Tombé en disgrâce professionnelle et conjugale, Asher, scénariste à succès à Hollywood , la cinquantaine ( exactement, cinquante et un ans), fuit la Californie pour NewYork. Ses illusions perdues, sans espoir, il retourne dans la ville qu'il a quitté trente ans auparavant pour réaliser ses rêves. Il en espère dieu c'est quoi, mais la rencontre d'un jeune couple de cocos puérils, dont son neveu et sa petite amie va corser les choses, déjà assez compliquées pour lui (« Comme je l'ai dit, elle aimait jouer. À des jeux compliqués. Tous les deux aimaient ça. Et ils jouaient ensemble, elle et Michael. »)...... Les personnages sont superbement typés, impossible de rester indifférent à Michael, le neveu, poète morveux et à la garce culottée, Aurora d'Amore, la petite amie. L'auteur nous bluffe grave avec un trio improbable.
Nous voici dans le NewYork des années 60, The Big Apple superbement décrite par la plume élégante et sobre de Hayes, tel qu'on l'entrevoit dans les films en noir et blanc de l'époque ou les dessins de Hopper (Night Shadows ); cette ville quatrième personnage du roman, dont il n'arrive pas à ajuster l'image avec celle de son enfance, d'avant-guerre. Hayes, scénariste dans la vie, déploie l'histoire comme un film, aux cadrages superbes avec gros plan sur les détails, et en voix off, ses commentaires et pensées. Un regard acerbe non dépourvu de cynisme et d'humour sur La Vie, “Mon dentiste, penché sur moi, tandis que sa fraise vrombissait dans ma bouche sans défense, me l'avait bien dit : après cinquante ans (vrombissement de la fraise) c'était le début de la fin”.
J'aime les livres de Hayes; écrits il y a cinquante ans ou plus, ils ne se démodent pas, et ce petit goût de vintage et de Hollywood imprégné de nonchalance et d'autodérision, un brin cruel, en font son charme fou.
Commenter  J’apprécie         863
Crise de la cinquantaine, solitude, désillusions, affres du désir : tous les thèmes chers à Alfred Hayes, disparu en 1985, dans un récit empreint de mélancolie urbaine.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Alfred Hayes signe le subtil portrait d’un homme qui accepte mal de vieillir.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Un désir de dévoiler à cette vieille parente tout ce qui allait mal me vint aux lèvres. De confesser que tout n’allait pas comme il faut. Que ma femme n’était pas au mieux. Que mon travail n’existait pas. Mais c’était impossible. J’étais, après tout, la célébrité de la famille. Mon nom était imprimé ici ; ma photo parue là. J’avais échappé à leur lot commun. Ou, du moins, le croyaient-ils. Du moins ma pauvre Tante Dora le croyait-elle. Asher s’en sortait bien ; Asher vivait dans une région où le soleil brillait tout au long de l’année ; Asher avait une femme fantastique. Oh, mon petit, aurais-je dû lancer, à la façon de Tante Dora, que te dire ? J’étais condamné à une version fictive de moi-même.
« Pasternak disait que c’était comme une marque sur du linge. »
—Qui ça ?
—Pasternak.
—Pasternak disait que quoi était comme une marque sur du linge ? » Il fit un geste, seulement de l’épaule, pour désigner le ciel assombri. « L’avion. »
Ce qui me força à lever les yeux vers le ciel, par-delà l’étendue du parc, en direction de l’avion. La distance donnait l’impression qu’il était planté, immobile, dans le banc de nuages. Il ressemblait effectivement à un genre de monogramme. Une inscription apposée sur le bas d’une vaste chemise de ciel comme en laissent les employés du nettoyage à sec.
Cela ne m’aurait pas agacé outre mesure, si je n’avais pas ajouté bêtement : « C’est dans Jivago ? —Non. Dans un poème. » Le ton impliquait, bien sûr, que tout ce que je connaissais de Pasternak se réduisait à Docteur Jivago et que je ne le connaissais que parce qu’on en avait tiré un film. Le fait que le garçon eût raison –je n’avais pas lu Docteur Jivago et j’avais vu le film –n’aidait pas.
Assis dans le parc à attendre Aurora, pas vraiment certain que j’aurais dû être là à l’attendre, je me mis à penser à ce qui s’était passé pour que je me marie une deuxième fois. On se marie une première fois. Au bout de dix ans, on est convaincu que le mariage était une erreur. Alors on se remarie. Et au bout de dix ans, ce mariage-là, lui aussi, vous apparaît comme une erreur. En gros, ce qui finissait par manquer dans une vie, ce n’étaient pas les erreurs, mais le nombre d’années suffisant pour les commettre.
Je n’aurais pas dû dire à Tante Dora de le faire venir à l’hôtel. Le silence s’épaississait. La dernière lueur fuyait. Nous étions dans l’obscurité. Je ne bougeais pas. Je ne pouvais pas bouger. Une trentaine d’années nous séparaient. Et il portait toujours ce foutu pardessus. Comme si j’étais une station de bus.
-« Je me suis dit que nous pourrions sillonner Harlem.
-Harlem ? »
Il avait l’air surpris.Harlem ? répéta-t-il.......
-« Lower Harlem, au sud. C’est là que j’ai grandi.
-C’est en territoire ennemi.
-Le matin, ça ne craint rien, et je te parle de la 106e Rue.
-C’est là que tu as grandi, alors ?
-Si toutefois j’ai grandi. »