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Critique de dourvach


Quelque chose de frais — presque printanier — dans le récit des désillusions successives du jeune Wilhelm Meister, ce fils de bourgeois si idéaliste et inexpérimenté... Quelque chose d'intemporel aussi, dans ce gros roman dit "de formation" que Johann Wolfgang GOETHE (1748-1832) publia à Berlin en deux étapes : 1795 (pour les livres I à VI) puis 1796 (pour les livres VII et VII)...

Et comme tout ceci nous "parle" profond, aujourd'hui !

Comme l'on repense bien vite — avec émotion — à la précarité (pas tous les jours "charmante") de chacune des petites troupes itinérantes traversant trois grands films "classiques" des années cinquante d'Ingmar BERGMAN (1918-2007) - qui furent autant de fascinants "road movies" N & B pour saltimbanques en roulottes :

- "La Nuit des forains" ("Gycklarnas afton") en 1953 [temporalité : XXème siècle]
- "Le Septième Sceau" ("Det Sjunde inseglet") en 1957 [temporalité : Moyen Âge]
- "Le Visage" ("Ansiktet") en 1958 [temporalité : XIXème siècle]

L'idéalisme d'un amoureux de la scène théâtrale (jouant avec ses épées de bois, ses capes et ses ouvertures de rideau depuis l'enfance où il découvrit "le théâtre de marionnettes" et ses magies... ) : naïveté et rêves de grandeur d'un Wilhelm amoureux, tout à tour, de l'actrice Marianne, des feux de la rampe et du théâtre de Shakespeare...

Wilhelm s'attendrissant sur ses souvenirs d'enfance (le lieutenant marionnettiste dans la maison des parents) ; Wilhelm (fils de commerçant) se disputant rituellement avec son ami Werner (fils de commerçant et lui-même futur commerçant) à l'esprit toujours si "pratique"...

Wilhelm dès la fin du livre I (fin du chapitre XVII) découvrira l'infidélité de "sa" belle Marianne... qui suivra le compagnon "le plus protecteur" qui, bien sûr, ne saurait être Wilhelm ! Pour dédouaner un peu la "belle aux deux amants" (juste une stratégie de survie conseillée par sa vieille costumière Barbara), jugeons que Marianne suivrait sans doute "n'importe qui d'un peu sécurisant et avantageux", puisque cette vie de comédien itinérant s'avère - au quotidien - une misère... ce que Bergman montra fort bien dans les 3 chefs d'oeuvre cités.

D'un bout à l'oeuvre de ce roman (qui est un VRAI roman d'allure réaliste), on partagera les sentiments de Wilhelm, la fonte progressive de ses rêves, la montée inéluctable de ses désillusions (qui seront loin d'en faire un aigri) - et l'on a la première trace de cette "ironie bienveillante" (quant à la trajectoire tout à fait imprévisible de son jeune "héros" apprenant de ses échecs) qui caractérisera les vicissitudes prévisibles des chers personnages sans attaches de Robert WALSER (pour "Les enfants Tanner" et "Le Commis" - autant de "romans de formation" tardifs parus en 1907 et 1908). Pour eux, "L'avenir est au hasard.", comme le chantait Jacques BREL...

Car en somme, Wilhelm durant ses "années d'apprentissage", au long de ses mille déconvenues, apprendra ce que nous allons tous apprendre... ou avons déjà tous appris : il apprend simplement à vivre. "Vivre !", oui... Un apprentissage qui, bien sûr, ne s'arrête qu'au terme de notre existence : "Per aspera ad astra."

Wilhelm-le-Naïf, Marianne l'actrice vénale aux deux amours, la vieille intrigante Barbara, le père marchand, Werner l'ami indéfectible, l'acteur Mélina (devenant "directeur de troupe") et "Mme Mélina" sa fiancée enceinte, l'adolescente Mignon, le vieux harpiste, l'aguicheuse actrice Philine passant d'un amant l'autre, Jarno l'officier moqueur qui révère le théâtre de Shakespeare et initiera Wilhelm à ses mystères, le Comte arrogant et superstitieux, le Baron dramaturge amateur, la Comtesse amoureuse, la jeune Baronnesse délurée, le Prince inaccessible : quelle galerie de personnages balzaciens !

On s'aperçoit bien vite que les acteurs sans le sou (pléonasme, au XVIIIème siècle) finissent tous par manger dans la main de la Noblesse, leur étant entièrement redevables et tributaires, soumis à Son Bon Plaisir et s'obligeant à obéir à leurs Bons Maîtres tels des singes savants...

Les huit livres du "Wilhelm Meister : Les Années d'apprentissage" de 1795 & 1796 sont ici contenus dans une édition de poche de 703 pages : non incluant la préface passionnante (24 pages) à propos du "Bildungsroman" et de Shakespeare" de Bernard LORTHOLARY qui, en 1999, révisa la traduction de Blaise BRIOD datant de 1954.

Rappelons que B. Lortholary avait traduit en 1986, de l'allemand en français - avec tout autant de brio - "Der Gehülfe" ("Le Commis" ou "L'homme à tout faire") de Robert WALSER [1908].

On trouvera aussi en fin d'ouvrage, le dossier biographique, de nombreuses notes et une table analytique du roman (soit-au total, une cinquantaine de pages de plus) ; bref, un bel investissement pour vous que ce "folio Classique" !

On découvre l'extrême précision, la noblesse et le charme discret de la langue proprement intemporelle de Goethe, auquel on devait dès 1774 le succès de scandale de la météorique et "anonyme" première version de "Les souffrances du jeune Werther", considérée alors comme une incitation au suicide...

La rédaction de ce qui s'intitulait antérieurement "La vocation théâtrale de Wilhelm Meister" débuta dès 1777 : soit près de vingt ans pour parvenir à cette quintessence dont le retentissement se confirmera, modes littéraires après modes littéraires.

Soit un énorme "succès de public" (dirait Julien GRACQ) qui ne sera guère éclipsé par "Les affinités électives", paru en 1809, ou par une suite "philosophique" des "Années d'apprentissage [...]" intitulée "Les Années de voyage de Wilhelm Meister" parue en 1821 puis 1829, soit à l'hiver de la longue existence de l'auteur - deux ouvrages restant de bien moindre impact esthétique que celui-ci.

Livre de la maturité de l'artiste Goethe.

Signalons aux curieux une suite "moderne" du "Wilhelm Meisters Lehrjahre" goethéen où l'apprenti comédien-metteur en scène de théâtre est transformé en apprenti-écrivain un rien perdu et restant plein de doutes : ce à quoi son long voyage ferroviaire puis automobile dans l'Allemagne du "miracle économique" ne changera strictement rien...

Il s'agit du scénario de Peter HANDKE intitulé "Falsche Bewegung" ("Faux Mouvement", 1974) mis en scène avec talent par l'un des fondateurs du Nouveau Cinéma allemand, Wim WENDERS dès 1975 - scénario et film inoubliables auxquels nous consacrâmes un long article fort enthousiaste ici... :-)

Lisons donc tous le "Wilhelm Meister" de J. W.GOETHE... et, espérons-le, avec la même ferveur que nos amis précurseurs, responsables des 5 articles critiques précédents sur "Babelio" — dans le même engouement printanier qui valut pas moins de... 91 [!!!] critiques babéliennes aux "Souffrances du jeune Werther" de l'alors très jeune Goethe !
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