Femme nue devant sa glace

En mars 2004, dans le boulevard Ney à Paris XVIII, le corps inanimé d'une jeune femme est découvert à même le bitume. L'inspecteur de police, Gérard Robence, originaire de Cahors, constate qu'elle n'est pas morte et sait qu'elle se prénomme Nathalie. Celles et ceux qui ont lu "La Clôture" de Jean Rolin de 2001 savent que c'est un endroit fréquenté par des filles et femmes qui exercent des activités horizontales. Sur la couverture, le dessin inédit de Jacques de Loustal, qui a fait de si beaux albums des livres de Georges Simenon, ne laisse aucun doute sur le gagne-pain de cette fille de petite vertu.

L'inspecteur Robence est un homme sérieux qui aime son épouse Françoise et s'il lui arrive de bavarder avec les prostituées c'est sans arrière-pensées, plutôt comme un père inquiet. Il est vrai qu'il a perdu sa propre fille, Angie, morte d'une overdose. L'été précédent, il avait parlé avec Nathalie qui lui avait fait de la peine à cause de son visage déjà marqué, malgré sa jeunesse, et son strabisme.

L'auteur, Jean Grégor, nė en 1968 et le digne fils du célèbre journaliste et historien Pierre Péan, en est déjà à son 14ème ouvrage, dont un publié ensemble avec son père "Comme ils vivaient" sur le sort des Juifs de Lituanie et dont j'ai fait un billet il y a quelques jours. le roman "Femme nue devant sa glace" est son avant-dernier, sorti en 2014.

Nathalie se trouve dans un coma de stade III, soit un coma profond, dans lequel on peut rester très longtemps (même des années), mais le réveil reste cependant possible. Les médecins ont diagnostiqué de multiples fractures au thorax, aux côtes et au bassin. Elle avait été gravement tabassée et souffre d'un traumatisme crânien.
Dans son sac à main, il y a des cigarettes Camel et des préservatifs, mais pas de papiers d'identité, mais notre inspecteur finit par rencontrer la personne qui l'a le mieux connu : le dessinateur Ted Marshall.

Ted est un drôle de zèbre qui a connu son heure de gloire avec une série de dessins intitulée "Le Mac Xua Emadal", le Mac en question étant un petit singe savant de père saoudien et de mère chinoise, affublé d'un esprit diabolique et maître en coups foireux. Une véritable mine d'or : 8 tomes publiés et traduits en 20 langues, jusqu'à ce que l'artiste en ait eu un peu ras le bol et arrêté brutalement la création. Ted estimait en effet que la vie devait avoir bien autre chose à offrir. Ce fut la berezina : son fils de 18 ans se sauve et sa dulcinée veut la séparation. Au numéro 100 du boulevard de la Chapelle, il vit au 23e étage dans un appartement immense mais quasi vide. Il a 44 ans et est devenu sauvage.

Il traîne dans la rue et un jour fait la rencontre de Nathalie qui le fascine autant qu'elle l'intrigue. Si Ted est sauvage, la Nathalie-qui-louche est virtuellement inabordable. Ils se rencontrent au Celtic, mais leur relation ne progresse que très pianissimo à cause du caractère fermé de la jeune femme, qui a un profond dégoût des hommes, et traite même parfois Ted, qui essaie pourtant d'être aimable avec elle, de "pauvre con". Ted, au fond, désire la "sauver" et rêve d'une vie ensemble, dans l'harmonie. Ce qui ne correspond nullement au programme de Nathalie qui se veut farouchement indépendant et veille à ce que personne n'ait une quelconque emprise sur elle. Elle aime les dessins de notre Ted et lui accorde des fois un peu de sexe. Son nom de famille demeure néanmoins secret d'État.

C'est l'inspecteur Robence qui apprendra qu'elle s'appelle Nathalie Caron, par un Jean-Marc dont elle a été très amoureuse mais qui l'a laissé tomber pour une autre fille, au bout d'une romance de 4 ans.

Dans les traces de l'inspecteur, Ted fait sa propre enquête et la connaissance d'un drôle de coco, nommé Camara, un grand "black" sénégalais, chef d'un McDo près du périf où Nathalie a travaillé, rapide et efficace, mais embrouillée avec tous ses collègues sauf Savvon, une minuscule Cambodgienne dont toute la famille a été transférée au paradis par les Khmers rouges.

Ted apprend également des données sur l'origine de sa bien-aimée. Son paternel, Bernard, ex-ouvrier dans une sucrerie à Abbeville, où ils vivent, et licencié, est un homme simple au raisonnement très simple, qui se trouve souvent au café du coin. Sa mère, Monique, est morte en mobylette, renversée par un poids lourd, lorsqu'elle avait 13 ans. Trois ans plus tard, Nathalie a commencé à travailler au Bricostore et encore 3 ans plus tard, elle a dit adieu au domicile familial.

La deuxième partie du livre est intitulée : "La dame aux Camel". C'est aussi le titre donné à la BD que Ted prépare sur sa vie avec Nathalie. Selon le dessinateur, les Camel valent bien les camélias, faisant référence évidemment au chef- d'oeuvre littéraire d'Alexandre Dumas fils de 1848 "La dame aux camélias".

Mais Nathalie sort-elle du coma ? Voilà, la grande question. Et, si oui, à quoi ressemble sa (nouvelle) vie ?

Ce petit roman de 183 pages, ne constitue pas une oeuvre majeure, mais j'ai voulu vérifier si Jean Grégor a vraiment hérité les talents de son illustre père, Pierre Péan, et la réponse est tout simplement : oui !

je me suis laissée emporter par la simplicité de l'écriture et la sagesse de Gérard