AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782070729654
504 pages
Gallimard (25/11/1993)
3.17/5   3 notes
Résumé :
La fin du dix-neuvième siècle s'affirme de plus en plus nettement comme le creuset de la modernité esthétique et littéraire ; il n'est pas jusqu'au cinéma qui ne doive son origine à cette fermentation de la critique autour des grands thèmes de la représentation en art, du jugement moral sur l'évolution de la société et de l'affranchissement par rapport aux contraintes de la religion tels qu'ils se sont formés avec Stendhal, Baudelaire, Flaubert, mais aussi à partir ... >Voir plus
Que lire après Essais de psychologie contemporaineVoir plus
Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Par le mot de décadence, on désigne volontiers l’état d’une société qui produit un trop petit nombre d’individus propres aux travaux de la vie commune. Une société doit être assimilée à un organisme.

Comme un organisme, en effet, elle se résout en une fédération d’organismes moindres, qui se résolvent eux-mêmes en une fédération de cellules. L’individu est la cellule sociale. Pour que l’organisme total fonctionne avec énergie, il est nécessaire que les organismes moindres fonctionnent avec énergie, mais avec une énergie subordonnée, et, pour que ces organismes moindres fonctionnent eux-mêmes avec énergie, il est nécessaire que leurs cellules composantes fonctionnent avec énergie, mais avec une énergie subordonnée. Si l’énergie des cellules devient indépendante, les organismes qui composent l’organisme total cessent pareillement de subordonner leur énergie à l’énergie totale, et l’anarchie qui s’établit constitue la décadence de l’ensemble. L’organisme social n’échappe pas à cette loi. Il entre en décadence aussitôt que la vie individuelle s’est exagérée sous l’influence du bien-être acquis et de l’hérédité. Une même loi gouverne le développement et la décadence de cet autre organisme qui est le langage. Un style de décadence est celui où l’unité du livre se décompose pour laisser la place à l’indépendance de la page, où la page se décompose pour laisser la place à l’indépendance de la phrase, et la phrase pour laisser la place à l’indépendance du mot. Les exemples foisonnent dans la littérature actuelle qui corroborent cette hypothèse et justifient cette analogie.

Pour juger d’une décadence, le critique peut se mettre à deux points de vue, distincts jusqu’à en être contradictoires. Devant une société qui se décompose, l’empire romain, par exemple, il peut, du premier de ces points de vue, considérer l’effort total et en constater l’insuffisance. Une société ne subsiste qu’à la condition de rester capable de lutter vigoureusement pour l’existence dans la concurrence des races. Il faut qu’elle produise beaucoup d’enfants robustes et qu’elle mette sur pied beaucoup de braves soldats. Qui analyserait ces deux formules y trouverait enveloppées toutes les vertus, privées et civiques. La Société romaine produisait peu d’enfants. Elle en arrivait à ne plus mettre sur pied de soldats nationaux. Les citoyens se souciaient peu des ennuis de la paternité. Ils haïssaient la rudesse de la vie des camps. Rattachant les effets aux causes, le critique qui examine cette société de ce point de vue général conclut que l’entente savante du plaisir, le scepticisme délicat, l’énervement des sensations, l’inconstance du dilettantisme, ont été les plaies sociales de l’empire romain, et seront en tout autre cas des plaies sociales destinées à ruiner le corps tout entier. Ainsi raisonnent les politiciens et les moralistes qui se préoccupent de la quantité de force que peut rendre le mécanisme social. Autre sera le point de vue du psychologue pur, qui considérera ce mécanisme dans son détail et non plus dans le jeu de son action d’ensemble. Il pourra trouver que précisément cette indépendance individuelle présente à sa curiosité des exemplaires plus intéressants et des « cas » d’une singularité plus saisissante. Voici à peu près comment il raisonnera : « Si les citoyens d’une décadence sont inférieurs comme ouvriers de la grandeur du pays, ne sont-ils pas très supérieurs comme artistes de l’intérieur de leur âme ? S’ils sont malhabiles à l’action privée ou publique, n’est-ce point qu’ils sont trop habiles à la pensée solitaire ? S’ils sont de mauvais reproducteurs de générations futures, n’est-ce point que l’abondance des sensations fines et l’exquisité des sentiments rares en ont fait des virtuoses, stérilisés mais raffinés, des voluptés et des douleurs ? S’ils sont incapables des dévouements de la foi profonde, n’est-ce point que leur intelligence trop cultivée les a débarrassés des préjugés, et qu’ayant fait le tour des idées, ils sont parvenus à cette équité suprême qui légitime toutes les doctrines en excluant tous les fanatismes ? Certes, un chef germain du IIe siècle était plus capable d’envahir l’empire qu’un patricien de Rome n’était capable de le défendre ; mais le Romain érudit et fin, curieux et désabusé, tel que nous connaissons l’empereur Hadrien, par exemple, le César amateur de Tibur, représentait un plus riche trésor d’acquisition humaine. Le grand argument contre les décadences, c’est qu’elles n’ont pas de lendemain et que toujours une barbarie les écrase. Mais n’est-ce pas le lot fatal de l’exquis et du rare d’avoir tort devant la brutalité ? On est en droit d’avouer un tort de cette sorte et de préférer la défaite d’Athènes en décadence au triomphe du Macédonien violent. »
Commenter  J’apprécie          10
[Sur Taine]

Si le mélancolique et souffreteux poitrinaire n’avait pas été maudit par ses frères en religion, persécuté par sa famille, dédaigné par la jeune fille qu’il désirait épouser, s’il n’avait pas senti dès l’adolescence la table de fer de la réalité peser sur sa personne et la meurtrir, certes, il n’aurait pas écrit, avec une soif si évidente d’abdication des vains désirs, les terribles phrases où se complaît son stoïcisme intellectuel […].
Commenter  J’apprécie          70
Avant-propos de 1885
Chateaubriand encadrait son inguérissable dégoût dans les horizons d’une lande bretonne, où se dressaient les tours du vieux château paternel. Nos pessimistes encadrent leur misanthropie dans un décor parisien et l’habillent à la mode du jour au lieu de le draper dans un manteau à la Byron. Pour le psychologue, c’est le fond qui est significatif, et le fond commun est, ici comme là, dans l’A Rebours de M. Huysmans comme dans l’Adolphe de Benjamin Constant, une mortelle fatigue de vivre, une morne perception de la vanité de tout effort. Ce n’est point là une simple attitude. Il y a un accent de vérité qui ne saurait tromper dans les livres dont je parle. Ce n’est pas non plus une simple imitation, et quand on a signalé l’influence de Schopenhauer, on n’a rien dit. Nous n’acceptons que les doctrines dont nous portons déjà le principe en nous. Pourquoi ne pas reconnaître plutôt que toute une portion de la jeunesse contemporaine traverse une crise ? Elle offre les symptômes, visibles pour tous ceux qui veulent regarder sans parti pris, d’une maladie de la vie morale arrivée à sa période la plus aiguë. On s’écrie : c’en est donc fait de la vieille gaieté française… — Entre parenthèses, je cherche en vain cette gaieté, cette légère et allègre manière de sourire à la vie en la chansonnant, et dans Pascal, et dans La Rochefoucauld, et dans La Bruyère, et dans Bossuet, lesquels furent cependant des génies de pure tradition française. — Mais si cette gaieté s’en est allée presque entièrement, n’existe-t-il pas une cause ou des causes à cette disparition ? Si la belle vertu de vaillance a cédé la place à l’inutile et morne « à quoi bon », si la conscience de la race paraît troublée, n’y a-t-il pas lieu de rechercher la raison de ce trouble visible ? Par des épigrammes on a tôt fait de montrer que les écrivains désespérés s’accommodent pourtant à la vie ; on les saisit en flagrant délit de contradiction avec les théories et les sentiments de leurs livres. Que prouve cette contradiction ? Que l’homme est complexe, que la pensée et les actes ne vont pas toujours de compagnie, que l’instinct de durer persiste, invincible aux raisonnements. Depuis quand la maladie a-t-elle été une chose absolue, non susceptible de degrés, non conciliable avec une certaine portion de santé ? Tant mieux si ce reste de santé permet que le patient continue d’aller et de venir, et de faire figure d’homme. Est-ce un motif pour ne pas étudier le mal dont il souffre, surtout si la contagion de ce mal s’étend et menace d’envahir un grand nombre d’autres personnes qui n’auront pas, elles, la force de résister avec autant d’énergie ?
Commenter  J’apprécie          00
Osons dire d’ailleurs que, dans l’ordre psychologique comme dans l’ordre physiologique, la maladie est aussi logique, aussi nécessaire, partant aussi naturelle que la santé. Elle s’en distingue parce qu’elle aboutit à la douleur et au déséquilibre aussi fatalement que la santé à l’harmonie et à la joie. Mais osons dire encore, pour ne pas faire du bien-être l’épreuve suprême des choses de l’âme, qu’il y a parfois plus d’idéalisme dans cette douleur que dans cette joie.
Commenter  J’apprécie          20
Le grand argument contre les décadences, c’est qu’elles n’ont pas de lendemain et que toujours une barbarie les écrase.
Commenter  J’apprécie          00

Video de Paul Bourget (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Paul Bourget
CHAPITRES : 0:00 - Titre
C : 0:06 - CRÉATION - Paul Bourget 0:17 - CRÉATION DE L'HOMME - Jean Dutourd 0:28 - CROIRE - Comte de Las Cases
D : 0:38 - DÉBAUCHE - Restif de la Bretonne 0:51 - DÉCEPTION - Fréron 1:04 - DÉLUGE - Jean-François Ducis 1:15 - DÉMOCRATE - Georges Clemenceau 1:26 - DERRIÈRE - Montaigne 1:36 - DOCTRINE - Édouard Herriot 1:46 - DOULEUR - Honoré de Balzac 1:58 - DOUTE - Henri Poincaré
E : 2:11 - ÉCHAFAUD - Émile Pontich 2:23 - ÉCOUTER - Rohan-Chabot 2:33 - ÉGALITÉ - Ernest Jaubert 2:43 - ÉGOCENTRISME - René Bruyez 3:00 - ÉGOÏSME - Comte d'Houdetot 3:10 - ÉLECTION - Yves Mirande 3:21 - ENFANT - Remy de Gourmont 3:33 - ENNUI - Emil Cioran 3:41 - ENSEIGNER - Jacques Cazotte 3:53 - ENTENTE - Gilbert Cesbron 4:05 - ENTERREMENT - Jean-Jacques Rousseau 4:14 - ÉPOUSE - André Maurois 4:37 - ÉPOUSER UNE FEMME - Maurice Blondel 4:48 - ESPOIR - Paul Valéry 4:57 - ESPRIT - Vicomte de Freissinet de Valady 5:07 - EXPÉRIENCE - Barbey d'Aurevilly
F : 5:18 - FATALITÉ - Anne-Marie Swetchine 5:27 - FIDÉLITÉ - Rivarol
5:41 - Générique
RÉFÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE : Jean Delacour, Tout l'esprit français, Paris, Albin Michel, 1974.
IMAGES D'ILLUSTRATION : Paul Bourget : https://en.wikipedia.org/wiki/Paul_Bourget#/media/File:Paul_Bourget_7.jpg Jean Dutourd : https://www.purepeople.com/media/jean-dutourd-est-mort-a-l-age-de-91_m544292 Comte de Las Cases : https://www.babelio.com/auteur/Emmanuel-de-Las-Cases/169833 Restif de la Bretonne : https://fr.wikiquote.org/wiki/Nicolas_Edme_Restif_de_La_Bretonne#/media/Fichier:NicolasRestifdeLaBretonne.jpg Fréron : https://www.musicologie.org/Biographies/f/freron_elie_catherine.html Jean-François Ducis : https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-François_Ducis#/media/Fichier:Jean-François_Ducis_par_le_baron_Gérard.jpg Georges Clemenceau : https://www.lareorthe.fr/Georges-Clemenceau_a58.html Montaigne : https://www.walmart.ca/fr/ip/Michel-Eyquem-De-Montaigne-N-1533-1592-French-Essayist-And-Courtier-Line-Engraving-After-A-Painting-By-An-Unknown-16Th-Century-Artist-Poster-Print-18/1T9RWV8P5A9D Édouard Herriot : https://www.babelio.com/auteur/Edouard-Herriot/78775 Honoré de Balzac : https://www.hachettebnf.fr/sites/default/files/images/intervenants/000000000042_L_Honor%25E9_de_Balzac___%255Bphotographie_%255B...%255DAtelier_Nadar_btv1b53118945v.JPEG Henri Poincaré : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/be/Henri_Poincaré_-_Dernières_pensées%2C_1920_%28page_16_crop%29.jpg René Bruyez : https://aaslan.com/english/gallery/sculpture/Bruyez.html Yves Mirande : https://www.abebooks.com/photographs/Yves-MIRANDE-auteur-superviseur-film-CHANCE/31267933297/bd#&gid=1&pid=1 Remy de Gourmont : https://www.editionsdelherne.com/publication/cahier-gourmont/ Emil Cioran : https://www.penguin.com.au/books/the-trouble-with
+ Lire la suite
autres livres classés : DécadentismeVoir plus
Les plus populaires : Littérature française Voir plus


Lecteurs (18) Voir plus



Quiz Voir plus

Freud et les autres...

Combien y a-t-il de leçons sur la psychanalyse selon Freud ?

3
4
5
6

10 questions
434 lecteurs ont répondu
Thèmes : psychologie , psychanalyse , sciences humainesCréer un quiz sur ce livre

{* *}