La vraie mission de chaque homme était celle-ci : parvenir à soi-même. Qu'il finisse poète ou fou, prophète ou malfaiteur, ce n'était pas son affaire ; oui, c'était en fin de compte dérisoire ; l'important, c'était de trouver sa propre destinée, non une destinée quelconque, et de la vivre entièrement. Tout le reste était demi-mesure, échappatoire, fuite dans le prototype de la masse et la peur de son propre moi.
Le véritable Demian était celui que je contemplais en ce moment : de pierre, antique, animal, beau et froid, pétrifié, inanimé et secrètement plein d’une vie mystérieuse. Et, tout autour de lui, ce vide silencieux, cet éther, cet espace sidéral, cette mort solitaire.
Il faut toujours questionner, toujours douter.
Si nous n’étions pas autre chose que des êtres ne vivant qu’une fois, une balle de fusil suffirait en effet à supprimer chacun de nous, et alors raconter des histoires n’aurait plus aucun sens. Mais chaque homme n’est pas lui-même seulement. Il est aussi le point unique, particulier, toujours important, en lequel la vie de l’univers se condense d’une façon spéciale, qui ne se répète jamais. C’est pourquoi l’histoire de tout homme est importante, éternelle, divine. C’est pourquoi chaque homme, par le fait seul qu’il vit et accomplit la volonté de la nature est remarquable et digne d’attention.
"Vous m'avez raconté, me dit-il un jour, que vous aimiez la musique parce qu'elle n'est pas morale. Mais, vous-même, ne soyez pas non plus un moraliste. Vous ne devez pas vous comparer aux autres, et si la nature a voulu faire de vous une chauve-souris, vous ne devez pas aspirer à devenir une autruche. Il vous arrive de vous trouver étrange, de vous reprocher de ne pas suivre la même voie que les autres. Défaites-vous de cette pensée ! Contemplez le feu, contemplez les nuages, et dès que les pressentiments seront venus et que la voix de votre âme commencera à parler, écoutez-les, sans vous de mander auparavant si cela plaît à monsieur le professeur ou à monsieur votre papa, ou à un bon Dieu quelconque, car de cette façon, l'on nuit à soi-même ; l'on finit par ressembler aux gens sur le trottoir et par devenir un fossile. [...]"
p.129
Comme un papillon suspendu à une fleur, je demeurais attaché aux beaux jours.
p.178
Là où des chemins amis se rencontrent, on a l'impression passagère que le monde entier est transformé en patrie.
Je ne voulais qu’essayer de vivre ce qui spontanément voulait surgir de moi. Pourquoi était-ce si difficile ?
Il faut toujours questionner, toujours douter.
Auparavant , je m'étais souvent demandé pourquoi un homme est si rarement capable de vivre pour un idéal . Maintenant , je constatais que beaucoup d'hommes , que presque tous sont capables de mourir pour un idéal , à condition toute fois qu'il ne soit pas personnel , librement choisi , mais commun à tous .