En suivant le parcours de Jed Martin, artiste plasticien, le narrateur –car il faut l'appeler ainsi puisque l'écrivain est devenu un personnage – s'interroge sur sa propre destinée et nous embarque dans tout ce qui peut constituer notre vie d'aujourd'hui : le quotidien banal devenu déclencheur de destin (une panne de chauffe-eau, la lecture d'une carte Michelin…), la gloire et l'argent, la notoriété, la France et son économie, le tourisme, la ruralité, la mort … autant de thèmes chers à l'auteur et qu'il varie à l'envi pour déboucher dans une troisième partie qui lorgne vers le polar et un épilogue aux accents d'anticipation.
Voilà un livre compact et tout y est traité de façon parfois pédagogique voire un peu démonstrative mais tellement nécessaire. Ainsi lorsque le narrateur parle d'un chien, il fait l'historique de sa race, s'il s'intéresse à un nouveau personnage, on a droit à sa fiche signalétique, son parcours professionnel, ses amours, amitiés rencontres… mais avec juste ce qu'il faut de vraisemblance et d'humour pour ne pas sombrer dans l'ennui. Tout cela relance la machine, nous aide à en comprendre les rouages. Bien sûr nous avons droit au
Houellebecq qui cite les marques, se documente sur la photographie, le travail du policier mais ce qui reste fascinant c'est l'utilisation qu'il fait des personnes réelles transformées ici en personnages : les artistes
Jeff Koons et
Damien Hirst mis en abyme dans un tableau de Martin ainsi que
Bill Gates associé sur la toile à
Steve Jobs pour finir par se représenter lui-même «
Michel Houellebecq, écrivain » sur une toile de cet artiste fictif, dans une série qu'il fait sur les métiers dont certains disparaissent au profit d'autres. On rencontre par ailleurs des personnes des médias (
Jean-Pierre Pernaut ou
Frédéric Beigbeder…)
Reste la mise en scène de l'écrivain lui-même. Il semblerait que ce soit assez la tendance – bien que
Houellebecq y parvienne avec assez de talent, de détachement et d'humour – puisque
Brett Easton Ellis, écrivain américain de la même génération que
Houellebecq l'a fait dans Luna Park. Il est intéressant de constater que ces écrivains remettent à plat les rapports qu'entretient l'auteur et le narrateur qu'on nous interdit de confondre durant nos chères études, à juste titre d'ailleurs. Comment parler mieux de la mort en mettant en scène son propre enterrement? Comment mieux parler de soi en se mettant à distance géographique (Martin rencontre
Houellebecq en Irlande), dans le regard des autres personnages et de soi-même et en devenant à son tour objet de fiction ? Tout est repensé.
Il y a dans ce roman plusieurs couches –comme dans un tableau d'ailleurs- où l'on retrouve le roman de l'ascension sociale à la
Balzac (Jed Martin passe de l'anonymat à la gloire et la reconnaissance), une réflexion sur l'économie de notre pays, devenu un centre touristique mais où la ruralité change , de même que l'approche des autochtones ont vis-à-vis des étrangers – on parle ici de la Creuse –qui passe de paysans ancrés dans leur monde à de rurbains venus s'installer pour développer des entreprises ouvertes sur le monde via internet, les éternels rapports père-fils, ascendance/ continuité, la vie sociale et la vie solitaire, l'amour fugitif et magique …, c'est un peu les Galeries Lafayette de la littérature, avec une pensée parfois un peu conventionnelle du narrateur : sur le mouton-phrase qui m'a fait bondir !- alors que Martin lui rend visite en Irlande, le personnage
Houellebecq qui a peur de se couper les doigts sur une tondeuse, justifie le mauvais entretien de sa pelouse ainsi :
"Je pourrais acheter un mouton, mais je ne les aime pas. Il n'y a pas plus con qu'un mouton." (138)
De même, cette haine des moutons fonctionne à mon sens avec l'amour du chien et l'admiration de Pernaut. C'est un portrait très compact du français moyen, non ?
Je reste admiratif de
Houellebecq néanmoins car son roman n'est jamais ennuyeux et hautement créatif.
Un Goncourt mérité.
Sans rancune!