Les deux fils de
Tarass Boulba, Ostap et André, rentrent chez eux après plusieurs années d'études. Ils aimeraient pouvoir profiter de leur foyer et se reposer mais leur père, qui leur trouve fière allure, a décidé de les présenter immédiatement à la Setch, vaste campement militaire sur une île du Dniepr, qui est en quelque sorte la capitale informelle des Cosaques zaporogues. Pour Boulba, un vrai Cosaque ne peut être qu'un soldat, et un soldat courageux qui défend sa patrie et la foi orthodoxe et n'a pas peur de mourir pour la cause. Il entend bien prouver à tous que ses fils sont de cette trempe-là et pour cela n'hésite pas à entraîner tous ses camarades dans une rébellion contre les ennemis jurés des Zaporogues, c'est-à-dire les Polonais, impies parce que catholiques ! Il n'est pas bon « que l'énergie cosaque se gaspille en pure perte, que l'on crève comme des chiens sans avoir rien fait de bon, et sans aucun profit pour la patrie et la chrétienté toute entière ».
Tout se passe au début comme espéré par Boulba : les Cosaques assiègent la ville fortifiée de Doubno, où les Polonais se sont retranchés ; Ostap et André s'y montrent à leur avantage. Mais une nuit, André retrouve dans la ville assiégée la belle Polonaise qu'il aime secrètement et décide de renoncer à sa patrie, à ses parents, à son frère et à ses camarades pour l'amour de la jeune fille. « Qu'ai-je à faire de mon père, de mes compagnons, de ma patrie ? Je n'ai personne ! Personne, personne ! Qui a dit que l'Ukraine était ma patrie ? La patrie, c'est ce que recherche notre âme, ce qu'elle a de plus cher au monde. Ma patrie, c'est toi ! Voilà ma patrie ! Et cette patrie, je la porterai dans mon coeur, je la porterai jusqu'à la fin de mes jours, et nous verrons s'il se trouvera un Cosaque pour l'arracher de là ! » Les deux frères vont maintenant combattre l'un contre l'autre…
Bien que l'épisode de la lutte menée par les Cosaques soit imaginaire, comme le sont la ville de Doubno et tous les personnages, les événements décrits par
Gogol ont une base historique qui les font remonter à la première moitié du XVIIe siècle. Toute l'Ukraine est alors sous domination polonaise. C'est l'époque de la République des Deux nations qui unit le royaume de Pologne et le grand-duché de Lituanie et couvre un vaste territoire qui va de la Baltique jusqu'à la mer Noire. Les Cosaques zaporogues qui vivent dans le sud de l'Ukraine sont de ce fait, au moins sur le papier, les sujets du roi de Pologne. Ils sont plus ou moins chargés de défendre la frontière sud de la République contre les « infidèles », c'est-à-dire les Tatars de Crimée et leurs alliés turcs. Mais suite à de trop nombreuses humiliations, les Cosaques décident de se révolter contre la domination polonaise en s'emparant de plusieurs villes. L'allusion finale à la révolte d'Ostranitsa, chef des Zaporogues, permet de situer l'épisode fictif du livre à l'année 1638. C'est dix ans avant le grand soulèvement de Khmelnitski qui ébranla la République, une rébellion qui forme l'arrière-plan historique du roman de Sienkiewicz, Par le fer et par le feu.
Le roman de
Gogol offre une description très intéressante et très colorée de la vie cosaque à la Setch, dans son unité et son mépris du luxe. En quelques pages fortement évocatrices, il parvient à nous donner une image saisissante de la Setch zaporogue, « le nid d'où prenaient leur essor tous ces hommes fiers et durs comme des lions ! » On ne peut être qu'impressionné par la variété, la vitalité, la poésie, la drôlerie aussi, avec lesquelles l'auteur dépeint ces personnages hauts en couleur, comme ce Cosaque qui s'oblige à conserver sa pelisse sur lui, malgré la chaleur, parce que tout ce qu'il enlève, il le boit ! C'est bien l'image du tableau de Répine qui figure en couverture de l'édition Folio que l'on a sous les yeux.
Gogol décrit les bruyants rassemblements cosaques dans le camp et souligne avec quel zèle ils cherchaient constamment à entrer en guerre. Les expéditions contre les voisins étaient fortement encouragées. Habitant les marches les plus méridionales des empires de l'Est de l'Europe, les Cosaques étaient toujours prêts à partir au combat. C'est pourquoi, connaissant leur caractère belliqueux et souhaitant établir avec eux des relations de confiance, tous les souverains locaux essayaient de négocier leur appui. Contre une autonomie presque totale sur leurs territoires, ils devaient, en retour, au premier appel, se mettre en ordre de bataille.
Gogol peint tout cela de manière réaliste, sans blanchir les Cosaques. Il ne cherche jamais à édulcorer les actes de cruauté inhérents aux combats et aux exécutions. Il n'élude rien de la rudesse de l'époque. Il montre simplement la force de caractère qui les habitaient et leur absence totale d'humanité. En période de paix, les Cosaques buvaient et dansaient en permanence quand ils ne s'en prenaient pas aux Juifs. C'est à ce stade que la lecture du livre peut susciter un sentiment ambivalent. Si d'un côté, on admire les prouesses des Cosaques, leur courage, leur détermination, les liens de camaraderie indéfectibles qui les unissent, d'un autre côté, il est difficile de lire certains passages du roman aujourd'hui. Les Polonais y sont dépeints comme des étrangers avides et vicieux. Les Juifs y sont présentés comme une race inférieure, qui ne s'intéresse à rien d'autre qu'à l'argent. C'est pourquoi ils peuvent être pendus pour une peccadille ou noyés dans le Dniepr ! le rôle des femmes, qui semblent privées de tout droit, n'est guère plus enviable mais c'est une réalité historique que leur présence à la Setch était interdite. Leur tâche consistait à mettre au monde et à nourrir les enfants cosaques.
Il est évident qu'il serait incorrect d'évaluer le mode de vie de la première moitié du XVIIe siècle du point de vue du monde moderne, mais on ne peut guère s'en empêcher. L'ouvrage peut, de ce point de vue être pris pour une longue propagande nationaliste. Si l'on considère les héros de
Gogol indépendamment de tout contexte historique, ils ne forment qu'une horde de bandits sanguinaires et de tueurs sans pitié. Mais si l'on parvient à mettre cet aspect de côté,
Tarass Boulba est un monument de la littérature russe du XIXe siècle, qui a beaucoup contribué à populariser les Cosaques. le livre devrait plaire à tout amateur de classique. Il y a des livres dont on se demande toujours la suite quand on l'a commencé. C'est exactement ce que j'ai ressenti avec celui-ci. L'intrigue principale est prenante, on est avide de connaître le sort d'Ostap et d'André. le livre a un côté épique, une tension permanente qui ne se relâche jamais et dont on ne sort pas indemne !
Le culte de la force physique et de la bravoure imprègne le récit de
Gogol, qui est un bel exemple d'imitation du genre épique, reprenant de manière particulière la naïveté et la franchise des récits antiques. Il permet de comprendre quel genre de personnes étaient les Cosaques et pourquoi ils étaient si violents. Les Cosaques sont peut-être le peuple le plus belliqueux, le plus épris de liberté et le plus fier qui ait jamais vécu en Europe. Si pour nous autres, lecteurs modernes confortablement installés dans nos fauteuils, il peut sembler surprenant que les gens ne rêvent pas d'une vie paisible et confortable, pour les Cosaques, une mort glorieuse au combat, au milieu des siens, après avoir occis le plus grand nombre possible d'impies et d'infidèles, est la félicité suprême !