chaire mais cependant toujours rattachés à ce lieu d'espoir et de liberté).
Didactique sans être indigeste,
Black Church est finalement un long morceau de gospel servant de bande originale à « The
Black Church : This is Our Story, This is Our Song » la série documentaire commise par le même
Henry Louis Gates Jr. et diffusée sur l'excellente chaîne PBS.
Merci à Babelio et aux éditions Labor & Fides qui m'ont fait découvrir l'histoire passionnante de l'église Noire qui, avec le temps, s'assouplit et se modernise même si, comme bien souvent dans tous mouvements religieux, le retard est parfois abyssal.