LA VIEILLESSE EST UN NAUFRAGE
Un vieux médecin qui se prend pour un savant en mal d'expériences à caractère psychologique sur ses semblables ; un cabinet de curiosité plus qu'étrange où l'on découvre un squelette, un miroir réputé hanté par les patients décédés de l'antique docteur, le portrait en pied de sa fiancée, décédée cinquante années plus tôt, le jour de son mariage, pour avoir bu une décoction de son futur époux parce qu'elle souffrait d'une «indisposition passagère» ; un gros ouvrage - «in-folio massif, relié de cuir noir, orné de lourds fermoirs d'argent», précise l'auteur - attire plus que tout le reste le regard des visiteurs, mais nul n'ignore qu'il s'agit-là d'un ouvrage de magie ; un petit club de vieillards - trois hommes, une femme - au passé plus ou moins faste et plus ou moins douteux, mais qui n'ont plus que regrets pour les splendeurs passées de leurs jeunesses lointaines dont le souvenir empli d'espoirs contrariés se fait passablement cru
el en ce dernier âge perclu de rhumatismes et d'impécuniarité.
C'est d'
abord en sceptiques puis en véritables admirateurs que cette petite confrérie d'infortune accueille la proposition pour le moins étonnante du Docteur Heidegger : boire d'une eau qu'il leur présente comme provenant de la véritable Fontaine de Jouvence, celle-là même qui aurait été découverte par l'aventurier espagnol Ponce de León quelques siècles auparavant ! Après avoir admiré la régénération d'une simple rose, nos quatre vieillards vont, dès lors, accepter non sans une certaine impatience ce qui va s'avérer n'être qu'un jeu douteux, cynique et bien peu moral de leur expérimentateur (lequel va s'abstenir, à raison, de se prêter à sa propre expérience).
Sorte de petit conte moral - ironiquement immoral serait plus exact -, L'expérience du Docteur Heidegger, est l'une des très nombreuses nouvelles du grand auteur américain du XIXè siècle,
Nathaniel Hawthorne, principalement connu chez nous pour son célèbre roman :
La lettre écarlate. Tiré d'un de ses plus fameux recueils, Les Contes racontés deux fois, c'est un texte absolument délicieux qui nous est donné à découvrir de celui que l'histoire de la littérature américaine considère comme le premier à avoir pris pour modèle la société étasunienne, principalement la Nouvelle-Angleterre, de son temps. Remerçions les précieuses et toujours aussi délicates éditions Sillage pour cette petite découverte.
Nathaniel Hawthorne, auteur admiré d'
Herman Melville, de
Poe, de
Henry James et de moulte autres écrivains de premiers plan, est, assurément, un conteur hors pair, capable, en quelques mots bien sentis d'un style impeccable et d'une limpidité vive mais où une certaine brume n'est pas absente, de dresser des portraits parfaitement convaincants, de saisir une ambiance à laquelle le lecteur est bien obligé de croire tant elle est palpable. Quant à son ironie mordante, quoique présente de bout en bout, elle n'empêche en rien qu'une certaine gravité sombre traverse l'évocation de ces vieilles personnes qui n'attendent plus rien de la vie, hormis ce que
Villiers de l'Isle-Adam aurait pu appeler, cinquante ans plus tard, "La torture par l'espérance" (titre d'un de ses plus terribles
Contes Cruels). Une once de fantastique - on n'est pas si éloigné que cela de l'univers d'
Edgar Allan Poe -, un rien de critique sociale, quelques zestes de rapports entre les sexes, et le lecteur s'embarque pour un petit moment de pur plaisir littéraire ! Une lecture à poursuivre et à compléter, assurément.