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sur 368 notes

Critiques filtrées sur 2 étoiles  
À sa sortie, ce roman a fait l'objet d'une vive polémique opposant Yannick Haenel à l'historienne Annette Wieviorka et au cinéaste Claude Lanzmann. Lanzmann attaquant Haenel dans Marianne (l'article n'est plus disponible à la lecture sur le site du journal) et parlant en particulier du troisième chapitre comme d'une « falsification de l'histoire ».
Dans sa réponse, Yannick Haenel rappelle, à juste titre, le rôle important de la fiction dans la transmission de l'Histoire. Même si j'adhère totalement à cette conception de la littérature, ce roman me laisse un profond sentiment de malaise, en particulier dans l'utilisation usurpée qui est faite du nom de Jan Karski.
En lieu et place du récit hagiographique souhaité, Yannick Haenel a fait exactement ce qu'il reproche à Lanzmann dans Shoah, il a fait de Jan Karski sa « créature ». Sans doute trop imprégné par ses sources documentaires et par son empathie pour Karski, Yannick Haenel n'est pas parvenu à trouver la juste distance avec son personnage. C'est bien dommage au regard de la figure complexe de Jan Karski : naturalisé américain, il ne retournera plus en Pologne après la guerre, il conservera son pseudonyme de résistant, épousera Paula, une jeune femme polonaise d'origine juive et enseignera l'Histoire à l'Université et sera fait Juste.
La vision parcellaire de l'Histoire que nous présente Yannick Haenel dans ce roman nous conduit tout droit au roman à thèse, celui d'une Amérique alliée sourde à la tragédie en train de se jouer de l'autre côté de l'Atlantique.
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Pour qui a vu Shoah, le chef-d'oeuvre de Claude Lanzmann, un moment particulièrement bouleversant reste à jamais gravé dans la mémoire. Jan Karski, courrier de la résistance polonaise, témoigne de sa visite, fin août 1942, dans le ghetto de Varsovie. Lorsqu'il décrit ce qu'il a vu, sa voix, 35 ans après, se brise. Aux deux responsables juifs qui l'ont introduit clandestinement dans le ghetto, il promet de transmettre leur message aux Alliés : il faut faire quelque chose tout de suite. L'Allemagne nazie sera défaite, la Pologne revivra, mais, «nous, les juifs, nous ne serons plus là. Notre peuple tout entier aura disparu». Une autre demande s'adresse au chef du gouvernement polonais en exil : que la Résistance polonaise donne des armes aux Juifs, pour le soulèvement du ghetto se prépare. "J'ai fait mon rapport. J'ai dit ce que j'ai vu", dit sobrement Karski. de fait (cela n'est pas traité dans le film) Karski n'a plus qu'une idée: transmettre le message qui lui a été confié.

A la seule vue du titre, je me suis donc jeté sur le Jan Karski ("roman") de Yannick Haenel.

Le premier chapitre reprend intégralement l'entretien de Karski avec Lanzmann dans Shoah. le commentaire d'Haenel dit au lecteur ce qu'il entendrait et verrait s'il était devant l'écran. Cela avec une insistance très littéraire qui me semble parfois inutile tant le texte est fort.
Le second chapitre résume le livre Story of a Secret State (1944) très peu connu en France, bien que traduit en 1948, réédité en 2004 sous le titre Mon témoignage devant le monde. Karski, à la suite de la débâcle, dès septembre 1939, de l'armée polonaise face à l'Allemagne nazie, est fait prisonnier... par les soviétiques, avec les débris d'armée polonaise repliés vers l'est. Il échappe de peu au massacre de Katyn, puis s'échappe d'un camp allemand et rejoint la Résistance. Il participe en tant que courrier à la mise sur pied de "l'Etat secret" puis de l'AK ("Armée du Pays", résistance non communiste). Trajets rocambolesques, arrestations, tortures, évasions. Jusqu'à ce qu'en été 1942 il soit chargé d'emporter en Angleterre, pour le gouvernement polonais en exil, l'équivalent de mille pages en microfilms. C'est avant son départ qu'a lieu la rencontre du ghetto.
A Londres, à Washington, à New York, les plus hauts responsables politiques, notamment le président Roosevelt (en juillet 1943), les dignitaires des communautés juives l'écoutent sans vraiment arriver à le croire. Rien ne change dans la stratégie des Alliés...

C'est le troisième chapitre qui fait de ce livre un "roman". Jan Karski parle ici à la première personne : "Personne ne m'a cru parce que personne ne voulait me croire". Au début du livre Haenel a prévenu qu'il s'agissait d'une fiction : "les scènes, les phrases et les pensées que je prête à Jan Karski relèvent de l'invention".
De fait, pendant une trentaine d'année, même devant les étudiants américains auxquels il enseigne l'histoire contemporaine, Jan Karski n'a "plus rien dit en public depuis 1945". Haenel veut faire parler ce silence, où il lit douleur et obsession de l'extermination non empêchée, colère contre les responsables de l'inaction. Parmi les phrases du monologue prêté à Karski :
[j'extrais les passages les plus accusateurs envers les Alliés] : "pas de vainqueurs en 1945, que des complices et des menteurs"... "ils [Roosevelt et les autres] jouaient l'ignorance, parce que cette ignorance leur était profitable" … "ils [réduisent la Pologne] à cet antisémitisme que leurs pays ont intérêt à lui faire endosser, parce qu'il leur donne l'illusion de les blanchir, eux qui d'une manière ou d'une autre ont collaboré avec les nazis"... "le procès de Nuremberg, c'est-à-dire le maquillage de la responsabilité des Alliés"...

Même si j'avais pu être tenté de souscrire, partiellement, à ces thèses au caractère excessif, j'ai éprouvé un malaise à la lecture de ces pages. Jusqu'où peut aller la liberté de l'écrivain ? Malgré l'avertissement de l'auteur, le réalisme du monologue, remarquablement écrit, est tel que je n'ai pu m'empêcher d'entendre le vrai Karski. A-t-on le droit de mettre dans sa bouche des phrases aussi terribles s'il ne les a ni dites ni pensées ?
Certes la sincérité d'Haenel est évidente, lorsqu'il se dit habité par le personnage de Karski, au point de porter son désespoir et sa colère.
Il n'empêche. le procédé littéraire peut permettre le détournement de témoignage, en donnant l'autorité de Karski à des "vérités" qui sont celles de Haenel. C'est la critique très dure de l'historienne Annette Wieviorka (L'Histoire, Janvier 2010) pour qui ce livre illustre la phrase de Sartre : "on entre dans un mort comme dans un moulin." Commentant par exemple la description faite par Haenel-"Karski" de l'entretien avec un Roosevelt bâillant à l'évocation des Juifs du ghetto – "Roosevelt est un homme qui digère – il est déjà en train de digérer l'extermination des Juifs d'Europe", elle oppose la teneur réelle de l'entretien, et l'admiration que le vrai Karski éprouve pour Roosevelt. Enfin, là où Haenel évoque une ignorance voulue, une collaboration de fait avec les nazis par refus d'intervenir, Annette Wieviorka rappelle une des raisons fondamentales pour laquelle non seulement les dirigeants politiques mais les chefs de communautés juives ont pu rester aveugles aux témoignages : "[Haenel] évacue la question fondamentale de la distance qui sépare information et savoir et que Raymond Aron, à Londres, exprimait si bien : 'Les chambres à gaz, l'assassinat industriel d'êtres humains, non, je l'avoue, je ne les ai pas imaginés, et parce que je ne pouvais pas les imaginer, je ne les ai pas sus.' "
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