Pourquoi que les vieux se réveillent tôt? C'est-y pour avoir des jours plus longs?
-Quel âge que j'avais quand tu m'as emmené dans un bateau pour la première fois ?
-T'avais cinq ans et t'as bien failli y rester ! Tu te rappelles quand j'ai amené le poisson sans l'avoir assez fatigué et qu'il a manqué démolir toute la boutique ?
-Tu penses que je me rappelle ! Il donnait des coups de queue et ça faisait un de ces raffuts ! Et puis le banc qui a cassé ; toi, tu flanquais des coups au poisson et puis tu m'as basculé à l'avant, en plein dans les paquets de lignes mouillées ; je sentait le bateau qui tremblait, je t'entendais cogner à toute force comme si tu coupais un arbre ; et puis je me rappelle l'odeur du sang qui était tellement fade.
-Tu te rappelles vraiment tout ça, ou bien c'est moi qui te l'ai raconté ?
-Je me rappelle tout ce qui s'est passé, depuis notre première sortie ensemble.
Les deux requins attaquèrent ensemble . Quand le plus proche ouvrit les mâchoires et planta les dents dans le ventre argenté du poisson, le vieux éleva la gourdin aussi haut qu'il put et l'abattit , pesant et fracassant, sur la large tête.
Le gourdin rencontra une sorte de résistance électrique. Mais le vieux sentit aussi la dureté de l'os; au moment où le galano se détachait du poisson, il lui assena un second coup sur le museau.
"Tu veux ma mort, poisson, pensa le vieux. C'est ton droit. Camarade, je n'ai jamais rien vu de plus grand, ni de plus noble, ni de plus calme, ni de plus beau que toi. Allez, vas-y, tue-moi. Ça m'est égal lequel de nous deux qui tue l'autre. Qu'est-ce que je raconte ? pensa-t-il. Voilà que je déraille. Faut garder la tête froide. Garde la tête froide et endure ton mal comme un homme. Ou comme un poisson."
Tu veux ma mort, poisson, pensa le vieux. C'est ton droit. Camarade, je n'ai jamais rien vu de plus grand, ni de plus noble, ni de plus calme, ni de plus beau que toi. Allez, vas-y, tue-moi. Ça m'est égal lequel de nous deux qui tue l'autre.
On ne devrait jamais rester seul quand on est vieux, pensa-t-il. Mais c'est inévitable.
Il mit ses mains l’une contre l’autre et en sentit les paumes. Elles n’étaient pas mortes, et il pouvait ressentir toutes les peines de la vie rien qu’à les ouvrir et les fermer. Il se pencha de nouveau contre la poupe et sut que non, il n’était pas mort. Ses épaules le lui disaient.
— Repose-toi un bon coup, mon petit, dit-il. Et puis tâche de gagner la terre ; tu as ta chance. Tout le monde a sa chance : les hommes, les oiseaux, les poissons. Son dos était raide par suite du froid de la nuit. Il en souffrait terriblement, et cette petite conversation lui redonnait du cœur.
Un homme, ça peut être détruit, mais pas vaincu.
l'homme ne triomphe jamais tout à fait