Une excellente surprise avec ce roman policier qui se déroule à Paris en 1920.
Une prostituée est retrouvée morte au petit matin par Pierrot, un orphelin , dans une rue mal famée de la capitale, ce meurtre passe inaperçue et la pauvre fille est vite enterrée .Par contre , lorsqu'un diplomate chinois est assassiné dans une maison de passe luxueuse et qu'on découvre également le corps d'une autre prostituée à coté , cela remue les services de la brigade criminelle...
L'enquête est confié à Victor Dessange, ancien officier blessé pendant la récente guerre , blessure dont il garde une boiterie . Il est secondé par Maximilien , jeune recrue plein d'enthousiasme.
L'intrigue est très bien menée avec de nombreux rebondissements, entrainant le lecteur dans de multiples lieux de Paris, maisons de passe de luxe ou bordels miteux, immeubles cossus ou taudis infâmes, et dans des milieux variés , politiques aux dents longues , aux pratiques douteuses et aux appétits colonialistes sans état d'âme, cercles anarchistes actifs accueillants les anarchistes chassés de leur pays et les syndicalistes avec une peinture haute en couleur de cette époque troublée de l'après-guerre , où tout semble possible, où tout se côtoie, la misère et l'argent facile , les milieux royalistes et les grévistes ...
Les personnages sont attachants, que se soit Victor ou Max, les femmes aussi ne sont pas en reste , prostituées au grand coeur ou cousette amoureuse, anarchistes traqués , sans oublier bien entendu Pierrot découvrant la vie .
J'ai apprécié à la fin de chaque chapitre le petit lexique bienvenu des mots d'argot. L'affaire criminelle est élucidée mais comme il reste encore beaucoup d'interrogations en suspend , on peut imaginer qu'il y aura une suite ...
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Je suis désolé de t'enlever tes belles illusions, Pierrot, mais la Russie des soviets, c'est une chape de plomb qui est tombée sur la révolution. Elle est en train de générer, à travers un réseau de mouchards et de séides, une classe bureaucratique usurpartice du pouvoir prolétarien. Ceux qui ont écrit l'Histoire avec leur sang pour marcher sur les sentiers de la liberté et de la justice, ceux-là même sont évincés, bafoués, outragés et assassinés par la Russie des soviets. Non, une vraie révolution ne peut être faite que par des hommes libres, lucides, généreux, qui soient capables de ne pas sombrer dans le culte d'un chef tout-puissant.
il essuya sa main pleine de sang sur sa culotte, jeta un dernier regard sur le corps sans vie et partit au pas de charge en direction de la place du Combat. Dans sa précipitation, il ne vit pas l’ombre menaçante émerger d’un obscur renfoncement se glisser furChapitre I
L’enfant rouge
Dans la soupente de l’hôtel des 56 Marches, à la Moujol, sur les hauteurs de Belleville, un froid humide déposait sur les murs craquelés, couverts de pustules et de lézardes, des bulles mousseuses au teint verdâtre qui se mêlaient aux moisissures et aux éclats de plâtre. Il faisait sombre en ce petit matin du 6 janvier 1920. Une unique chandelle diffusait une pâle lumière autour de la table et laissait dans l’ombre le reste de la pièce, dont le plafond pentu déclinait jusqu’au mur du fond et provoquait, malgré le froid, une sensation d’étouffement qu’aucune fenêtre ne venait atténuer. Sur une banquette aménagée contre le mur, deux filles dormaient tête-bêche. Assise à la table, sur un tabouret de fortune, Louison la Pierreuse sirotait un succédané de chicorée qu’elle eût, sans doute, préféré moins amer. Face à elle, un tas de haillons surmonté d’un méli-mélo de boucles brunes dévorait une miche de pain trempé. L’enfant se concentrait sur la nourriture qu’il avalait goulûment, la face rivée au bol de lait, les dents plantées dans le pain rassis, les doigts enfoncés dans la croûte ramollie. Ce serait assurément le seul repas de la journée. Il fallait impérativement en tirer profit.
Louison regardait l’enfant d’un air narquois.
– Eh ben, l’minot ! T’as la dalle en pente c’matin !… Eh ! Pierrot ! Respire, tu vas t’en étouffer, d’ta pitance ! Tu vas m’boulotter tout l’pain !
Pour toute réponse, l’enfant émit un grognement assourdi par la mie de pain qu’il avait enfournée dans sa bouche avide. Louison poussa un soupir. Des cernes violets soulignaient ses yeux sombres, enfoncés par la fatigue, tandis que des mèches de cheveux décolorés et filasses tentaient en vain d’adoucir la dureté des traits d’une figure sans âge au nez busqué, aux joues flasques, aux lèvres tristes malgré le fard criard que les passes de la nuit avaient étalé sans égards.
Ainsi, dans le petit matin, recroquevillée sur son tabouret, cramponnée à la table pour ne pas tomber de sommeil, mais simulant l’entrain et le sarcasme face au front blême de l’enfant, Louison la Pierreuse semblait avoir mille ans. Et c’est cette apparence qui rassurait l’enfant.
– Dis donc, Pierrot, faudrait songer à décaniller, mon bonhomme. Les gars d’usine, y vont pas tarder à se radiner. Tu sais comment ça fait quand ils descendent au tramway de Belleville. Ils passent tirer leur coup avant la journée d’turbin, et l’premier tram est à cinq heures. Faut qu’tu décampes avant que j’réveille les filles.
Pierrot enfourna une dernière bouchée de pain, lampa l’ultime goutte de lait dans le fond du bol, secoua sa tignasse ébouriffée et vint se loger dans les jupes de Louison, enfouissant sa frimousse crasseuse dans les plis de son corsage. Louison frictionna le crâne de l’enfant et le repoussa avec fermeté.
– Allez ! Fiche le camp ! Et ne viens pas la nuit prochaine, le taulier doit passer. J’veux pas qu’y te voie. Laisse passer que’ques jours et ramène des p’tits cadeaux aux filles, ça les empêchera d’cafarder.
– Ouais, d’accord, Louison, mais tu sais, que’ques jours, c’est long. J’n’ai qu’toi, moi !
Louison saisit le menton de Pierrot et souffla sur son visage pour dégager les mèches rebelles. Elle planta son regard ténébreux dans le sien et ménagea un silence oppressant.
– Moi aussi, Pierrot, j’n’ai plus qu’toi. Alors file ! Et gare à tes miches !
Pierrot se dégagea avec la vivacité de ses douze ans et s’enfonça dans la nuit noire.
Pierrot frissonna sous ses guenilles : un tas de vieux vêtements récupérés ici ou là et enfilés l’un sur l’autre pour se protéger du froid. Il avait le ventre plein et comptait rejoindre son repaire pour dormir quelques heures. La faim le tenait toujours éveillé, mais, lorsque la fringale s’apaisait, le sommeil l’assaillait. Il lui arrivait de somnoler sur un banc, dans la rue ou dans un jardin public. Mais, ce matin, il faisait trop froid et la nuit était trop noire. Il lui tardait de retrouver sa paillasse. Pierrot pressa le pas et entama la descente des escaliers de la rue Asselin. Son étrange silhouette déformée par les couches de vieilles hardes se profila en haut des marches. Le lieu était lugubre et, pour se donner du courage, Pierrot entonna la chanson de Madeleine1, celle qu’il avait apprise à la Muse rouge.
L’oiseau chantait encore sous le ciel assombri,
Sa voix claire et sonore jetait un large cri.
Il disait la souffrance des vaincus et des gueux
Et demandait vengeance pour tous les miséreux.
Pierrot reprit le refrain à tue-tête en abordant la rue des Chaufourniers. Rasséréné par le chant, il sautait d’un pied sur l’autre avec entrain. Son œil saisit, sans y prêter attention, une inquiétante silhouette qui se faufilait prestement, mais il ne vit pas la masse à ses pieds, dans laquelle il buta au point de perdre l’équilibre et de se retrouver cul par terre. Tout en se frottant le derrière, qui avait méchamment heurté les pavés disjoints de la chaussée, il se pencha sur l’obstacle. D’une main anxieuse, il tâta à l’aveuglette et sentit sur ses doigts une substance poisseuse qu’il testa du bout de la langue. C’était du sang ! Après un examen plus précis, Pierrot dut se rendre à l’évidence : à ses pieds s’étalait un cadavre de femme, un corps déchiqueté, criblé de coups de couteau. Le garçon, tremblant de peur et de dégoût, écarta les cheveux qui masquaient le visage de la malheureuse : Gabie ! L’insoumise2 et la rebelle. Pris d’un haut-le-cœur, il s’écarta pour vomir dans le caniveau. Que devait-il faire ? Remonter à la Moujol et prévenir Louison ? Appeler les secours ? Courir après l’ombre qu’il venait de voir disparaître ? Toutes ces hypothèses lui parurent peu satisfaisantes. Il passa en revue les conséquences de chacune d’elles. Louison ne serait pas disponible et serait furieuse de le voir revenir. Rodé aux déboires et aux dangers de la rue, Pierrot savait que, pour la poulaille, un témoin est d’abord un suspect. D’ailleurs, lui-même était un clandestin, un enfant de la rue sans tuteur officiel, totalement livré à lui-même. Un délit sévèrement sanctionné. Et Pierrot avait toujours été terrifié à l’idée d’être envoyé dans un bagne d’enfants. Quant à poursuivre l’assassin, il était désormais trop tard. Alors il essuya sa main pleine de sang sur sa culotte, jeta un dernier regard sur le corps sans vie et partit au pas de charge en direction de la place du Combat. Dans sa précipitation, il ne vit pas l’ombre menaçante émerger d’un obscur renfoncement, se glisser furtivement jusqu’aux marches de la rue Asselin et monter à la Moujol pour se mêler aux quelques ouvriers en passant pour un client ordinaire.
_ Écoutez, messieurs ! La colère des indigènes, vous avez tout ce qu'il faut pour la mater. Celle des colons exploitants, je vous accorde que c'est plus difficile, mais bon sang ! Il va bien falloir qu'ils s'écrasent ! Ils ont déjà obtenu des centaines d'hectares de terre à un prix incroyablement bas, ils profitent sans vergogne de l'administration en place pour régler tous les problèmes avec les indigènes qu'ils ne payent quasiment pas, alors ils peuvent faire un effort tout de même !
La peur, tapie au fond de la conscience, au fond du cœur et au fond du ventre, tyran grimaçant et sordide, la peur qui tord les boyaux, à toute heure de la nuit ou du jour, à chaque coup frappé à la porte,, à chaque missive déposée sur le seuil, cette peur, désormais impuissante...
.. Au cours de l'hiver 19, avant d'être démobilisé. Il lui avait fallu déterrer tous ces corps ensevelis sur les champs de bataille et tenter à tout prix de les identifier pour les rendre à leur famille. Un travail de croque-mort et de charlatan dont il n'était pas fier, mais il avait bien fallu obéir aux ordres et les ordres étaient formels: pas de corps sans identification. Alors on avait dû trafiquer les cadavres...