Très impressionnants récits et analyses d'un parcours, à pied et à vélo, dans l'Allemagne de 1932 et 1933.
Écrits et publiés sous formes d'articles en 1932 et 1933, puis enrichis de diverses préfaces et postfaces en 1945, 1954 et 1965, ces deux textes ("Avant la catastrophe - 1932" et "Après la catastrophe - 1933") de
Daniel Guérin, à l'époque militant de la gauche de la SFIO, qui deviendra célèbre bien plus tard comme inlassable anthologiste et théoricien du marxisme libertaire et de
l'anarchisme, restent extrêmement impressionnants de lucidité.
Âgé à l'époque de 28 ans, arpentant l'Allemagne pendant plusieurs mois, à pied et à vélo, notant soigneusement ses entretiens et ses rencontres, au hasard et au fil des auberges de jeunesse, des tavernes, des rassemblements nazis et des réunions de militants de gauche, socio-démocrates ou communistes, rencontrant d'ailleurs de toutes parts un accueil étonnamment chaleureux dans un contexte franco-allemand qui restait en apparence bien compliqué, l'auteur recueille une masse de témoignages et d'impressions de toute première main, qu'il analyse à chaud avec une lucidité qui force indéniablement l'admiration.
"Pourtant, il faut surmonter sa répulsion et essayer de comprendre. Jeter l'anathème sur les "bandits bruns" est un jeu facile. Mais la vague hitlérienne est un phénomène si extraordinaire (au sens propre du terme) que des épithètes vengeresses ne suffisent pas à l'expliquer. Elle a surgi du fond du peuple allemand. C'est parce qu'elle est POPULAIRE qu'elle fut irrésistible, qu'elle a tout balayé, que les partis ouvriers, divisés, n'ont pu lui faire front, que la vieille Allemagne réactionnaire et féodale a dû, à contrecoeur, lui céder la place.
Certes, la lie de la population a trouvé asile dans l'armée brune. Elle y matraque, elle y joue du revolver à coeur joie. Mais derrière elle, il y a la masse paysanne, souffrant de la mévente de ses produits ou de ses bas salaires, toute la classe moyenne en décomposition, ces petits-bourgeois ruinés par l'inflation, par la crise, luttant contre la concurrence du grand capital, contre la prolétarisation qui les guette ; et il y a aussi de larges couches ouvrières dont la faim et l'oisiveté ont détraqué les nerfs ; et surtout la jeunesse, sans pain, sans travail, sans avenir."