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EAN : 978B08P5ZT37G
196 pages
Gallimard (14/01/2021)
3.98/5   23 notes
Résumé :
Deux fratries issues d’un même père l’accompagnent dans ses derniers instants. À travers les yeux du fils cadet, trentenaire dont la quête de reconnaissance ne rencontre que les silences du vieillard, les rivalités familiales resurgissent. Sur le fil d’un présent hanté par les souvenirs de jours meilleurs, les regards sur le vieil homme malade et sur la mort elle-même s’entrecroisent dans un espace où le temps, bien que ralenti à l’extrême, s’écoule inexorablement. ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (14) Voir plus Ajouter une critique
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Pierre Guerci pour son premier roman a choisi de parler de son père, autour de lui, autour de sa vieillesse, sa maladie, sa mort. Dans une famille disséminée, indifférente qui brille par son absence.

L'auteur se questionne, répond à de nombreuses questions existentielles. Récit largement intimiste qui emprunte souvent des sentiers philosophiques qui aiguise la critique, les débats. L'auteur a de nombreux partis pris sur lesquels on est d'accord ou pas du tout. Il préfère une musique sobre et neutre à l'enterrement, je préfère les chansons à texte qui font pleurer un souvenir. Il pense qu'aider ses parents est un exemple pour la jeune génération, je suis d'accord.

Au départ désarçonnée par l'écriture fort cérébrale et peu émotionnelle, je me suis laissée emporter par ce récit car profondément humain. Pierre Guerci s'est montré auprès de son père atteint d'une dégénérescence et très peu autonome, présent, bienveillant, laissant de côté gêne, pudeur et autres condiments de cache misère. Quand le père devient un enfant à qui l'enfant doit essuyer les fesses, aspirer le mucus, donner la becquée, un ange passe. Pierre aurait aimé que son père le gratifie d'un peu de reconnaissance, il aurait aimé que son frère tienne d'autres discours que celui d'un père inutile et pas assez vite mort.

Quand on a aimé ses parents, quand on a vécu ou qu'on vit le deuil, quand la vie trépasse, on ne peut qu'aimer cet Ici-bas qui s'accroche coûte que coûte à décrocher l'urgence de vivre d'autant plus, d'autant mieux devant le spectacle de yeux qui s'éteignent doucement pour l'éternité.
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La double-vie de mon père

Pour son premier roman, Pierre Guerci a choisi de relater les derniers jours d'un père. Par la voix de son fils cadet, il raconte sa vie entre deux familles et deux descendances, l'officielle et l'officieuse. Fort et émouvant.

Au crépuscule de sa vie, un ancien médecin octogénaire quitte le service de gériatrie pour retrouver sa maison du côté de Villerupt, en Lorraine. Son fils cadet l'accompagne. Il a quitté Paris où, après avoir fait Polytechnique, s'est remis à des recherches en physique quantique. Au sein de la famille recomposée du vieil homme, c'est lui qui a choisi de l'accompagner, d'autant que Saouda, son aide-soignante a dû partir aux Comores enterrer son père. La maison aux papiers peints défraîchis ressemble aujourd'hui davantage à un EHPAD, entre le lit médicalisé, la chaise percée et le déambulateur. Sans compter le rituel des soins et le défilé des infirmière, kinésithérapeute, ergothérapeute et médecin.
Entre deux soins qui n'empêchent pas l'inexorable avancée de sa décrépitude, le vieil homme voit aussi défiler sa famille. Stéphane, le frère aîné du narrateur, ne s'attarde pas. Il est pris par d'autres obligations. Quant à Sylvie et Anne-Marie, ses demi-soeurs, elles ne comprennent pas le choix de son fils de s'installer aux côtés de leur père. Il faut dire que le fossé entre les deux familles est resté profond. Il y a d'un côté celle de l'amour qui a donné les deux garçons. Stéphane est né dans la clandestinité et le narrateur avant l'arrivée du narrateur, de cinq ans son cadet. La seconde famille, officielle, est celle des filles, Sylvie, Anne-Marie. On apprendra plus tard qu'une troisième fille est morte après sa naissance sans que leur père n'en touche un mot aux garçons.
«Je m'étonnai qu'une si chétive créature ait pu engendrer des êtres si divers, si peu unis, et qui avaient déjà tant vécu. le passé stagnait comme une poix noire sur les branches écartelées de cette famille qui n'existait comme telle que parce qu'il y avait tenu sa place; et le moins que l'on puisse dire, c'est que la chose n'avait pas dû être de tout repos: je comprenais qu'il fût si fatigué maintenant.»
Ses derniers jours sont d'ailleurs aussi l'occasion de revisiter cette histoire familiale compliquée. La belle carrière de ce «fils de macaroni» installé en Lorraine et ses réussites dans une spécialité, l'oncologie, qui laissait davantage de drames que de rémissions.
Avec le retour de Saouda, son fils regagne Paris, mais s'installe dans un nouveau rituel. Il vient désormais toutes les fins de semaine. «Entre les promenades, les livres audio, les films, le tennis et le football, j'avais l'impression de permettre à mon père de faire un peu plus que survivre».
Une philosophie de l'existence sent alors poindre en ce siècle où la performance et la vitesse prennent le pas sur la réflexion et le sens. C'est dans ces minutes que la vie se pare des ors de l'essentiel, car la fin se rapproche. Et finira par arriver. Dans ces derniers chapitres Pierre Guerci se rapproche de Catherine Weinzaepflen qui vient de publier L'odeur d'un père (Chronique à suivre) et d'Anne Pauly qui nous avait donné l'an passé avec Avant que j'oublie un autre témoignage sur la mort du père, mais avec le même regard à la fois lucide et distancié sur les absurdités qui peuvent accompagner le dernier voyage. Comme ce constat: «Il était enfin redevenu mon père, après avoir été quelque temps mon enfant.»


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Je suis ravie de constater que l'on peut encore sortir de l'X et avoir l'âme d'un écrivain, un vrai. de ceux qui peuvent employer le subjonctif avec aisance, ainsi qu'un vocabulaire choisi, ce qui fait pas mal défaut chez les créateurs de livres à la mode censés "faire du bien
Il est vrai que le thème de ce roman est plus que mélancolique: la fin de vie d'un père.
Le père du narrateur rentre chez lui après une hospitalisation et c'est son plus jeune fils qui choisit de l'aider et de l'accompagner jusqu'au bout de sa vie. Ce jeune homme est un enfant adultérin et découvre l'univers dans lequel a vécu son père qui n'a jamais divorcé en ayant ainsi 2 familles. Il découvre par la même occasion ses "soeurs", officielles celles là . le climat jusqu'au bout sera poli certes mais plutôt glacial.
le jeune homme va s'occuper de son père et des soins d'hygiène à lui apporter, en l'absence de l'assistante habituelle repartie pour un moment en Afrique, son propre père étant décédé.
C'est cette période de soins dûment racontés qui ne peut que marquer le lecteur. Les mots sont crus, l'hygiène intime est pénible pour le père et le fils qui a du mal à supporter l'odeur des excréments. le regard du père qui voudrait s'excuser, la mort qui rôde, mais qu'on repousse le plus longtemps possible. C'est une famille de médecins et la décrépitude est vue diversement par les enfants. Mais notre jeune homme n'est pas médecin lui et jusqu'au bout il s'efforce d'aimer son père en espérant être aimé autant en retour, sous les yeux des enfants officiels.Il faut bien accepter de n'avoir plus le statut d'enfant quand les parents meurent, et cela nous renvoie tous à notre propre humanité.
Un "roman" que je ne suis pas là d'oublier.
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Qu'il est difficile de dénigrer un roman reçu grâce à l'opération Masse Critique ! Mais tous les goûts sont dans la nature, c'est ce qui fait la richesse d'un réseau social… Je vais donc aller à l'encontre des précédentes critiques élogieuses parues sur ce premier roman.

J'ai souffert ! D'une part, pour la longueur. Longueur des chapitres (trois en deux cents pages) qui ne permettaient pas de souffler (car j'en avais réellement besoin !) ; bien sûr, on s'impose l'arrêt soi-même, mais j'apprécie lorsque la pause « tombe bien ». En outre, je n'ai pas vraiment compris le découpage entre le premier et le deuxième chapitre…

Longueur des phrases ! Pierre Guerci a semble-t-il voulu rivaliser avec Flaubert et est adepte des phrases à rallonge, qui classe cette lecture dans les lectures cérébrales. Oubliez le transat, le soleil, les passants qui discutent à côté de vous, les enfants qui vous envoient le ballon par erreur… On ne peut pas lire ce livre sans un minimum de concentration, à moins de lire trois fois la phrase pour la comprendre.

Longueur de l'action ! Deux pages pour raconter que le père cherche à se gratter l'oreille, le double pour nous raconter son passage à la selle… On en vient à attendre, malheureusement, que cet homme mette un terme à sa souffrance, à celle de son entourage, et à celle du lecteur ! La quatrième de couverture évoquaient des « rivalités familiales » entre « deux fratries issues d'un même père » qui l'accompagnaient dans ses derniers instants. Je n'ai pas retrouvé ce thème alléchant : le fils qui nous raconte cette fin de vie est désespérément seul, croise son frère, ses demi-soeurs, sa mère… On est proche, selon moi, du huis-clos. Des pages m'ont, enfin, mise à bout, et si ce n'était pas un roman de l'opération Masse Critique, je l'aurais fermé définitivement : lire les répulsions du fils pour « la merde » (je cite, pardonnez-moi), le mucus, la « verge ratatinée » comparée au « pis d'une vache »… J'ai bien du mal à comprendre les enjeux de ce récit : hommage au père, thérapie personnelle, volonté de montrer ce qu'est la dégénérescence et la difficulté d'y faire face ?

Enfin, autant, dans les premières pages, je me disais que l'auteur écrivait bien, qu'il avait un style, du talent… Mais c'est comme certaines choses qui sont travaillées et bonnes, elles deviennent vite écoeurantes. le style m'est vite apparu trop ciselé, voire ampoulé. Je ne m'estime pas trop inculte et pourtant, je tombais trop régulièrement sur des mots inconnus. Dans l'absolu, ce peut être une bonne chose, lorsque c'est fait avec mesure, qu'on n'est pas obligé de lire avec le dictionnaire à côté, et lorsqu'on se dit que c'était décidément le bon terme, qu'un autre n'aurait pu le remplacer (j'ai fortement ressenti cela avec Damasio et sa « Horde des Contrevents »). Mais avec Pierre Guerci, je me suis souvent dit : tous ces grands mots pour cette seule idée, qui aurait paru plus belle avec davantage de simplicité ! J'ai découvert des « morgue catholarde », « joie immarcescible » et mille autres choses étouffantes qui nous font passer à côté du thème sensible de la fin de vie, bien mieux traité dans « Les gratitudes » de Delphine de Vigan à mon sens. Bref, je m'arrête là : ce roman n'était pas pour moi…
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Le père était un oncologue respecté. Père de plusieurs enfants issus de deux fratries différentes. Aujourd'hui, alors que son cerveau est grignoté par une dégénérescence, il ne reste plus grand chose de la prestance de cet homme autrefois élégant et mystérieux aux yeux de son fils cadet, le narrateur. Ce trentenaire a décidé d'accompagner son père dans ses derniers jours, à domicile, dans la demeure que ce dernier occupait avec son épouse officielle.

Avec la dégénérescence, c'est tout ce qui faisait de son père l'homme qu'il était qui est entrain de s'envoler sous ses yeux. La fin de vie, c'est une succession de perte : le langage, la mobilité, la continence, la vitalité. le narrateur fait face, du mieux qu'il le peut. Pour lui, c'est aussi l'ultime occasion de se rapprocher de son père, de lui pardonner ses nombreuses absences tout au long de sa vie et puis, aussi, de décrocher cette reconnaissance qu'il n'a eu de cesse de chercher chez son géniteur. Mais il n'a, comme réponse, que le mutisme incessant de son père et ses besoins d'être mis au propre.

Au fil des jours, les frères et soeurs passent en coup de vent. Tous bien trop préoccupés par leur quotidien pour s'arrêter plus de quelques minutes. A moins que ce ne soit leur façon de prendre leur revanche sur un père qui n'a jamais réussi à choisir entre ses deux familles. Malgré la présence continue du narrateur au chevet de ce vieil homme, l'absence règne en maitre au sein du foyer et du récit.

Alors, pendant que son père somnole, pendant que l'on attend une mort qui, bientôt, se fera désirer, pendant que l'on s'en veut d'espérer qu'elle arrive plus vite que prévu, le fils se questionne sur le sens de la vie, la vieillesse, la perte de repère, la mort. Ainsi, dans cette maison où le temps n'a plus que peu d'importance, la vie et la mort s'entremêlent, se côtoient et s'apprivoisent pour finalement poser une question fondamentale : et si l'urgence de vivre, c'était aussi, et justement, de profiter des derniers instants qui nous sont donnés auprès de ces êtres aimés devenus vieux ?

C'est un premier roman à l'écriture saisissante, maitrisée à la perfection et magistrale. Malgré un sujet délicat et difficile à traiter en littérature, Pierre Guerci signe un récit empli d'humanité et d'amour pour cet homme qui, à n'avoir pas su choisir, n'aura jamais véritablement été complètement présent auprès des siens.
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critiques presse (1)
LaLibreBelgique
22 janvier 2021
"Ici-bas", un premier roman touchant de Pierre Guerci.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Il y a deux manières de traiter les mourants. Ou bien nous les laissons crever seuls et alors nous aussi nous crèveront seuls quand viendra notre tour ; ou bien nous nous occupons d´eux jusqu’à la fin et d’autres feront de même pour nous. Moi je préfère la responsabilité au délaissement.
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INCIPIT
Souvent sur le perron d’un hôpital ou dans le hall, au bout des couloirs mal éclairés, on pense à la vie. Ceux qui y travaillent pensent plus probablement à leur tâche, à ce qu’ils vont manger à midi ; peut-être pensent-ils aussi à leur vocation et à leurs enfants. Mais nous autres, nous pensons à la vie. Nous n’entrons dans cet espace où le temps est suspendu qu’avec appréhension, et si d’aventure nous en sortons soulagés et bien portants, ce peut être aussi tout bêtement dans un grand sac mortuaire, les pieds devant.
Ce matin-là que nous en sortions mon père et moi, ce n’était ni soulagés, ni tout à fait morts. Sortis sans être sortis à vrai dire, puisque l’hôpital, m’avait-on assuré, nous accompagnerait à la maison. Il s’invitait, on restait dans son orbite, on ne lui échapperait plus ; j’aurais aussi bien pu pousser dans l’autre sens le fauteuil roulant que je retenais sur le petit plan incliné, après les doubles portes. De toute façon, dans quelque sens qu’on le prenne, ce plan incliné ne pouvait ni aggraver ni inverser la grande pente qui s’était amorcée un mois plus tôt, quand nous étions arrivés ici, et même deux ans plus tôt, quand ses premiers troubles de l’équilibre s’étaient manifestés. Au fond, la pente est toujours déjà amorcée, elle est simplement plus ou moins pentue, se fait plus ou moins sentir. Une seule chose est certaine : quand la fin approche, elle devient fortement concave.
Je rajustai sur mon épaule la bretelle du sac de tennis sentant un peu l’urine de ses pantalons à laver, et nous franchîmes l’opiniâtre nuage des fumeurs qui, accrochés à leur potence, leurs bras nus embrochés de sondes, avaient tombé les peignoirs pour la première fois de l’année. La matinée, en effet, était splendide. C’était, à la mi-avril, le premier jour de grand beau temps, le plus douloureux de tous, celui où la belle saison prend définitivement ses quartiers dans les esprits et où les femmes, que l’on a vues décemment vêtues pendant les rigueurs de l’hiver et dont on a oublié les charmes outranciers, sont tout à coup presque nues sous nos yeux. Ce raz-de-marée n’épargne rien ni personne, pas même ces mornes dispensaires où il y a pourtant tellement de messieurs fragiles.
Distrait un instant par ce spectacle, j’avais dévié dangereusement vers les escaliers et, sans lever la tête, mon père me rappela à l’ordre d’un faible grognement, qui pouvait tout aussi bien être un encouragement. Cet homme qui avait eu encore tant d’allure à quatre-vingt-cinq ans passés, dont les internes – à l’époque plus reculée où, lui-même professeur de médecine, il dirigeait un service dans cet hôpital – caricaturaient dans leur revue le sourire charmeur et le borsalino ; cet homme-là, plus séduisant et séducteur que Mastroianni, n’avait même pas remarqué que venait de se produire l’éclosion annuelle du féminin, toujours si soudaine, coordonnée et pourtant sauvage, fleurant si bon l’instinct, et qui rythme sans faille les existences viriles comme un battement de tambour remonté du fond des âges. Cette renaissance ne le concernait tout bonnement plus : son dernier printemps serait le premier qui ne le troublerait pas.
Malgré la raideur de sa colonne, sa tête penchée vers la gauche entraînait avec elle le reste de son corps, et tandis que nous nous dirigions vers le parking, son bras glissa du mauvais côté de l’accoudoir. Je nous arrêtai et le tirai doucement par les épaules pour le redresser. La brise légère, tiède et douce, glissait sur son visage éteint et dans ses cheveux encore fournis, dont la blancheur de cygne me renvoyait l’éclat du soleil avec l’intensité d’un miroir. J’essayai comme je pus de rabattre sur son crâne les épis qu’on n’avait pas pris la peine de coiffer à son réveil et je l’aidai à ôter de ses genoux la méchante couverture dont on couvre toujours les vieillards impotents. Pendant un instant, je vis dans la lumière, à la place des charentaises pelucheuses où étaient enfilés ses pieds nus, les mocassins d’été que seuls les Italiens d’une certaine époque ont su porter avec un goût sûr. Et m’étant attardé à gratter, sans espoir, une des taches de bouillie qui maculaient son polo, je lui souris en essayant de deviner son menu de la veille. Alors son visage s’anima quelque peu. Il sourit à son tour de cet étrange sourire déformé par sa paralysie de la face, et il articula lentement, aussi distinctement que le lui permettaient son élocution entravée et sa respiration affaiblie : « J’ai… J’ai mangé… comme un… comme un co-chon ! »
Devant la voiture, je l’aidai à se mettre debout et le soutins à la taille. Cramponné à la portière, pivotant à tout petits pas sur ses jambes flageolantes, il se trouva d’un coup en face du grand parallélépipède de béton décrépi, ce CHU qu’il avait connu flambant neuf quarante-cinq ans auparavant, quand il en avait inauguré le département de cancérologie, où tant de gens étaient morts au milieu de quelques miraculés, où il avait rencontré et aimé ma mère, son étudiante alors, de vingt ans sa cadette. Malgré l’extrême concentration que requérait la manœuvre pour s’asseoir sur le siège passager, il s’arrêta et fit effort pour se redresser complètement, de sorte à embrasser du regard le bâtiment en entier, se demandant peut-être si c’était la dernière fois qu’il le voyait. Un moment, il sembla vouloir dire quelque chose. Les mots cependant, il le sentait, étaient à la fois insuffisants et superflus ; et moins empêché par ses difficultés pour parler que par la vanité de formuler ce qui ne pouvait l’être, il secoua très lentement la tête et souffla, en saccades désespérées plus lentes encore, les seules paroles qui eussent du sens en pareille occasion : « Ah… là… là !… Ah… là… là ! » Et tandis que je rangeais le chariot dans le coffre, l’écho de ces quelques syllabes me donna une certitude : ce médecin-là pensait à la vie.
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Sans doute ne se débarrasse-t-on pas si aisément du fardeau de l’existence. Peut-être est-ce d’ailleurs ainsi que commence véritablement le deuil, quand on n’a plus envie d’aller rejoindre au tombeau celui qu’on regrette.
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On dit, moi-même je le croyais, on dit que la mort emporte les hommes. Mais en premier lieu, elle n’emporte pas, elle laisse. Elle laisse les corps, les masses; elle laisse les êtres, étrangement vidés d’eux-mêmes.
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Ainsi, faute de me sentir encore nécessaire, je m’étais rendu au démon de l’agréable, si vorace en énergie, si dispendieux en jetons de vanité et si doué pour nous tromper sur l’essentiel. Entre les promenades, les livres audio, les films, le tennis et le football, j’avais l’impression de permettre à mon père de faire «un peu plus que survivre. p. 70-71
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