La réédition d'un merveilleux recueil de textes de l'écrivaine italienne, morte en 1991, permet de mesurer la profondeur aiguë et l'urgence de son œuvre.
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J'ai lu Cent ans de solitude par hasard, et je l'ai commence
sans enthousiasme et avec méfiance. Nous sommes devenus tellement méfiants. Nous sommes devenus de mauvais lecteurs de romans.
[...]
de nos jours la société humaine est étrangement sujette aux contagions, les idées vraies et les idées fausses se répandent et se confondent comme des nuages au-dessus de nos têtes, elles se mêlent aux cauchemars et aux fantômes collectifs, si bien que nous ne savons plus distinguer le vrai du faux.
Aujourd'hui, quand nous essayons d'écrire un roman, nous avons la sensation de faire une chose dont personne ne veut plus, qui n'est donc destinée à personne, et cela rend notre main molle, notre imagination froide et lasse; et quand nous essayons de lire un roman, nous avons la sensation que s'abandonner
à un monde imaginaire que d'autres ont créé pour nous est désormais interdit et nié, ainsi trouvons-nous milles prétextes pour ne pas lire ce roman et le laisser tomber : notre vie trop anxieuse et trop remplie, les inquiétudes, les cauchemars, les fantômes intimes et collectifs qui partout nous assaillent et nous harcèlent.
p. 65.
En seconde année de collège, je découvris la tristesse, et dès lors je ne cessai de me bercer dans une kyrielle de poèmes tristes. Lire des poèmes tristes ou en écrire, ou murmurer en solitaire les miens et ceux d'autrui, ou encore recopier mes poèmes sur un cahier dans une belle écriture me semblait être le seul moyen non pas de se libérer de la mélancolie, mais de l'utiliser. Dans mes poèmes, je parlais de lettres déchirées et d'amours mortes. En vérité, mon seul amour mort était celui pour Lucio qui, détestant écrire, ne m'avait jamais écrit de lettre de sa vie. (page 191, Lune palisse, août 1976)
Le monde qui tourne et se transforme autour de nous ne conserve que quelques pâles traces de celui qui fut le nôtre. Si nous aimions ce monde, ce n'était pas parce que nous le trouvions beau et juste, mais parce que nous y dépensions nos forces, notre vie, notre étonnement. Celui que nous avons aujourd'hui sous les yeux ne nous étonne pas, ou si peu, mais il nous échappe et nous semble indéchiffrables : nous ne savons lire en lui que les rares et pâles traces de ce qu'il a été. Nous aimerions que ces pâles traces ne disparaissent pas, et pouvoir ainsi reconnaître dans le présent un peu de ce qui fût nôtre ; mais nous sentons que pour exprimer ce désir, sans doute, très puéril et naïf, nous n'aurons bientôt plus ni force ni voix. (page 31, La vieillesse)
Par la suite, j'ai à nouveau lu et aimé d'autres romans, car les romans vrais ont cette faculté prodigieuse de nous restituer l'amour de la vie et la sensation concrète de ce que nous voulons d'elle. Les romans vrais ont le pouvoir de nous débarrasser de la lâcheté, de la torpeur et de la soumission aux opinions collectives, aux contagions et aux cauchemars que nous respirons dans l'air. Les romans vrais ont le pouvoir de nous transporter d'un coup au coeur du vrai. (page 66, Cent ans de solitude)
Il m'a semblé voir dans ce film les innombrables aspects de tout ce qui est répandu autour de nous aujourd'hui, dans les romans comme dans les multiples expressions de notre existence actuelle. La répulsion pour la race humaine et les conditions dans lesquelles elle vit est si absolue qu'elle ne peut s'exprimer que par le refus de la toucher, d'entendre ses raisons et ses mots. Au lieu de regarder et d'écouter l'espèce des hommes, l'attention se porte avec un acharnement méticuleux sur le monde inanimé des objets et les mille voix minérales qui ont remplacé la voix humaine. (page 52, Dillinger est mort)
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