AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Margaux Othats (Autre)Daria Skorobogatova (Traducteur)
EAN : 9782957705436
90 pages
Editions Monts Métallifères (19/05/2022)
4.12/5   8 notes
Résumé :
Un voyageur qui croit rencontrer son double dans le train ; des adolescents sous l’emprise d’un groupe de jeunes-hommes mystérieux ; une chirurgienne qui retombe brusquement en enfance ; un homme obsédé par les bruits de ses voisins du dessus ; un enfant qui reprend gout à la vie auprès de ses ravisseurs ; un vieillard qui confond ses enfants et ses parents…
Dans ces récits très courts et assez courts, les personnages de Linor Goralik sont toujours sur un fil... >Voir plus
Que lire après Trente-quatre récits très courts et assez courtsVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Monts Métallifères Éditions signent leur quatrième parution avec ce titre particulièrement original d'une auteure qui s'est fait un nom dans le milieu de la web littérature, où elle y compte parmi l'une des rares auteures russophones. Linor Goralik est une auteure de langue russe, qui fuit le régime de Poutine depuis des années. Depuis le début de la guerre en Ukraine, elle est à l'origine d'initiatives pour entretenir la parole et la création artistique autour de la guerre en Ukraine par le biais de son site roar-review, que j'évoquerai un peu plus loin. Elle tient également un site à son nom sur lequel elle publie régulièrement ses micro-fictions traduites depuis le russe en anglais par Maya Vinokour : elle y publie également de la poésie en anglais et traduite en anglais, ainsi que la première partie d'un livre pour enfant. le titre que publie Monts Métallifères rassemble certaines de ces micro-fictions, traduites en français par Daria Skorobogatova, illustrées par Margaux Othats.

Ces micro-fictions ou micro-nouvelles, sont au nombre de 34, cela n'aura échappé à personne. Certaines, les plus longues, s'étalent sur une poignée de pages, les plus courtes, à peine sur quelques lignes. Elles sont toutes distinctes les unes des autres, elles sont toutes pourvues d'un titre. Aucun point commun visible entre elles. le recueil débute sobrement avec la nouvelle Printemps : le titre ne laisse pas forcément présager du contenu de la fiction en elle-même. D'ailleurs, la focalisation ne fait que tourner autour de ce Printemps, l'événement sous-tendu par la narration n'est jamais vraiment abordé clairement avec des mots. L'auteure se place davantage du côté de la suggestion, que de l'évocation directe et l'explication par elles-mêmes, elle ne rentre pas dans le vif du sujet. En revanche, la sensation de malaise est diffuse et prégnante, croissante. Si le titre laissait présager un texte léger, et frais peut-être joyeux, avec toutes les idées qui se rattachent au printemps, la renaissance des éléments de la nature, tout semble perverti, et l'arbre qui devrait égayer le paysage n'est que le bois inerte instrument du bourreau. Compte tenu de la longueur des textes, Linor Goralik ne nous fournit pas de contexte, on ne peut se fier qu'à ses mots, adroitement distillés et agencés, auxquels notre instinct s'éveille et pressent la guerre. La violence. La culpabilité.

Capter des émotions, des impressions, des instants, ce sont le but de ces polaroids, de ces flash fictions selon la version anglophone. Elle nous propose des images qui marquent de leur empreinte durablement l'esprit, l'ombre d'un corps pendu au pommier, des sensations qui oppressent, celle de la viscosité et de la poisse des éléments, de la grisaille du temps. Parfois, un simple mot suffit pour déclencher cette oppression qui nous assaille de fiction en fiction, je pense à ce « jaune crissant » du texte Angle mort, cette épithète « crissant » qui nous écorche le tympan, et ce jaune qui nous étrille la rétine, rien qu'en imaginant l'acuité du jaune en question.

L'auteure se garde bien de nous dévoiler le secret de ses textes, en laissant cette petite marge de mystère et d'inconnu afin que le lecteur puisse se projeter en eux : le deuxième texte intitulé C'est tout laisse planer cette part d'ambiguïté, totalement voulue donc, par l'emploi du syntagme sibyllin « le truc ». Laissant la place à chaque femme, chaque homme, pour y projeter ses propres tourments, sa phobie, son angoisse personnelle. Chaque micro-fiction met en scène une maladie, un traumatisme, une souffrance, un mal physiologique ou mental. Souvent des ennemis causeurs de troubles. Ils dérangent, mettent mal à l'aise, nous bousculent, dans notre confort. Parce qu'en quelques lignes, voir Slasher, quelques paragraphes, quelques pages, elle nous communique l'animosité d'un regard, le drame d'un couple, la fatigue, la sensation d'être exploité, la cruauté d'une maladie mentale. Ce que l'on retrouve dans chaque histoire, c'est peut-être bien la peur : de se perdre, de se ridiculiser, de mourir, d'être abandonné, des drames passés qui hantent le présent. Une peur fugace, en demi-ton, déguisée, au second plan ou au premier, en tout cas, elle est bien là. Parce que l'auteure souligne la condition d'être humain, sa fragilité, ses fêlures, ses vices, ses déviances, ses abîmes. Derrière une violence plus ou moins dissimulée, où la douceur et l'onctuosité du sucre et du beurre de la tarte aux prunes laisse place au choc retentissant d'une gifle auto-infligée. Les claques n'arrêtent pas de pleuvoir, en un geste, une repartie, une émotion, c'est dur, sec, sans concession. Beaucoup de médecins dans ces textes courts, des personnes censées soigner les maux de leurs patients, mais dans la réalité ambivalente, maladive, des textes comme celle de notre existence, leur image se confond bien souvent avec celle du patient. La maladie est omniprésente, tout le monde a besoin d'être soigné, les rôles sont interchangeables.

La lecture de ces micro-fictions ne s'arrête pas là : il faut aller jeter un coup d'oeil le projet lancé il y a un mois de Linor Goralik, ROAR REVIEW – Russia Oppositionnal Arts Review – une revue en ligne qui publie des micro essais d'artiste russes sur la Guerre en Ukraine.


Lien : https://tempsdelectureblog.w..
Commenter  J’apprécie          40

Imaginez un pays qui, pour des raisons obscures, cherche à étendre son territoire vers ses confins .Imaginez que pour diverses raisons (améliorer son quotidien, ou plus) une partie de la population de ce pays aille s'installer dans ces nouvelles contrées : cela s'appelle colonisation et cela se pratique depuis la Grèce antique (pour des raisons également obscures mais avec cérémonial religieux)
Imaginez, que pour des raisons également obscures, les colonies veuillent se séparer de la « mère-patrie »
Pour la Russie cela a donné: comme le divorce d'un couple avec ses « histoires familiales », comme les « évènements d'Algérie » et ses suites, mais à la puissance ++++++
C'est dans cette « histoire » que vit Linor Goralik. Née en 1975 à Dnipropetrovsk (devenue Dnipro depuis l'indépendance de l'Ukraine), russophone, elle quitte l'URSS pour, suivant sa famille d'origine juive, s'installer en Israël dont elle garde la nationalité. de 2000 à 2014 elle revient s'installer à Moscou Elle quitte la Russie en 2014, lors de l'annexion de la Crimée.
Les Trente-quatre récits très courts et assez courts, parfois quelque pages, parfois quelques lignes mettent en scène une maladie, un traumatisme, une souffrance, un mal physiologique ou mental. Souvent des ennemis causeurs de troubles. Ils dérangent, mettent mal à l'aise, nous bousculent.
Ils soulignent la condition d'être humain, sa fragilité, ses fêlures, ses déviances, ses abîmes. Derrière une violence plus ou moins dissimulée, où la douceur et l'onctuosité du sucre et du beurre de la tarte aux prunes laisse place au choc retentissant d'une gifle auto-infligée.
Des textes qui disent un moment prélevé au cours de choses, mais taisent ce qui précède et surtout ce qui suit. Émotions, suggestion, malaise.
Bien sûr on aurait tendance à lire ces textes à la lumière des évènements historiques mais ils les dépassent très largement.
A lire
PS pour ceux d'entre vous qui veulent en savoir plus
Linor Goralik a créer une revue en ligne (censurée en Russie) ; ROAR : revue des arts d'opposition russophone
Commenter  J’apprécie          70
Ce parchemin est un coucher de soleil à flanc de colline . La prouesse d'un ballet littéraire hors norme. L'immense pouvoir évocateur et fictionnel.
« Trente-quatre récits très courts et assez courts » dont la profondeur magnifique interpelle notre conscience. Bouscule nos regards et ne nous laisse pas indemne.
La première traduction précieuse en français de Linor Goralik qui est une chance infinie.
Ces entrelacs percutants, parfois tristes, sombres sont une mise en abîme de la Russie. Des êtres perturbants et perturbés. Parfois métaphysiques, les signes transpercent de par les fissures. Dans un entre-monde où tout semble plausible. Sans ombres ni épaisseurs, retenir les résurgences résolument poignantes et magnétiques.
Le printemps « Ils ne donnaient un pin's comme ça qu'à ceux qui rejoignaient leurs rangs le premier jour, et il ne fallait pas être un enfant particulièrement doué pour comprendre quelle était la logique.. »
L'ambiance est tourmentée jusqu'au paroxysme de la chute. Inoubliable, un emblème fort de la toute puissance et de l'endoctrinement.
Et tous sont souffles et interpellations. Appel d'air et vérité implacable.
Lucides, murmures ou bruits sourds, les récits intranquilles et superbement écrits sont l'idiosyncrasie des existences en proie aux turbulences, aux mouvances intestines.
Les textes sont lianes, siamois, témoins critiques et affables du monde.
Caustiques parfois, crissantes et nécessaires, ces micro-fictions sont des petits cailloux semés par Linor Goralik sur les chemins où les pièges transitent de désespérance et de réalité. Sans fioriture, les récits affirment les désillusions, les quêtes et les soumissions et les conséquences des diktats sociologiques et politiques et sentimentaux.
Observatrice et critique d'un monde contemporain affûté aux périls et aux désenchantements, Linor Goralik décortique les oukases implacables. Ici, pas de blancheur ni de candeur. L'épure du réel dérangeant et inoubliable excelle ces Trente-quatre récits très courts et assez courts . L'infinie douleur d'une humanité oppressée et opprimée.
Essentiel, la lumière blanche et son contraire. Un séisme mental construit d'une main de maître. Traduit à la perfection par Daria Skorobogatova. Publié par les majeures éditions Monts Métallifères Éditions.
Commenter  J’apprécie          50

Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Enfant trouvé
Ils étaient si tristes, si calmes. Ils n’avaient peur de rien, ne se faisaient de souci pour rien. Ils savaient comment vivre, savaient comment se procurer leur pain quotidien, savaient comment se serrer les coudes. Il s’approcha et s’allongea parmi eux dans le passage souterrain entre les stations Mendeleievskaiea et Novoslobodskaia : la paume la joue, les genoux contre le ventre : puis il regarda plus attentivement : non, ils n’étaient pas allongés comme ça ; il glissa son coude sous la tête, tout de suite, c’était plus confortable. Ils ne s’indignèrent pas, ne le chassèrent pas ; quelqu’un fourra sa gueule chaude sous le pan de son mouton retourné, quelqu’un tapa légèrement de la queue sur le genou ; et au bruit du piétinement monotone des pieds humains, ils s’endormirent, toute la meute.
Commenter  J’apprécie          50
Il fit demi tour et s’en alla vers l’escalier sans même jeter un regard en arrière. Il avait déjà fait pareil deux ou trois fois, et il ne regardait jamais en arrière. En fait, il faisait ça à chaque fois qu’il voyait des ados s’amuser avec les bornes d’urgence dans les stations ; il s’approchait, en prenait un par le coude, disait la même phrase, puis s’en allait lentement ; et pendant qu’il s’en allait, il s’imaginait que tout s’était vraiment passé ainsi : voilà son père qui gît sur le sol de marbre ; le voilà lui-même qui secoue son i-père par les épaules, qui lui déboutonne gauchement le col un peu étroit ; et on voit que les gens sur le quai ont formé un cercle inutile, et lui-même, qui comprend déjà tout mais refuse de comprendre, crie quelque chose dans l’interphone de secours rouge : soit « Un médecin ! », soit « Appelez les urgences ! », presse le bouton, mais l’interphone ne répond pas. Il voyait cette image si clairement, si facilement. Si seulement ça s’était passé comme ça, pensait-il à chaque fois, si seulement ça s’était vraiment passé comme ça et qu’il n’y avait pas eu de coup de feu, ni d’eau, ni rien de tout ça.
Commenter  J’apprécie          20
Une tarte tellement simple et tellement délicieuse, on le racontera à Seriozha, il va se régaler, il va se marrer. Maintenant on prend le moule, et on fait quoi ? On le beurre bien bien, parce que sinon notre tarte va coller au fond et on va pas pouvoir la sortir du moule. Qui c’est qui a toujours pas acheté de moule en silicone ? Qui c’est qui est une chèvre ? Voilà, il faut le beurrer, voilà du beurre, on fait comme ça, tu veux essayer ? »

Une seconde plus tard, elle se gifla de toutes ses forces, un petit nuage doux de farine s’éleva de sa main, s’envola dans l’air odorant de la cuisine. Elle resta un peu debout, le temps que la douleur se calme, puis, d’un mouvement brusque, elle tourna la chaise vide vers le mur. « Arrête, sale conne, se dit-elle. Arrête, arrête, arrête ».
Commenter  J’apprécie          10
Slasher :
Le plus dur était d’enlever le sang non pas sous les ongles, mais dans les fins ornements ciselés de l’anneau pâli par le jet froid.
Et c’était du sang menstruel, et l’anneau venait d’un autre mariage.
Commenter  J’apprécie          30

Les plus populaires : Littérature étrangère Voir plus
Livres les plus populaires de la semaine Voir plus

Lecteurs (20) Voir plus



Quiz Voir plus

La littérature russe

Lequel de ses écrivains est mort lors d'un duel ?

Tolstoï
Pouchkine
Dostoïevski

10 questions
437 lecteurs ont répondu
Thèmes : littérature russeCréer un quiz sur ce livre

{* *}