Centré autour du journal intime de Nell, une adolescente de 17 ans, le récit commence sur un repas de Noël surréaliste. Depuis le décès de leurs parents quelques mois auparavant, Nell et sa soeur ainée Eva vivent seules dans la maison familiale perdue dans une forêt californienne, loin de tout. Elles doivent apprendre à se débrouiller seules alors que le monde est dévasté par une catastrophe dont les causes demeurent floues : il n'y a plus ni essence ni électricité, les transports ne fonctionnent plus, les villes se vident en raison d'épidémies à répétition. Confrontées à la nécessité de survivre, elles vont apprendre à survivre, à résister à l'effondrement du progrès et de la modernité, à lutter contre les menaces humaines ou naturelles. Elles vont découvrir progressivement les inépuisables ressources de la forêt qui, autrefois inquiétante, devient leur moyen de survie.
Dès les premières pages,
Jean Hegland plante le décor, décrit l'ambiance post-apocalyptique et raconte la dévastation. Elle ne temporise pas pour nous plonger dans le chaos ; à la lecture des pages rédigées par Nell et qui constituent tout le roman, j'ai découvert captivé le portrait effrayant de l'effondrement des États-Unis et l'histoire d'une famille qui vit au milieu de nulle part. J'ai apprécié la prose lyrique de l'écrivain et la narration sincère de la jeune Nell. En raison de l'aspect mystérieux de la catastrophe, l'aspect dystopique de l'histoire est fascinant, horrifiant et poignant. À travers le regard de Nell et d'Eva, il nous renvoie à nos angoisses existentielles et interroge notre capacité d'adaptation dans un monde où tout se serait effondré.
Une autre force narrative du récit réside dans le portrait très humain et intime des deux soeurs qui, avant l'effondrement de leur civilisation, ont des projets de carrière auxquels elles peinent d'abord à renoncer : Eva rêve de devenir danseuse professionnelle, tandis que Nell prépare l'entrée dans une prestigieuse université. Sans totalement éviter de tomber dans la caricature, le texte aborde les thèmes de l'isolement, du deuil, de la survie et du rapport à l'autre. Car, bien que très proches, les deux soeurs sont condamnées à vivre ensemble et à s'entendre, notamment sur le problème épineux de la gestion des ressources.
Au milieu de la noirceur de l'histoire, j'ai aimé également l'irruption d'éléments lumineux au coeur du récit. du néant surgit la lumière, presque magique. Ici, le merveilleux d'un objet ou du jardin flotte au-dessus du répugnant, là, l'imaginaire d'une histoire ou d'une musique combat la désolation, ici encore, la douceur d'une discussion anéantit l'atrocité d'un événement.
Par contre, certains aspects du roman m'ont un peu agacé, comme le fait qu'aucune menace n'est épargnée aux deux jeunes femmes. Pour entretenir la tension narrative du récit, de périlleux problèmes et de courageuses solutions pour y remédier se succèdent comme on enfile les perles d'un collier, mais manquent parfois de crédibilité. Je veux juste souligner le fait que les décisions prises par les personnages sont tout à fait adaptées à des fins littéraires ; elles fournissent une tension dramatique, permettent le développement des personnages et de l'arc narratif de l'histoire. Mais en ce qui concerne leur intelligence pratique, les deux soeurs m'ont semblé faire preuve d'insouciance.
J'ai été agréablement surpris par l'évolution amoureuse de la relation entre les deux soeurs, mais je n'ai pas compris pourquoi elle n'est plus développée ou mentionnée après un événement bien particulier que je ne dévoilerai pas. Comme si cet événement était gratuit ou aléatoire et n'avait aucun sens. C'est dommage selon moi.
Quoi qu'il en soit et malgré ces quelques remarques négatives, je recommande la lecture de "
Dans la forêt", une fable survivaliste bouleversante qui alterne intensité et lenteur. Avec une écriture simple, comme inaltérée, des descriptions d'une force évocatrice pénétrante, le récit m'a plongé dans une ambiance irréelle, oppressante et attirante.