Quand le talent du journaliste rivalise avec l'art du romancier, on ne peut que s'en réjouir (et le décès tout proche de John le Carré, dont les fictions si convaincantes pouvaient parfois s'imposer comme les meilleurs témoignages des réalités les plus noires du monde, rappelle que la formule fonctionne aussi avec bonheur dans l'autre sens pour certains écrivains) et se féliciter de s'être laissé entraîner aux antipodes, vers une Australie pas toujours très séduisante, grâce au bandeau habile de l'éditeur annonçant un bon « polar » dans le bush !
L'Incendiaire est un texte complexe, une enquête construite en trois parties – les faits et l'instruction, la défense de l'accusé et la recherche de ses motivations, le procès et sa morale -, suivie d'un épilogue, où l'auteure montre à quel point le fait-divers et ses conséquences sont révélateurs de la profonde crise politique et écologique, qui agite plus que jamais son pays. Au début du livre,
Chloé Hooper peint avec une grande puissance d'évocation la terrifiante vigueur de l'incendie qui, un samedi de 2009, ravagea une grande portion de territoire, pas très loin de Melbourne, détruisant de nombreuses habitations et causant plusieurs dizaines de morts humaines et des victimes animales par milliers. Elle montre comment le paysage de ce coin perdu du pays, une sorte de « ceinture de rouille » transformée par le déclin des activités industrielles, miné par d'immenses mines de charbon à ciel ouvert et dominé par les hautes tours de centrales électriques toujours fumantes, utilisant à profusion ce combustible fossile, a pu lui-même favoriser sa propre destruction. Elle suit aussi, pas à pas, le déroulement de l'enquête, la découverte rapide du présumé coupable, les réactions étonnées ou très hostiles de l'entourage du suspect. Dans la seconde partie, elle rend compte avec une grande minutie et beaucoup d'empathie du travail des avocats, occupés dans leur volonté acharnée de défendre l'accusé (même, assez admirablement, pour la première avocate, commise d'office) à partager le vrai du faux, à essayer de cerner ses motivations, à comprendre le comportement du pyromane, un homme plutôt simple d'esprit, en fait autiste avéré, aussi doux parfois qu'il peut être souvent dérangeant, et du coup détesté par ses collègues ou voisins. Un pauvre hère, qui tente de s'afficher jusqu'au bout comme innocent, tout juste coupable peut-être d'une simple maladresse… C'est dans l'analyse de ce destin et des origines de cette dérive que l'enquête journalistique prend toute sa dimension sociologique. le récit du procès achève de montrer comment à travers le jugement d'un homme ce sont les dysfonctionnements d'une société qui sont, dans une évidence terrible, mis en relief. Et
Chloe Hooper de conclure en évoquant les énormes incendies de 2019 et 2020, pointant avec lucidité la responsabilité de la fuite en avant d'une économie débridée, au mépris de la protection de la nature, autant que de la dégradation des liens humains… Pauvre société qui ne sait plus que s'autodétruire ! Une leçon australienne, formidablement déployée par l'auteure, à méditer d'urgence à l'autre bout du monde !