Ghana, États-Unis, deux lignées familiales du 18ème siècle à nos jours.
Et un roman bouleversant.
(Je vais être longue à en parler, désolée, mais c'est comme ça avec les livres bouleversants.)
Il commence par un arbre généalogique.
Yaa Gyasi ne s'y embarrasse pas de familles nombreuses, non, de chaque côté elle suit avec obstination une branche, une seule ; la ligne ténue de la mémoire familiale.
Dans chaque chapitre on suit un des descendants lors d'un moment important de sa vie, mais avec assez de passé pour lui donner chair et émotion, et assez d'Histoire pour embrasser deux siècles et demi sur deux continents.
Au début il y a Maame, Maame dont on saura peu de chose sinon que, lorsqu'elle apparaît dans le roman, elle vient de mettre au monde une petite fille puis s'est aussitôt enfuie seule, "dans le feu". C'est la lignée d'Effia, la Fanti du Ghana côtier.
Ensuite, dans un autre village au Nord, Maame a un autre époux, une autre enfant : c'est la lignée d'Esi, l'Ashanti de l'intérieur des terres.
Ces deux demi-soeurs ne se rencontreront jamais, et pourtant vont se côtoyer sans le savoir pendant quelques mois, dans le fort de Cape Coast : Effia comme l'épouse d'un soldat anglais, Esi comme captive destinée au navire négrier vers l'Amérique.
Les chapitres de ce roman alternent donc l'histoire de la lignée ghanéenne, l'histoire de la lignée américaine.
Chacune des deux branches va être poursuivie par sa propre malédiction.
"Il est comme le pêcheur qui jette son filet dans l'eau. Il ne garde qu'un ou deux poissons dont il a besoin pour se nourrir et rejette les autres à l'eau, pensant que leur vie redeviendra normale. Personne n'oublie qu'il a été autrefois prisonnier, même s'il est à présent libre."
Du côté africain, la mémoire du feu se transmet au travers de mariages d'amour et de traditions qui résistent à l'évangélisation, à l'occupation, aux guerres.
Du côté américain, une ligne maintes fois brisée : pas de transmission, des destins chaotiques. Là c'est l'horreur de l'esclavage, du racisme, de la ségrégation.
"En Amérique, le pire qui pouvait vous arriver était d'être noir. Pire que mort, vous étiez un mort qui marche."
C'est une oeuvre d'une ambition étourdissante, et pourtant d'une écriture intimiste, émouvante, superbe.
Traduction d'
Anne Damour.
Challenge ABC 2023-2024
Challenge Globe-trotter (Ghana)