Si je n'avais pas lu
Ibn Battuta, je n'aurais pas pu mettre d'images sur le roi Tsongor, ni me le représenter semblable à Mansa Moussa, dont l'atlas catalan, pour qui le Mali du XIVe siècle est le centre du monde, donne une image : sur son trône, diadème d'or sur la tête, un oeuf en or dans une main : Moussa est l'homme le plus riche du monde, jusqu'à aujourd'hui.
Tsongor, comme Moussa, a conquis son pouvoir et sa fortune, comme Moussa il règne, s'assied sur un tabouret d'or porté par Katabolonga, comme Moussa il est à la tête d'un empire.
La ressemblance s'arrête là, car
Laurent Gaudé introduit un élément peu usuel chez un conquérant qui a versé le sang de milliers d'hommes et de femmes, qui a rasé les villes et les villages durant vingt ans.
Il a honte. Il doute de lui.
Tsongor, alors, en compagnie de Katabolonga, construit les villes, élève ses enfants, administre son royaume de Massaba. Sa fille Samilia va se marier, et les présents affluent, de la part du prétendant et de la part de chacun vivant aux alentours, la paix entre deux clans se fera grâce à cette union.
Trop n'est pas forcément bien, car lorsqu'un deuxième prétendant arrive, nous voilà plongés de nouveau dans la guerre de Troie. Hélène /Samilia ne veut pas choisir, d'ailleurs elle ne comprend pourquoi les deux belligérants qui la veulent ne s'affrontent pas, eux et eux seuls. le roi Tsongor est mort comme prévu au début du livre, tout en refusant de passer le Styx, tout en étant conscient des pires drames qui vont arriver à sa descendance, car la guerre éclate entre les deux armées des deux « fiancés ».
Guerre qui va prendre, comme chez
Homère, tout le temps du livre, avec destruction de l'empire, mise à sac de la ville de Massaba, morts de part et d'autre, une armée de Myrmidons comme celle d'Achille, et plus grave encore, l'oubli du pourquoi de cette guerre, comme si Samilia n'avait été qu'un prétexte, et que le vrai projet c'est de faire la guerre, de s'épuiser à la faire, de voir mourir les siens, peu importe, il s'agit de tuer les autres.
Chercher la femme n'a plus aucun sens, ni l'un ni l'autre des prétendants ne pense plus à elle. Ils pensent chacun, ainsi que leur armée qui les suit sans comprendre les enjeux, à la guerre. Les deux hommes proposent même de tuer Samilia, sans se rendre compte que la guerre s'est amplifiée au-delà de ce qu'ils voulaient et qu'elle est la sacrifiée innocente du conflit.
Histoire de fidélité aux promesses, d'honneur à relever, de vengeance des morts occasionnés, qui réclament les larmes des vivants, puisqu'être mort ne veut pas dire disparaitre de la terre.
Gaudé parle du continent, et pourtant, ce continent dépasse les frontières d'Afrique. Souma le fils à la demande de son père et pour lui, cherche sept sépultures dans le monde entier : il visite les statues de Xian, les jardins suspendus de Babylone, le phare d'Alexandrie, et arrive à ce qui peut être Petra, « un palais creusé dans la roche ».
Avec des phrases sèches, courtes, avec l'aide de souvenirs de l''Antiquité (les sept merveilles du monde connu)
Laurent Gaudé nous raconte un ravage, l'inanité de la guerre dont les raisons premières sont vite oubliées, pour ne laisser plus que le plaisir de répandre le sang.