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Jérémy Braccone (Autre)
EAN : 9782378801755
224 pages
L' Iconoclaste (07/01/2021)
3.53/5   98 notes
Résumé :
Figuette est ouvrier et père célibataire de la petite Zoé depuis que sa femme, Moïra, imprévisible et passionnée, a fugué. L’été arrive et l’usine qui l’emploie menace de fermer, il n’aura pas les moyens d’emmener sa fille en vacances comme il l’avait promis.
Pour séduire Moïra, il avait été capable des plus belles folies. Pour la reconquérir et ne pas décevoir sa fille, il va aller encore plus loin.

Au coeur de la Lorraine en faillite indust... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (59) Voir plus Ajouter une critique
3,53

sur 98 notes
Les bons sentiments ne font pas toujours de bons romans. Cette fois, si ! Danse avec la foudre est un très joli livre, un de ceux qui parvient à envoyer des paillettes dans les yeux tout en évoquant des sujets forts et douloureux sans ciller ni faire l'autruche. A la manière d'un Guido ( Roberto Benigni dans La Vie est belle, tout proportion gardée ), Figuette cherche à réenchanter sa vie pour faire face aux épreuves qui s'accumulent : il élève seul sa fille de quatre ans après le départ d'une épouse dont il est toujours fou amoureux, son usine de Villerupt ( Lorraine ) va fermer suite à une délocalisation, les vacances à la mer promises à son enfant ne sont plus possibles faute d'argent.

La grande force de ce premier roman, c'est le talent de conteur de son auteur qui parvient à trouver un équilibre subtil entre tragédie et comédie grâce à un travail sur les personnages vraiment très réussi. On les aime tous ces ritals prolos qui gravitent autour de Figuette. C'est plein de tendresse, d'humour et surtout d'humanité. On est emporté par la force qui soude cette communauté ouvrière, par l'amicale solidarité dont elle fait montre avec pudeur ou extravagance selon les besoins requis par la situation. J'ai vraiment apprécié la description du « commando » ultra organisé qui se fabrique une caisse de prévoyance en vue du licenciement. Rébellion et dignité. La plume de Jérémy Bracone est pleine de vitalité et sonne juste en permanence avec son énergie communicative.

Et puis il y a Moira. L'épouse de Figuette. Un beau personnage qui m'a fait penser à certains égards à la mère d'En attendant Bojangles. Fantasque et immature. Imprévisible et fragile. Une femme-enfant qui fugue régulièrement de son couple et finit par abandonner mari et fille lorsque le roman commence. On est déchiré par la douleur de Figuette, racontée à hauteur d'homme. On est touché par son entêtement à créer un refuge imaginaire pour sa fille, tel un Peter Pan qui ne voudrait pas se laisser envahir par la grisaille déprimante du quotidien.

Au final, pour que je sois totalement emportée, il m'aurait fallu une empreinte plus forte laissée dans ma mémoire de lectrice. Mon appétence littéraire a tendance à m'emmener vers des romans plus telluriques, plus complexes et sombres, on ne se refait pas. Reste un roman social léger et positif qui donne envie de rire, danser, retrouver ses amis, étreignant la réalité de toute une vie, de toute une région avec fraicheur, le rire au bord des larmes pour se dire que tout n'est pas perdu.

Lu dans le cadre du collectif les "68 premières fois"
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Figuette vingt-trois ans tombe amoureux fou de Moïra, quinze ans. Il aime cette jeune fille qui danse avec la foudre, mi femme, mi enfant, Figuette est en adoration devant cette nana pétillante. À dix-huit ans, Moïra tombe enceinte. Elle n'en veut pas de cet enfant, elle ne veut que de la liberté.
C'est ainsi que Figuette se retrouve seul à élever la petite Zoé.

C'est l'histoire d'un coup de foudre. Au milieu des usines, de la pauvreté, de la misère humaine, l'homme réinvente la créativité pour séduire sa petite Zoé et surtout dans l'espoir de revoir Moïra.

Comment réinventer la vie quand on se retrouve célibataire, seul à élever un petit bout'chou. C'est l'histoire d'une danse, celle avec la foudre. La foudre quand un coeur s'éprend quand un coeur se brise, quand l'argent fait défaut, quand l'espoir fait défaut. Faut dire qu'elle était belle cette demoiselle dans sa robe rouge, la voir danser avec la foudre ça ne s'oublie pas.
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Ce beau roman montre combien les valeurs matérielles ne sont pas tout, bien qu'elles facilitent la vie. Alors qu'est ce qui fait le bonheur de cette bande de copains ? Un vécu partagé certainement, avec quelques délicieuses magouilles, un apéro au Spoutnik, une solidarité à toutes épreuves et une volonté d'entraide au sein de ce milieu ouvrier, dans cette Lorraine victime de la désindustrialisation, de la mondialisation, de la délocalisation.

Toutefois l'entraide semble avoir ses limites... Figuette, notre héros sans le sou a perdu ce qui faisait son bonheur... Moïra l'orageuse jouvencelle, celle pour qui il était prêt à toutes les fantaisies, Moïra qui lui décocha la flèche foudroyante avec laquelle il allait danser...

Alors il lui reste Zoé, la fillette née de leur union, pour qui, faute de moyens, il invente un monde imaginaire, peut-être pas si magique que cela, peut – être pas si merveilleux...

Si les copains de Figuette font sourire malgré leurs difficultés, notre héros inspirera plutôt la pitié et générera la compassion...

Bravo à Jérémy Braconne, capable de faire sourire, pleurer, se révolter, compatir, s'offusquer, se questionner...

Une belle lecture à côté de laquelle je serai passée sans les 68 premières fois.
Lien : https://1001ptitgateau.blogs..
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Après les mines, ce sont les usines menacent de mettre sur la touche la bande de potes. En Lorraine, les relents d'une Italie lointaine continuent à illuminer le décor industriel. Mais la fin de rêve a un nom : délocalisation. Et l'église de métal qui se dresse au centre de la ville est témoin de la décrépitude ambiante : naguère prototype et garante d'une réussite économique, elle ne vaut pas plus que son poids de rouille, le prix d'un pavillon modeste.


Pour Figuette, le désastre ne s'arrête pas là, la mère de Zoé s'est envolée, et avec elle, les colères, les éclats de verre, l'immaturité, mais aussi les soirées de plaisir, la beauté, la fougue de sa jeunesse.

Pas de travail, pas d'argent. Impossible de quémander auprès de la famille ou des amis, il faut alors réinventer le quotidien pour offrir des vacances de rêves à l'enfant, à grand coup de bluff et de selfies .

Roman social, sur fond de crise économique, et roman d'un amour perdu, voué à un échec programmé.

Dans un style mâtiné d'italien, et de langue du terroir, Jérémy Bracone révèle avec ce premier roman une vraie disposition pour transcrire les émotions qu'elles s'apparentent à la colère ou à la passion amoureuse.

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Les naufragés de Villerupt

Jérémy Bracone a choisi le Haut-Pays lorrain comme décor d'un sombre premier roman qui retrace le difficile combat d'un père se retrouvant seul avec sa fille, pourchassé par les huissiers et espérant le retour de son épouse. Bouleversant!

Commençons par planter le décor de cette belle histoire. Nous sommes en Lorraine, plus précisément à Villerupt, surnommée la Petite Italie, qui «avait poussé de rien au début du siècle dernier, lors de l'eldorado du fer. Dans les années 1980, les hauts fourneaux étaient tombés comme des quilles, laissant la place à d'immenses friches. Sous la ville, le sol chancelle : le gruyère de galeries abandonnées qui relient les cités du bassin menace de s'effondrer. Les traces des mines et des aciéries sont toujours visibles à la surface. Ici des crassiers ; là des cratères ; et partout la terre est rouge de fer.»
C'est là que vit Figuette avec sa fille Zoé et son chien, un Rottweiler baptisé Mouche. Moïra, son épouse, les a quittés. Partie sans crier gare pour Clermont-Ferrand. Leur histoire d'amour avait pourtant été belle. Deux solitudes se fondant dans une fête des sens effrénée. Avec elle, il a cru qu'il pourrait éloigner tous les oiseaux de mauvaise augure, oublier leurs soucis et construire une belle histoire.
Pour sa princesse, il échafaudait de jolis scénarios et réussissait à enflammer leur imagination. Mais les beaux décors qu'il avait savamment bricolés, n'avaient pas suffi à la retenir.
Alors il tentait de panser ses blessures avec ses potes Tatta, Nourdine, Bolchoï, Piccio et les autres. Eux étaient restés fidèles malgré la misère économique qui avait fait d'un fleuron industriel une zone sinistrée. Après Daewoo qui avait installé une usine flambant neuve, empoché les millions d'aides de l'État et bénéficié d'exonérations fiscales avant de disparaître était venu le tour de Rosegrund, une société allemande qui produisait des robots ménagers. Certains des anciens de Daewoo s'y étaient retrouvés aux côtés de nouveaux ouvriers. Ensemble, ils ont cru à un nouveau départ. Mais il a bien vite fallu se rendre à l'évidence. le temps des usines jetables était arrivé et Rosegrund, tout le monde l'avait compris, allait fermer à son tour. Dès lors, leur but ne pouvait être que de négocier de bonnes indemnités pour ne pas se faire avoir à nouveau, comme avec les coréens partis après avoir mis le feu à l'usine.
Au Spoutnik, le bistrot où ils se retrouvent, après le turf et les jeu de cartes, ils élaborent des plans pour améliorer leur ordinaire, se servent de matériaux et d'outils de Rosegrund pour retaper la maison de Figuette et emportent une partie de la production pour la revendre dans les pays voisins, eux qui sont vraiment européens, coincés entre le Luxembourg qui fait figure d'Eldorado et où les plus chanceux ont trouvé un emploi, la Belgique, l'Allemagne et les Pays-Bas où ils vont refourguer leur butin de guerre pour se constituer un pactole à se partager le jour où il n'auront plus de salaire.
Alors que la situation devient de plus en plus précaire, Figuette prépare ses vacances avec Zoé. Rien n'y manquera, le soleil, la plage, les oiseaux, le ciel constellé d'étoiles. Il est bien décidé à suivre le conseil de son ami
«fais-la rêver. Sors-lui le grand jeu, t'as encore des cartes dans ta manche».
Jérémy Bracone a construit un roman sombre que ni la solidarité des immigrés, ni l'amour d'un père pour sa fille ne pourront éclaircir. Implacable, même si l'humanité sourd au fil du récit, désespéré même si l'on veut croire à un épilogue heureux.
En 2018 Nicolas Mathieu avait ouvert le bal avec Leurs enfants après eux (couronné du Prix Goncourt), l'an passé Laurent Petitmangin avait continué à creuser de même sillon avec le superbe Ce qu'il faut de nuit. Et autour de cette Lorraine en proie à la désindustrialisation, ne laissant guère de perspectives à la jeunesse, Pierre Guerci et Jérémy Bracone leur ont emboité le pas en cette rentrée, situant leurs premiers romans respectifs à Villerupt. Ici-bas, qui raconte les derniers mois de vie d'un médecin, a bien des points communs avec Danse avec la foudre. Notamment ces fulgurances d'humanité qui laissent penser que tout n'est pas perdu.

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Citations et extraits (19) Voir plus Ajouter une citation
INCIPIT
L’église est à vendre.
Figuette conduit sa fille à l’école quand il apprend la nouvelle à la radio. «Mise à prix 280 000 euros, pour la Dame de fer.» Zoé chantonne, il lui demande de se taire. D’accord, dit-elle, et elle reprend sa comptine. Son père monte le son et prend la première sortie. Il doit voir la Dame.
Une ossature en acier et des murs en tôle. Une toiture plate, un clocher sans flèche, le tout peint en gris. Sous d’autres cieux, l’église aurait eu droit à un blanc éclatant. Ici, on a préféré l’assortir au béton des cités.
Pour la construire, les mineurs avaient commencé par extraire ce minerai rouge dans le sous-sol. Puis les sidérurgistes avaient couvé le magma pour le fondre, forgé son squelette, laminé sa peau de tôles. Composée de ces mêmes atomes de fer qui faisaient rougir leurs veines, l’église était la fierté de tous, catholiques ou athées communistes ; parfois les deux, par concession, quand la grand-mère italienne exigeait le baptême du petit dernier.
Du haut de ses quatre-vingts ans, la Dame avait subi les rafales des mitrailleuses allemandes, résisté aux affaissements miniers, et voilà que monsieur le maire raconte à la radio que si ça ne tenait qu’à lui, il la raserait pour faire un terrain de football.
Le journaliste poursuit : « Cinq ans après avoir été achetée par la styliste Léonor Scherrer, fille du célèbre couturier Jean-Louis Scherrer, l’église fait son retour sur le marché. L’héritière voulait investir dans l’univers du deuil. Une ligne de vêtements pour les enterrements, et un studio d’enregistrement de musique funèbre, mais son projet n’a pas abouti. »


Figuette se gare, coupe la radio, laisse tourner le moteur. Attends-moi dans la voiture, dit-il à Zoé. Mais papa, on va être en retard à l’école ! Il s’approche de la Dame, la salue, puis gratte avec son ongle la peinture qui pèle. Un lambeau se décolle et révèle de la rouille. Sous les vitraux, des coulures rouges. On dirait qu’elle pleure du sang, répétait toujours Moïra. Figuette a envie de partager la nouvelle avec sa femme. Mais elle ne le prend plus au téléphone depuis des mois.
Il fait le tour de l’église, ne trouve aucune lucarne ni soupirail pour y entrer. Il se rabat sur un conteneur de poubelles, le traîne devant la porte principale. Il monte dessus, puis grimpe tant bien que mal sur le portique. Fébrile, il se penche sur le vitrail de la rosace. Et tandis qu’il contemple la grande nef déserte, l’allée centrale s’anime au gré de ses souvenirs, s’illumine de cent bougies et des yeux brillants des amis. Il revoit Moïra s’avancer vers l’autel, rayonnante dans sa robe blanche, et tout le film de cette journée héroïque.

Ce matin il a plu. Le soleil se décide à percer et les arbres s’égouttent. Dans l’air, une odeur d’herbe coupée et de bitume tiède. Mouche marche devant. De temps à autre, le rottweiler se retourne pour s’assurer de la présence de ses maîtres. Parfois, c’est lui qu’il faut attendre. Quand il trouve un chewing-gum incrusté dans le trottoir et qu’il s’acharne à l’en décoller.
Sur le chemin de la promenade, les Blocs noirs. Trois tours HLM, habillées de panneaux imitant des ardoises ; une ceinture de places de parking et de garages ; un square qui sent la pisse.
– C’est ici que t’habitais avec maman?
– Toi aussi. Tu t’en souviens pas, on a déménagé dans la nouvelle maison y a deux ans.
– C’était quelle fenêtre?
– Juste là, le studio 54. Au cinquième étage. Suis mon doigt et compte : un, deux, trois, quatre…
– Celui avec les fleurs rouges?
– Oui, le petit balcon avec les géraniums.
La porte vitrée est grande ouverte. Un rideau de mousseline flotte, aspiré par le vent: le voile de leurs folles soirées. Sa femme aimait s’y enrouler, lorsqu’elle dansait seins nus dans sa salopette. Comme la fée Clochette, elle était tellement petite qu’elle n’avait de place que pour un sentiment à la fois. Quand ils faisaient la fête, elle n’était que joie. Je suis une acrobate du Cirque du Soleil, avait dit Moïra, un soir. Il lui avait demandé de ne pas tirer sur le rideau, alors, avec son sourire canaille, elle s’y était pendue de tout son poids et la tringle avait cassé. Dans un même éclat de rire, ils étaient partis en cavalcade dans le studio, elle refusant de lâcher le rideau, traîne de mariée après laquelle Figuette n’a jamais cessé de courir.

Le cimetière est en fleurs. Zoé court d’une tombe à l’autre. Mouche lui colle aux basques.
– Tu parlais à qui? demande-t-elle.
– À la mère Carpini. Elle est venue porter des fleurs à son mari.
– C’était une madame?
– Ben oui, ça se voit pas?
– Je sais pas, dit-elle en levant les bras au ciel, les vieux, ils se ressemblent tous.
Zoé dépose un bouquet de fleurs de pissenlit sur la tombe de son arrière-grand-père.
– Tu crois que pépé Tatta s’amuse bien dans sa cabane?
Lorsque les anciens atteignent un certain âge, lui a raconté Figuette, ils se retirent dans une cabane, au cimetière. Après avoir trimé toute leur vie, ils n’ont plus qu’à jouer aux cartes et faire de longues siestes.
Le père Tattaglia a cassé sa pipe à l’automne. Comme il était le cinquième garçon de sa famille, on l’avait prénommé Quinto (le cinquième). À l’époque, on ne s’embarrassait pas avec les prénoms. Mais personne ne l’avait jamais appelé comme ça. Même pour sa femme, il était Tatta. Quand il ne se bagarrait pas avec les patrons, il trinquait, blaguait, jouait aux boules.
Tatta avait fait son entrée dans la légende locale en 1972, en compagnie de son copain Mario Poppini, dit Pop. Ce jour-là, ils faisaient leur tournée hebdomadaire pour vendre L’Humanité Dimanche. Brigitte Bardot, la mobylette Peugeot BB3 de Tatta, bégayait sous le poids des deux hommes. Il était bientôt midi et ils avaient écoulé presque tous leurs exemplaires. Un journal acheté, un Picon bière offert. Ils remontaient la rue Henri-Barbusse quand tout à coup ils étaient tombés sur une compagnie de CRS.
– DIO CANE ! Pop, les fascistes, ils remettent ça !
Brigitte Bardot avait chargé tout droit dans l’avant-garde républicaine. Les boucliers des CRS avaient valdingué comme dans une BD d’Astérix. Tatta envoyait des coups de casque en faisant des moulinets et Pop distribuait de grosses baffes communisantes.
– C’est nous ! Arrêtez les gars, c’est nous ! avait crié un des CRS en se protégeant le visage.
– Carlo? Mais qu’est-ce que tu fous avec les fascistes?!
– C’est pour de faux ! C’est pour le film !
L’équipe de cinéma n’en revenait pas. Le tournage avait été interrompu, le temps de laisser retomber l’hilarité générale. Pour tourner l’adaptation de Beau masque, une histoire d’usine et de lutte syndicale, la production était venue dans le nord de la Lorraine chercher un terreau ouvrier. Les volontaires pour la figuration avaient été nombreux. Tous étaient partants pour jouer les grévistes, mais aucun ne voulait porter le costume des CRS ; même pour de faux, ça leur faisait mal au cul.
À la mort de Tatta, la plus grande crainte de sa femme, c’était qu’il n’y ait pas assez de monde à l’enterrement. Elle n’est pas croyante la Nonna, mais elle avait voulu une cérémonie à l’église. Les gens sé déplacent pas zouste per lo founérarioum, il faut oune spectacle. Moïra n’avait pas assisté aux obsèques. Pas encore une fugue, juste une escapade, le temps que tout se tasse. Sa grand-mère ne lui en avait pas voulu, elle était trop sensible sa bambina. À son retour, elle lui avait préparé des gnocchi et la vie avait repris son cours.
– Papa, c’est quoi le grand truc en bas?
– Le supermarché?
– Non, le truc plein de trous.
– Le mur? C’est celui de l’ancienne usine, Aubrives.
– Le boulot de pépé Tatta?
– Non, Tatta, il bossait dans l’autre usine, Micheville.
– Il fabriquait quoi?
– Des grandes barres et d’autres trucs en fer, c’était un laminoir.
– Pour quoi faire?
– Je sais pas moi, ça servait à fabriquer plein de machins. Comme des rails pour les trains. Ou des ponts.
Des sapins bordent le cimetière. Entre leurs branches, en contrebas de la colline, on aperçoit l’ancien mur de soutènement de l’usine, long de plus d’un kilomètre et haut de vingt mètres, percé d’alvéoles en pierre de taille. Ces grottes voûtées lui donnent des airs de HLM troglodyte. Pour les jeunes, une ruine antique. Pour les anciens, c’était hier.
Villerupt, surnommée la Petite Italie, avait poussé de rien au début du siècle dernier, lors de l’eldorado du fer. Dans les années 1980, les hauts fourneaux étaient tombés comme des quilles, laissant la place à d’immenses friches. Sous la ville, le sol chancelle : le gruyère de galeries abandonnées qui relient les cités du bassin menace de s’effondrer. Les traces des mines et des aciéries sont toujours visibles à la surface. Ici des crassiers ; là des cratères ; et partout la terre est rouge de fer. Rouge, comme l’héritage communiste : les rues portent les noms de Lénine, Karl Marx ou encore de Iouri Gagarine. Au temps des mastodontes cracheurs de feu, même le ciel était rouge. La nuit, on pouvait le voir flamboyer par-delà les trois frontières. Un coucher de soleil qui n’en finissait pas d’embraser l’horizon. Les usines ne dormaient jamais, un boucan de tous les diables. Grondements, fracas, grincements de rails ; le silence était un délire de ferraille.
Jusqu’à la dernière fermeture, les aciéries battaient au cœur de la ville. Les ouvriers allaient travailler à pied, leur musette sous le bras. Quand la sonnerie les libérait, ils se dispersaient par grappes. La Petite Italie recensait une centaine de bistrots ; c’était leur récréation. Aujourd’hui, tout le monde travaille ailleurs et les bistrots se comptent sur les doigts d’une main. Les locaux parcourent des dizaines de kilomètres en voiture, passent les frontières belge ou luxembourgeoise et, le soir, rentrent directement chez eux.
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Tatta avait fait son entrée dans la légende locale en 1972, en compagnie de son copain Poppini, dit Pop. Ce jour-là, ils faisaient leur tournée hebdomadaire pour vendre L'Humanité Dimanche.

Brigitte Bardot, la mobylette Peugeot BB2 de Tatta, bégayait sous le poids des deux hommes. Il était bientôt midi et ils avaient écoulé presque tous leurs exemplaire. Un journal acheté, un Picon bière offert. Ils remontaient la rue Henri Barbusse quand tout à coup, ils étaient tombés sur une compagnie de CRS.
Dio Cane ! Pop, les Fascites, ils remettent ça !

Brigitte Bardot avait chargé tour droit l'avant-garde républicaine. Les boucliers des CRS avaient valdingué comme dans une BD d'Astérix. Tatta envoyait des coups de casque en faisant des moulinets et Pop distribuait des grosses baffes communisantes.
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– T’as posé tes congés?
– J’ai demandé les deux dernières de juillet.
– Pourquoi poser des congés? dit Bolchoï. D’ici l’été on sera tous au chômage.
– Rien à battre, cette année j’emmène la petite en vacances. Elle a jamais vu la mer.
– T’en sais rien, Bolchoï, dit Alain, les Allemands ont assuré au syndicat qu’ils avaient une solution pour maintenir l’activité.
– Rosegrund ne touche plus les aides publiques, répond Bolchoï, alors ils vont se magner de délocaliser. Comme pour Daewoo. Tu t’en souviens pas, Piccio, tu jouais encore avec ton caca. Les Coréens avaient palpé des sub énormes : 46 millions, cinq ans d’exonérations de taxes. Ils avaient fait un bénef rapide et s’étaient barrés à l’étranger. Trois usines liquidées, 1 200 licenciements. Le temps est aux usines jetables, moi je vous le dis. Et nous aussi, on est jetables.
– Deux lignes de production ont déjà été sucrées, poursuit Figuette. Les machines sont plus entretenues. Le bâtiment part en sucette. Certaines portes, pour les fermer on doit les coincer avec des balais.
– De mon temps, ça se serait pas passé comme ça, dit le père Poppini. Faut vous battre, les jeunes, faut pas laisser faire ces fascistes.
– Qu’est-ce qu’on peut faire de plus que vous? Vous vous êtes bagarrés comme des Apaches. Ça les a pas empêchés de fermer les mines et les aciéries.
– Alors battez-vous pour un bon plan social. Faites-les cracher, les Boches ! Qu’ils vous indemnisent!
– On s’est pas battus, chez Daewoo? Grève sur grève, on a même dû séquestrer le patron juste pour que monsieur nous fasse l’honneur de payer nos salaires. On a accepté de reprendre le taf, et trois jours plus tard le feu cramait toute l’usine.
– Et qui a été condamné pour l’incendie? Un pauvre syndicaliste, dit Alain. Les flics et le tribunal n’en ont rien eu à secouer que tout accusait les Coréens. Le patron était recherché pour fraude par Interpol, et pendant ce temps la France lui refilait la Légion d’honneur.
– Faut pas tomber dans la parano, intervient Nourdine.
– La parano, s’emporte Bolchoï?! T’y étais, toi, quand ça a cramé? Quand on a cherché à éteindre les flammes et qu’on a découvert que les extincteurs étaient vides, les alarmes débranchées et que la lance à incendie n’était même pas raccordée à l’arrivée d’eau ! Les gardiens avaient été renvoyés chez eux la veille et, le matin même, le matin même ! toute la comptabilité avait été déménagée en douce.
– T’imagines combien leur aurait coûté un plan social? dit Alain. C’était plus simple d’y foutre le feu. Pourtant c’est quand même Kamel qui a été condamné, trois ans ferme qu’il a pris. Avec quelles preuves? Rien du tout qu’ils avaient, au tribunal.
– Tous de mèche, dit Bolchoï. On peut rien attendre de la justice ni des politiques. Vous vous rappelez la présidente du tribunal? Certains témoins ne causaient pas assez bien au goût de madame. « Pour travailler sur des chaînes de montage, qu’elle avait osé balancer, c’est sûr qu’on recrute pas parmi l’élite de la société… » Une justice de classe, y a pas d’autre nom, moi je vous le dis.
– Alors, vous allez faire quoi? demande le père Poppini. Accepter de vous faire virer sans un sou?
– Non, Pop, te tracasse pas, dit Bolchoï en regardant Figuette droit dans les yeux. On sait ce qu’on a à faire.
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Ces engins savent tout faire, vante-t-il. Vous avez juste à y mettre les ingrédients, et quand vous revenez après l'apéro, vous trouvez un plat trois étoiles tout chaud. Si cette machine avait des roploplos, je la demanderais en mariage !
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Maintenant, faut que tu te battes, tu m’entends ? Si tu le fais pas pour Moïra, fais-le pour Zoé. C'est à cause de toi qu'elle a plus sa mère. Elle demande de l’énergie cette gosse, mais avoue que tu la biches. Vous vous marrez bien tous les deux. Alors fais-la rêver. Sors-lui le grand jeu, t’as encore des cartes dans ta manche. Tu vas y passer la nuit s’il le faut, mais demain matin, elle va voir ce qu’elle va voir. À Partir de maintenant, tu lâches plus rien. Tu m'entends, tu lâches rien.
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Videos de Jérémy Bracone (4) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jérémy Bracone
Retrouvez l'émission ici : https://www.web-tv-culture.com/emission/jeremy-bracone-danse-avec-la-foudre-52642.html
Même s'il n'a rien oublié de sa jeunesse passée en Lorraine, Jérémy Bracone a posé ses valises sur les bords de l'Atlantique, dans le Sud-Oust, là où les vagues font rêver les surfeurs dont il fait partie.
C'est aussi là qu'il a installé son atelier et où, en tant qu'artiste plasticien, il laisse parler son inspiration et son imagination.
S'il a attendu d'avoir 40 ans pour publier son premier roman, Jérémy s'est toujours senti attiré par l'écriture et devenir écrivain était une évidence. D'ailleurs, il avoue que pour lui, son travail d'auteur et celui d'artiste plasticien sont de la même veine. Ainsi, donc, après avoir travaillé le bois, la terre, le fer, il choisit les mots, façon pour lui d'évoquer les personnalités là où par la matière il a jusqu'alors travaillé la nature et les paysages.
Pour son premier roman, Jérémy Bracone revient dans sa Lorraine natale, dans une petite ville où les usines ferment les unes après les autres. Figuette est fou amoureux de la douce et fragile Moïra. Mais depuis la naissance de leur petite Zoé, celle-ci n'est plus la même et un beau jour, elle plaque tout et s'enfuit. Dès lors, Figuette va tout faire pour la reconquérir et par là même, devenir le père attentionné et inventif qu'il n'a pas su être jusqu'à présent.
Ce livre est un concentré d'émotion, de tendresse, d'affection, d'amitié même s'il parle d'abandon, d'amours enfuies, de temps qui passe, de chômage. Un roman social certes puisque la déshérence industrielle lui sert de décor mais un roman misérabiliste, surtout pas ! Figuette est un anti-héros attachant, maladroit, débordant d'amour pour sa fille, créant un nouveau monde pour la faire rêver, comme il a tenté de le faire avec Moïra. Quant à ses copains fidèles, ils sont toujours au rendez-vous pour aider Figuette à relever la tête.
L'histoire est triste et belle à la fois et les personnages, qu'ils tiennent le premier rôle ou soient secondaires, ils forment une chaîne humaine qui donne foi en l'avenir. A votre tour, laissez-vous séduire par ce premier roman, très réussi, où l'émotion est à toute les pages, grâce à l'écriture sensible et poétique de ce nouvel auteur.
« Danse avec la foudre » de Jérémy Bracone est publié aux éditions de l'Iconoclaste.
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