Habitué de la maison, je savais à peu près à quoi m'attendre lorsque j'ai ouvert ce petit livre de
Hermann Hesse. À l'arrivée, on est toujours un peu triste de quitter l'ami qu'on s'est fait, mais aussi heureux d'avoir pu partager son histoire et sa vie.
Dans ce petit ouvrage, plus proche du roman de voyage que de celui initiatique, en ce qu'on n'y retrouve pas de réel arrivée ni de conclusion, on trouve beaucoup de codes que l'on retrouvera dans les oeuvres suivantes de Hesse et qui font ensemble et dans la forme qu'ils prennent sa grande originalité :
un grand attachement à la nature et une prouesse lyrique phénoménale dans la retranscription de la sensibilité de l'auteur à celle-ci ;
le roman de voyage, de voyage au sens vraiment plein que revêt une traversée dans les terres du monde, sa civilisation, ses modes de vie et ses strates, son histoire, et le plus important dans la spiritualité propre (pour ne pas utiliser le terme de "philosophie" un peu trop intellectualisé mais qui pourtant serait celui adéquat) ;
la nostalgie de la jeunesse, thème si riche et si parlant pour chacun de nous, la fin du livre faisant particulièrement écho à ce que tout un chacun a pu penser de lui-même et de son parcours, et si bien traité par Hesse ;
et finalement, comme le violoncelle accompagnant continuellement chacune des histoires qui se vivent dans ses livres, et prenant ponctuellement la parole lorsqu'il le faut dans la pièce, l'auteur nous livre toujours une réflexion subtile et intéressante sur tous les affres de son temps et du Temps en lui-même. On échappe alors à l'écueil du romantisme désuet qui guette le texte. Celui-ci est même tout le temps conscient de son rapport trop poétique avec le monde, et s'essaye toujours à l'analyse réaliste de lui-même et de son temps.
Il est toujours en quête de sa _place_ dans le monde, aussi bien au niveau métaphysique que social. Il est toujours en décalage avec cette époque qu'il contemple et critique d'un oeil frais et nature. Sans en faire trop, Hesse à travers son Camenzind amorce son combat contre la perte identitaire de son peuple et de son époque qui s'égare sous l'étendard de la _modernité, du progrès, et du rationalisme_, combat qu'il continuera tout au long de son oeuvre, la critique atteignant même son apogée dans le brio avec _
Le Loup des Steppes_ (livre classé dans les "ou on adore ou on hait").
On peut d'ailleurs se rendre compte à quel point ce thème est encore d'actualité aujourd'hui, rendant la réflexion qui en est issue riche de sagesse et de pistes critiques dans l'étude de nos propres fléaux, et le texte en lui-même encore totalement contemporain.
Tout cela permet tout de suite de savoir si on va se plonger dans l'oeuvre de Hesse ou pas. Ce sont toujours les mêmes tonalités, les mêmes thèmes qui sont utilisées dans ses textes, car répondant toujours au même besoin et à la même alerte, mais c'est toujours fait brillamment.
Je rajouterais finalement à titre subjectif à quel point j'ai apprécié de relire les premières pages du livre après l'avoir fini. Car l'histoire ne se finit pas, c'est un cycle, et le début aurait tout aussi bien pu être la fin du livre, et un autre Camenzind verra encore le jour...