C'est un type de roman "allers-retours": le héros ne cesse de se déplacer entre 2 ou 3 points, toujours les mêmes, un peu comme dans l'Éducation sentimentale. Edevart passe son temps à quitter son village pour Doppen ou le comptoir de Knoff, puis il revient et repart. A la longue, je perdais un peu mes repères temporels.
J'ai trouvé le style original, comme un conte raconté à la veillée avec des interventions personnelles du conteur.
Parmi les thèmes évoqués, c'est la vie d'un village de la côte nord, perdu et pauvre qui m'a le plus intéressé. Et puis, la mentalité de tous ces gens: le créancier ne réclame presque jamais son argent, il attend et fait confiance. On ne se touche pas, on ne pleure pas, on ne demande rien.. Tous ces comportements rappellent bien évidemment ceux de l'Europe du 19ème, mais ici, il y a peut-être encore plus de rigidité et paradoxalement, plus de liberté amoureuse voire sexuelle. Il suffit de se rappeler comment les marins sortent facilement avec les filles pendant le bal donné par SKaaro, ou comment Skaaro se comporte avec la femme du Maire, sans que cela provoque de scandale.
En parlant de comportements, celui de presque toutes les femmes est remarquable: Ane-Maria, Lovise Magrete, la gouvernante Ellingsen, Mattea. Menteuses, hypocrites ou calculatrices et utilisant habilement leurs charmes. On ne trouve pas d'hommes (sauf le Juif) aussi retors dans le récit. On a envie de prévenir Edevart, sans cesse..
Mais tu ne vois donc pas qu'elle va t'avoir ?
Le cadre de l'histoire est d'une grande force: la côte nord de la Norvège, sous des cieux couverts, dans le brouillard. Des paysages froids et déserts. Quand je repense à ce livre, l'image qui me revient aussitôt est celle d'Edevart sur sa ferme de Doppen, vivant de rien avec Lovise Magrete, dans une masure de pierre, basse, sombre, que j'imagine peu chauffée et entourée de landes humides et vertes, avec un vent marin glacial et les vagues sur la grève, plus bas.
A partir de la moitié du récit, j'ai commencé à mieux voir le fil conducteur: le vagabondage n'est pas seulement géographique, mais professionnel, sentimental. Et il concerne les 2 garçons, mais également Lovise et le commis du magasin qui n'arrivent plus à se fixer en Norvège.
J'ai trouvé qu'il y avait une morale qui pointait son nez derrière certains événements secondaires: Knoff est trop ambitieux et va râter son projet d'attirer les bateaux sur son quai, parce-qu'il s'est ruiné en voyant trop grand. Ezra, par contre, le jeune homme qui se marie avec une des soeurs d'Edevart, réussira parce-qu'il fait les choses peu à peu..
August m'a agacé dès le début par ses affabulations et l'influence qu'il exerce sur Edevart. Après coup, je me demande si August n'est pas seulement un artifice littéraire plutôt qu'un personnage réel. Ses réactions auto-destructrices, ses suggestions de construction toujours visionnaires, presque prophétiques, son passé
en Inde, en Russie, en Amérique, brumeux et invraisemblable. C'est d'ailleurs ce que suggère Joakim, dans les dernières pages du livre: ne serait-ce pas un envoyé ?
Une autre option serait que August et Edevart seraient les 2 faces d'un même personnage de vagabond, donc 2 personnages aussi abstraits l'un que l'autre.. Juste des concepts. Mais je ne creuserai pas dans ce sens.. Trop fatigant.
En fait, le résumé de l'éditeur met l'accent sur August, mais pour moi c'était surtout le livre de l'initiation d'Edevart.
Enfin, le portrait du colporteur Juif est peut-être un peu caricatural et semble prédire l'adhésion de
Hamsun au Nazisme mais je lui trouve beaucoup de points communs avec ceux que fait
Albert Londres dans "
le juif errant est arrivé".